Aujourd’hui, Simon Desthieux va partir avec le dossard jaune de leader. Il rentre ainsi dans le clan des rares français à avoir eu la chance de le porter. Mais même à l’international, le nombre de biathlètes ayant eu l’honneur de l’avoir ne serait-ce qu’une journée récemment est incroyablement faible. Retour sur les grands noms qui ont eu l’honneur de le porter ces dernières années.
« C’est le rêve d’une vie. »
Simon Desthieux à l’Equipe à propos de son port du dossard jaune
Lorsque Simon Desthieux a prononcé ces mots, peu de temps après avoir appris qu’il porterait le dossard jaune au départ du sprint cette semaine, il a certainement pensé à tous ces grands noms qui l’ont porté avant lui. Mais en le partageant cet après-midi avec Johannes Bø, il va surtout rentrer dans le cercle très fermé des biathlètes ayant eu la possibilité de réaliser ce rêve. Car si remporter une victoire sur une course est compliqué, si devenir champion du monde l’est un peu plus et champion olympique encore plus, il n’y a rien de plus complexe depuis plus de dix ans que de revêtir le dossard jaune de leader de la coupe du monde de biathlon.
En le portant pour le sprint, il inscrira son nom aux côtés des plus grands noms du biathlon. Car oui, lorsqu’il a dit en zone mixte que seuls des grands noms le portaient ces dernières années Simon Desthieux avait complètement raison. A quelques exceptions près, seuls les cadors du biathlon mondial ont pu démarrer une course tout de jaune vêtus. Et avec sa carrière, bien que moins dorée que celle d’un Martin Fourcade ou d’un Johannes Bø, il appartient pleinement à cette catégorie. Simon est champion du monde, champion olympique, monté plusieurs fois sur la plus haute marche d’un podium de coupe du monde et ne quitte pas le top 10 au général depuis la saison 2017-2018.
« C’est un maillot qui a été porté au final par très peu de gens ces dix-quinze dernières années. »
Simon Desthieux à la Chaine l’Equipe
La rareté des porteurs
Depuis le début de la saison 2009-2010, le dossard jaune n’a vu les épaules que de onze biathlètes différents au niveau international chez les hommes. Depuis 2012, le chiffre est encore plus bas. En effet, seuls cinq biathlètes différents l’ont revêtus, six avec Simon aujourd’hui. Les dominations de Martin Fourcade et Johannes Bø n’y sont évidemment pas pour rien. Si le maillot jaune du Tour de France passe parfois sur plusieurs épaules un même été, ce n’est pas la même chose ici. Alors il faudra profiter de cet instant, car nul ne peut prédire lorsque l’occasion de revoir un français tout de jaune vêtu se représentera.
« Ce maillot jaune est une grande quête, c’est très ambitieux de vouloir le jouer. »
Simon Desthieux à Nordic Magazine
Bien que nous nous soyons un peu trop habitués à le voir porté par un français, ce dossard reste une rareté. En effet, malgré que Martin Fourcade l’ait eu semaines après semaines, passant parfois des saisons entières sans le lâcher, il est extrêmement difficile de l’obtenir. Au sein de l’Equipe de France, seuls cinq biathlètes ont eu l’occasion de le porter avant Simon Desthieux.
Patrice Bailly-Salins, le précurseur
Patrice Bailly-Salins a été le premier français à porter le dossard jaune. C’était en 1992 suite à l’individuel de Pokljuka. Patrice Bailly-Salins s’impose devant l’allemand Mark Kirchner le 17 décembre en ouverture de la coupe du monde. Il peut ainsi revêtir le précieux dossard.

Mais il le porte à nouveau la saison suivante. En effet, suite à l’individuel du 16 décembre de l’année suivante, de nouveau à Pokljuka, il revêt une nouvelle fois le dossard. Cette fois-ci, il le porte plus longtemps. En concurrence avec un autre allemand pour le globe, il le perd deux courses. Mais il finit par s’imposer devant Sven Fischer pour remporter le gros globe cette saison-là. Ainsi, en plus d’être le premier porteur français du maillot jaune, il est également le premier à gagner un gros globe.
Dossard jaune porté : 9 jours.
Raphael Poirée, la domination disputée
Il ne faut pas attendre très longtemps avant qu’un nouveau français se pare de jaune. Dès décembre 1997 il est de nouveau sur les épaules de l’un d’entre eux. Cette fois-ci, il s’agit de Raphael Poirée. Cette année-là, il ne le porte qu’à une seule occasion. Néanmoins, il le revêt pour de nombreuses autres courses pendant sa brillante carrière.
Il lui faut tout d’abord un peu plus de deux ans avant qu’il ne le gagne une nouvelle fois. C’est le 13 février 2000. Et cette fois-ci, il le garde jusqu’à la fin de la saison. Ce faisant, il devient le deuxième biathlète français à remporter le classement général de la coupe du monde.
Mais Raphael Poirée ne s’arrête pas là. Dès la saison suivante, il s’impose une nouvelle fois. Au cours de cette saison 2000-2001, il est vêtu de jaune pour chaque course à une exception. En effet, il ne remporte pas la course d’ouverture, mais reprend le contrôle dès la suivante. Il se place comme le concurrent principal d’Ole Einar Bjørndalen, déjà une fois vainqueur du gros globe à l’époque. Il réalise la passe de 3 lors de la saison 2001-2002. Néanmoins, il est un peu moins dominateur au cours de cette saison où le maillot passe également sur les épaules de Bjørndalen, Rostovtsev et Luck.

Après une année où il laisse son adversaire principal remporter le globe, il réalise une saison 2003-2004 exceptionnelle. Au cours de celle-ci, il fait le grand chelem, remportant ainsi l’ensemble des dossards distinctifs possibles. Les deux saisons suivantes, bien qu’il ne soit pas sacré, il porte tout de même le dossard jaune à de nombreuses reprises. Cela fait de lui le deuxième biathlète français l’ayant le plus porté.
Dossard jaune porté : 101 jours.
Vincent Defrasne, le porteur éphémère
Alors que l’annonce de la retraite de Raphael Poirée laisse le monde du biathlon orphelin, il ne faut qu’une course sur la saison suivante pour qu’un français se retrouve vêtu de jaune. Vincent Defrasne, déjà champion olympique à l’époque, remporte l’individuel de reprise le 27 novembre 2007.
« Cela me fait super plaisir. C’est quand même quelque chose. Il faudra que je sois à la hauteur, ni inhibé ni euphorique. Etre moi-même, quoi. Et montrer que cela n’est pas un hasard. »
Vincent Defrasne au Dauphiné Libéré après son gain du maillot jaune
Il réussit à le garder à la course suivante. Il le perd malheureusement dès la troisième course de la saison au profit de Ivan Tcherezov. Celui-ci le garde uniquement le temps d’une course avant qu’il ne revienne au roi norvégien qui emporte une nouvelle fois le général cette année-là.
Dossard jaune porté : 2 jours.

Simon Fourcade, ou l’occasion manquée
Le 24 janvier 2010, Simon Fourcade devient leader du classement général. Ce jour-là, il obtient une huitième place lors de la poursuite d’Antholz-Anterselva. Dans cette course de longue haleine, c’est suffisant pour dépasser Evgeny Ustyugov à la tête du classement. En effet, il profite d’une désillusion russe, celui-ci ne fait alors que trente-neuvième.

Mais l’ainé des frères Fourcade ne voit pourtant pas la couleur d’un maillot jaune. En effet, la compétition suivante sont les Jeux Olympiques de Vancouver. Et au cours de ceux-ci, contrairement aux championnats du monde, les leaders de spécialité et du classement général ne portent pas leurs dossards distinctifs.
Dès le 14 février, Emil Svendsen finit deuxième du sprint et devient leader provisoire. Le dossard continue de changer régulièrement d’épaules jusqu’à la fin de la saison, mais ne revient plus sur celles du français.
Dossard jaune porté : 0 jour.
« C’est une grande fierté. Je regrette de ne pas avoir porté ce maillot. Ce sera toujours compliqué à accepter. Je pense être le seul à avoir eu un dossard rouge et un dossard jaune à ne jamais avoir pu les porter en course. […] C’est quelque chose qui a été dur à vivre pour moi en tant qu’athlète car ça signifiait quelque chose pour moi. Par deux fois, Martin est allé demander pour moi ces maillots car il savait que ça me tenait à cœur. J’ai deux maillots distinctifs chez moi. »
Simon Fourcade revient ce qu’a représenté pour lui le maillot jaune lors de sa retraite sportive en 2019
Martin Fourcade, la seconde peau
Martin Fourcade porte pour la première fois le dossard jaune le 30 novembre 2011. Et ce jour-là, ces adversaires ne se doutaient certainement pas que c’était une image qu’ils allaient revoir chaque semaine pendant des années.
Martin Fourcade en dossard jaune a peut-être été présent dans les cauchemars de nombreux biathlètes. En effet, pendant 8 saisons, il le porte quasiment à chaque course, ne laissant que des miettes à ses concurrents.

Le voir en jaune est devenu une habitude pour les français. Avec lui l’extraordinaire est devenu ordinaire. Ce qui était si compliqué à obtenir est presque devenu facile ou banal. Pourtant, il s’agissait de la première vraie domination sur le biathlon. Jamais personne avant lui n’avait porté le dossard la saison entière plusieurs années d’affilée comme il a pu le faire.
Dossard jaune porté : 176 jours.
« Toute ma carrière, j’ai vu Martin le porter en me disant que cela devait être incroyable de l’avoir. »
Simon Desthieux à Nordic Mag.
Simon Desthieux, l’inattendu attendu
Au sein de l’équipe de France actuelle, Simon Desthieux n’était certainement pas celui qui était attendu en jaune. En effet, Quentin Fillon-Maillet semblait celui à qui il tendait les bras. Troisième les trois dernières saisons, il n’avait jamais caché son ambition. Emilien Jacquelin, habitué des coups d’éclats et protégé de Martin Fourcade avait également toutes les caractéristiques pour s’en emparer suite à une course où il aurait fait se lever tout le monde de son canapé. D’autant plus que s’il avait toujours dit ne pas s’intéresser au général, par manque de régularité, il avait un peu changé de propos dernièrement. Et puis était finalement revenu dessus suite à sa blessure durant sa préparation.

Ainsi Simon, plus discret, pouvait paraître moins ambitieux. Pourtant, si l’on regarde ses classements, ce qui lui arrive est plus que mérité. En effet, depuis 4 ans, il est extrêmement régulier. Pas souvent glorifié, il n’en est pas moins tous les ans dans le top 10, voir le top 5 certaines années. Il tournait donc régulièrement autour de la tête de classement sans jamais réussir à s’y hisser. Mais quelques mois après avoir réussi à monter sur la plus haute marche du podium, il ne lui restait plus grand chose à aller chercher dans sa discipline. En effet, seuls manquent à son palmarès des titres individuels aux mondiaux, Jeux Olympiques et le classement général de la coupe du monde.
Dossard jaune porté : 1 jour, pour l’instant.
« C’est quelqu’un qui mérite ce qui lui arrive parce qu’il a souvent tourné autour pendant sa carrière. »
Emilien Jacquelin
Et dans le biathlon actuel, si le classement général est pratiquement impossible à gagner, même gagner le dossard jaune pour une course est devenu très complexe depuis de nombreuses saisons.
2009-2012, où l’absence de réelle domination

Avant la saison 2012-2013, il n’y avait pas de réelle domination. Le dossard jaune passait sur plusieurs épaules tout au long de la saison, ou bien il était disputé par deux concurrents au titre qui se l’échangeaient. Les années avec une vraie domination sur la saison existent, mais elles sont en minorité et ne se répètent pas plusieurs années de suite et encore moins avec les mêmes biathlètes. Avant, il n’est pas rare de voir trois biathlètes différents porter le dossard au long de la saison ou de nombreuses inversions de propriétaires.
Si l’on part au début de la dernière décennie, le dossard jaune passe sur les épaules de huit biathlètes sur l’équivalent de 3 saisons. La saison où le phénomène est le plus présent reste celle 2009-2010 où cinq biathlètes différents se le partagent avant que Svendsen ne remporte le gros globe. L’américain Tim Burke le porte deux jours. Il est par la suite médaillé à des mondiaux. Evgeny Ustyugov le porte six jours. Multiple médaillé aux Jeux Olympiques et aux mondiaux, il est récemment tombé pour dopage. L’autrichien Christoph Sumann le gagne aussi. Il l’obtient trois jours. Jamais champion du monde ou olympique, il est plusieurs fois médaillé et est détenteur d’un petit globe de l’individuel.
C’est lors de cette saison que Simon Fourcade aurait dû le porter. Mais à la fin c’est le norvégien Emil Svendsen qui termine avec le globe. Multiple champion du monde et olympique, il est l’un des principaux concurrents à la course au titre avec Martin Fourcade. Trois fois second derrière lui, il reste certainement la principale victime de sa domination.

La saison suivante, Svendsen ne parvient pas à continuer sur sa lancée et c’est Tarjei Bø qui s’impose. L’ainé des frères Bø a une carrière faite de hauts et de bas, mais il ne lui manque que l’or olympique en individuel pour compléter sa collection de trophées.
La première saison qui consacre Martin Fourcade est également sous l’ancien modèle. Le maillot passe sur les épaules de quatre biathlètes différents se l’échangeant à de nombreuses reprises. Parmi eux, le suédois Carl Johan Bergman. Souvent autour du top 10, il ponctue sa saison par deux médailles aux mondiaux, signe que la récupération du dossard jaune cette année-là n’était certainement pas le fruit du hasard.
Mais depuis 2012, il est devenu bien plus difficile de gagner le dossard jaune que cela pouvait l’être auparavant.
« Quand on regarde sur les 15 dernières années, ce ne sont que des grands noms qui l’ont porté. »
Simon Desthieux pour le Dauphiné Libéré
2012-2018, où les années Fourcade

A partir de son premier titre, Martin Fourcade ne laisse plus que des miettes à ses concurrents. Il passe pratiquement 6 ans vêtu course après course de jaune. Sur la période, il passe trois années entièrement en jaune et sur deux des autres, ce sont les gagnants des premières étapes qui peuvent en profiter. C’est le cas en 2015 et 2017 quand Ole Einar Bjørndalen et Johannes Bø gagnent la première étape. Le fait que le premier fasse ensuite immédiatement un podium, lui permet d’avoir la chance de le garder une seconde journée.
Seule anomalie sur la période : sa saison 2014-2015. En effet, le norvégien Emil Svendsen arrive alors à le concurrencer. Cela s’explique par sa préparation. L’été 2014, Martin Fourcade développe une mononucléose. Cette maladie a pour particularité de durer longtemps et de fatiguer énormément l’organisme. Elle est ainsi particulièrement handicapante pour un sportif de haut-niveau.
Sur ces six saisons, contrairement à la période précédente, les porteurs du dossard jaune sont les “plus grands”. En effet, ils sont tous soit vainqueurs du gros globe, soit le gagneront par la suite.
« Je trouve que c’est un beau symbole de le partager avec Johannes qui est un bel athlète et qui l’a porté de nombreuses fois. »
Simon Desthieux à Nordic Mag.
2018-2021, où les années Bø

Depuis 2018 et l’avènement de l’ère Johannes Bø, la même dynamique que sur les années antérieures se reproduit. Le cadet des Bø surdomine le circuit coupe du monde. Sur la période, seuls deux autres biathlètes ont pu lui ravir le dossard jaune et ainsi le revêtir : Martin Fourcade et Sturla Holm Lægreid.
Alors que l’on aurait pu penser que l’arrêt de la domination de Martin Fourcade permettrait d’ouvrir légèrement le circuit, ce n’est pas le cas. Sur les saisons 2018-2019 et 2020-2021, le dossard change de propriétaire uniquement grâce à une victoire sur la première étape de la coupe du monde. Par la suite, Johannes le récupère et ne le lâche plus. Cela reproduit donc exactement le même schéma que lorsque c’était Martin Fourcade qui gagnait.

(AFP/Marco BERTORELLO)
Seule la saison 2019-2020 dénote. Remis de ses soucis de santé de l’année précédente, Martin Fourcade profite d’impasses du leader du général pour récupérer le dossard. Mais là encore, pendant cette période, personne ne réussira à le ravir au français. Il finira par perdre la course au général lors de la dernière course, finissant ainsi sa carrière dans la couleur qu’il a plus portée que son habit classique.
Si l’on regarde la dernière décennie, entre le 15 décembre 2011, date où Tarjei Bø le ravît à Bergmann, et le 28 novembre 2020, moment où Sturla Holm Laegreid gagne l’individuel de reprise de Kontiolahti, seuls quatre biathlètes ont porté le dossard jaune. Quatre hommes se sont partagés le dossard pendant 3271 jours cumulés sur la période. Ces chiffres colossaux mettent en avant l’exploit immense que vient de réaliser Simon Desthieux en réussissant à être leader du classement général. Encore plus qu’il est l’unique depuis Svendsen en 2014 à réussir à prendre le leadership alors que la saison est entamée.
« Comme je dis souvent, c’est plus facile d’y arriver en début de saison parce qu’il faut un peu de temps avant que les choses ne se mettent en place. »
2021-2022 ?
Le début de la saison 2021-2022 part sur les mêmes bases que la saison dernière. Alors que Johannes débute en jaune, Sturla Laegreid lui ravît dès la première course. Au départ de la troisième d’entre elles, ils sont pourtant deux à le porter sur leurs épaules : Simon Desthieux et le triple vainqueur du gros globe. Reste à voir si le fait que l’on soit dans une saison olympique va changer la donne. En effet, les biathlètes norvégiens semblent ne pas encore être à leur pic de forme. Peut-être que cela va permettre des ouvertures pour que d’autres biathlètes se parent de jaune. Ou bien Simon va peut-être réussir à le garder pour un temps. Affaire à suivre les prochaines semaines pour savoir si cette saison sera à la mode 2009-2012 et avant ou plutôt 2012-2021.