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NFL: Frank Reich et l’irrésistible attaque des Colts

C’est un rendez-vous devenu annuel. Après un mauvais départ à chaque début de saison, les Colts finissent toujours très fort. Cette année encore, après une défaite en Overtime face aux Ravens de Lamar Jackson, Indianapolis s’est retrouvé avec un bilan de 1-4 qui laissait pessimiste pour le reste de la saison. Et encore une fois, Frank Reich et les siens n’ont pas paniqué, ont continué à développer leur attaque autour de leur nouveau QB. Le résultat est, depuis quelques semaines, l’un des plus emballant que le coach ait pu nous proposer depuis qu’il a pris la tête cette équipe.

Le jeu de course en point de départ

Bien sûr, il serait difficile de faire un article sur l’attaque des Colts sans évoquer leur jeu au sol. Jonathan Taylor est l’actuel leader en yards à la course et sert de rampe de lancement à tout ce que Reich souhaite exécuter via les airs. La beauté de l’attaque des Colts réside dans la synergie absolument parfaite et chirurgicale entre la course, la passe et les actions qui permettent de lier les deux.

Un peu d’honnêteté intellectuelle ne fait pas de mal: les schémas de blocs ne sont pas ma partie préférée du jeu à étudier. Mais il est facile de regarde la ligne offensive des Colts et d’apprécier la diversité proposée. C’est varié, bien coordonné et… ça casse des bouches. Quenton Nelson est blessé mais garde une place bien confortable dans l’élite de sa position, Ryan Kelly est en train de devenir l’un des trois meilleurs Centres de la ligue, et le duo Smith-Fisher sur les extrémités de la lignes remplit parfaitement son rôle. Il faut ajouter à ça un duo de TE Doyle-Alie Cox pas en reste pour déménager et même l’un des meilleurs WR bloqueurs en la personne de Zach Pascal.

La plupart des équipes se spécialisent dans un type de schéma de course particulier: zone, duo, gap, power… Les attaques préfèrent souvent se perfectionner dans un domaine plutôt que d’être polyvalent. Ce n’est pas le cas des Colts. Quand on voit Carson Wentz derrièrele Centre et Jonathan Taylor prêt à recevoir la gonfle, il faut être prêt à tout. Indianapolis peut autant opter pour une course intérieure et appuyer sur la puissance de Nelson et Taylor, que pour une outside zone grâce à ses bons bloqueurs sur le périmètre.

La course peut passer par des schémas “classiques” et éprouvés, ne serait-ce que parce que la qualité des joueurs se suffit à elle-même. Ici, rien de fantaisiste puisqu’il s’agit d’une course en zone comme on en fait des centaines par semaines. Les Bills jouent avec deux Safeties en profondeur du terrain, ce qui laisse 6 joueurs dans la boîte. Cela permet d’avoir des 1 contre 1 sur l’ensemble de l’action. Les bloqueurs des Colts assurent leur 1v1 et Taylor n’est pas touché jusqu’à ce que le premier Safety arrive. Trop tard, 1st & 10.

Mais les Colts étant créatif, ils peuvent aussi avancer de manière moins conventionnelle. Comme ici, sur ce petit twist: c’est cette fois Nyheim Hines qui prend la course en lieu et place de JT, histoire d’ajouter un élément de surprise… Les défenseurs suivent naturellement Jonathan Taylor et un trou béant s’ouvre pour le deuxième RB des Colts. On est donc sur un trick play qui permet à un RB de courir derrière sa ligne offensive avec une défense déjà décalée hors de l’action malgré elle… Du grand art.

Avec leur TE notamment, les Colts créent beaucoup de mouvement autour de la ligne offensive, si bien qu’il est difficile pour la défense d’anticiper où la course est faite pour aller. Il est compliqué d’user d’autant de schémas de courses et de rester parfaitement coordonné, mais c’est bien ce que les Colts arrivent à faire. Jonathan Taylor est un excellent RB, mais la ligne offensive et les schémas de blocs devant lui méritent une mention particulière.

Un groupe de joueurs modulables…

A quoi on reconnaît une bonne attaque? Je ne sais pas. Merci d’être venu à mon TedTalk.

Bon allez, plus sérieusement. Une attaque qui marche, c’est une attaque qui est constamment en mouvement. Que ce soit avant ou après le snap, les meilleures attaques sont capables de changer leur formation ou l’action prévue sans perdre en qualité. Que ce soit pour aider le QB dans ses lectures, pour trouver un matchup avantageux ou dévoiler les faiblesses d’une défense, une attaque se doit d’être modulable. Et ça, Frank Reich le comprend mieux que quiconque. Avec son GM Chris Ballard, ils ont pris le temps d’assembler un roster homogène rempli de joueurs spécialistes du dépassement de fonction. On a déjà évoqué Zach Pascal et les TE, capables d’être d’excellents bloqueurs sur une action puis d’offrir des solutions viables à la passe sur la suivante. Citons également Nyheim Hines, un RB/KR à la vitesse supersonique et excellent coureur de tracé, ou Kylen Granson, rookie TE de SMU au profil de big slot.

L’avantage quand on possède des profils aussi uniques que variés, c’est que lorsque le coach responsable de faire fonctionner tout ce beau petit monde est aussi créatif que le HC des Colts, cela peut vite tourner au cauchemar pour les coaches adverses. Tenez, par exemple:

Est-ce qu’on peut être excité en voyant une passe incomplète? Laissez-moi vous prouver que oui. En haut de l’écran, avant le snap, les Colts sont en bunch formation avec les trois receveurs suivants: Mo Alie-Cox, Nyheim Hines et Zach Pascal. L’action appelée est une passe écran pour Hines. De l’autre côté, la défense est en zone et n’a donc que 2 Defensive Backs en face. Récapitulons donc: vous avez un RB ultra rapide qui a le ballon, et deux défenseurs (légers) à bloquer devant lui. Pour les bloquer, vous avez un TE de 2m et l’un des trois meilleurs receveurs bloqueurs de la ligue. Si le ballon arrive jusqu’à Hines, c’est très probablement un TD de 70 yards pour Indy. Pour les Bucs, on est à un saut de Mike Edwards près de la catastrophe. Sur le tableau noir en tout cas, c’est brillant de pouvoir offrir ce genre d’action.

…Pour faire enfin briller Carson Wentz

Le 17 mars dernier, les Colts échangeaient un 3e tour de draft 2021 et un 1er 2022 pour le QB Carson Wentz avec les Eagles de Philadelphie. Wentz, avant cela, sort de la pire saison de sa carrière et après avoir tutoyé le MVP en 2017, sa descente aux enfers semble achevée. Tant et si bien qu’avec son contrat massif, on ne sait même pas si les Eagles arriveront à s’en débarrasser à moindre coût. Quand la nouvelle tombe, le monde de la NFL est surpris de voir qu’ils ont bien réussi à le faire, mais surtout à récupérer un capital draft jugé colossal pour le QB! C’est un excellent coût pour Philly. Pour les Colts, le Front Office mise énormément sur la capacité à reconstruire Wentz.

Mais du côté d’Indianapolis, on est confiant. Car la saison quasi-MVP de Wentz avait été orchestrée notamment par son coordinateur offensif de l’époque… Frank Reich. Et personne ne semble capable de faire ressortir le meilleur chez le Carson que Reich. Le plan du génie offensif, pour ce faire, semble désormais clair. Profiter de la course au maximum en créant un système de play action et RPO qui ouvre à Wentz des fenêtres de tirs multiples.

Depuis une formation à 3 TE qui semble faite pour la course, les Colts peuvent décider de passer de manière agressive en attaquant la profondeur du terrrain. Ici les Bucs jouent en Cover 3 (vous savez, Seattle, Richard Sherman, Earl Thomas, etc…) Le CB en haut de l’écran est donc responsable de tout tracé extérieur en profondeur. Donc de ce que court le receveur Ashton Dulin. Le FS (Antoine Winfield) devrait être capable de l’aider, mais le tracé intermédiaire de Kylen Granson l’oblige à “driver” dessus, sinon Wentz aurait une passe de 25 yards complètement ouverte. Sauf qu’en choisissant de défendre cette passe, Winfield laisse son compère en 1 contre 1. Autre problème, le tracé de Dulin s’avère être beaucoup plus à l’intérieur qu’il ne le faisait croire, et met donc son défenseur en désavantage. Wentz lit la réaction de Winfield, prend sa décision, et rendez-vous en End Zone.

Soit dit en passant, Dulin et Granson totalisent à eux deux, à ce moment précis, 158 yards en réception cette saison. Pour attaquer la défense des champions en titre avec ces deux joueurs, il faut un certain grain de folie que Wentz et Reich possèdent.

A côté de ça, tout est fait pour faciliter les lectures de Wentz. Pré snap: motions ou changements complets de formation, les Colts veulent forcer la défense adverse à dévoiler ses cartes. Wentz est un joueur très intelligent et sait déchiffrer ce qu’il voit. Déplacer Hines dans le slot, rapprocher Pascal de la formation, changer la “force” de la formation en changeant un TE de côté… Tout y est. Post snap: c’est là que Reich adore sa RPO. Il y a trouvé un excellent remède aux tendances trop agressives de Wentz. La RPO, en plus d’être efficace, pousse Wentz dans un jeu qu’il rechigne d’habitude: le quick game. Wentz n’aime normalement pas les passes courtes (je généralise, je sais). Mais en y insérant un élément de lecture rapide, Reich a réussi à le rendre excellent dans ce domaine.

Si je parle autant de la RPO, c’est parce que ce n’est plus une action que l’on sort de son sac pour jouer la surprise, mais bien un concept à part entière du football actuel. A tel point qu’elle se mélange souvent avec le jeu de course. Reich l’a expliqué dans sa conférence de presse suite au match contre les Bucs: si les Colts n’ont pas beaucoup couru en 2e période, c’est parce que les courses appelées étaient des RPO et que les Bucs choisissaient systématiquement de défendre la course. Comment faire avancer le ballon dans ces cas-là? En passant. Sur l’action du fumble de Zach Pascal, le résultat final est décevant mais tout ce qui précède montre parfaitement l’intérêt de ces actions. Wentz doit lire Shaq Barett et décider de l’action en fonction de la réaction de l’Outside Linebacker.

Puisque Barett se rue sur le coureur, Wentz peut garder le ballon et doit lancer le ballon rapidement. Sur sa droite, l’action incorpore un Stick-Flat concept, une combinaison de base du quick game. Ici, on met le DB Mike Edwards, responsable de cette zone du terrain, en conflit. Vu qu’il suit le tracé Flat, le tracé Stick de Zach Pascal est tout ouvert et offre une solution que Wentz saisit. Si Pascal ne fumble pas par la suite, c’est un très bon gain de 7-8 yards qui garde les Colts en rythme.

On dit souvent qu’en NFL, le but d’un coach n’est plus d’inventer de nouveaux concepts tactiques. Il est plutôt de recycler les anciens concepts et leur donner un nouveau look, les amener différemment. En un siècle d’existence, la NFL a vu passer de trop nombreux schémas pour qu’il reste beaucoup à créer. Une bonne attaque se doit maintenant de choisir les actions à privilégier dans le playbook et à la manière de les insérer dans chaque match. C’est un peu comme quand on dit que c’est avec les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, sauf que maintenant, on habille mieux le pot. Et quand ça marche, le mélange de tactiques éprouvées par le temps et réadaptées à de nouveaux profils de joueurs et de coaches peut être magnifique. Frank Reich l’a bien compris, et avec un QB qui, cette fois, semble prêt à donner un nouveau plafond à son équipe, les Colts peuvent être optimistes.

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