Ce week-end a lieu, en main event de l’UFC 269, l’un des combats les plus attendus de l’année : l’affrontement entre le champion des Légers, Charles Oliveira et son challenger numéro un, Dustin Poirier. Rencontre au sommet qui sacrera l’homme fort de la catégorie des moins de 70kg. Qu’on peut appréhender comme un duel entre outsiders, deux combattants qui ont mis du temps à s’imposer autant dans leur discipline que dans l’esprit des fans. Comme en témoigne le parcours chaotique de l’américain, éternel underdog qui, en dépit d’un incroyable palmarès et d’une constante présence parmi l’élite de la catégorie, commence à peine à recevoir le respect qu’il est en droit de réclamer.
Puisque même en étant devenu le premier homme à battre deux fois McGregor (ainsi que le premier à le mettre k.o.) et, à cette occasion, avoir obtenu une nouvelle reconnaissance tout à fait inédite pour lui, beaucoup considèrent encore que le résultat des combats provint moins de son fait que de l’attitude d’un Conor ayant pris par-dessus la jambe leur confrontation de janvier (payant ainsi cash l’inactivité de ces dernières années) et ne devant qu’à sa dramatique blessure la défaite subie lors de l’UFC 264. Ce qui n’est, certes, pas tout à fait faux. Mais pas tout à fait vrai non plus, tant il semble injuste de balayer sous le tapis les performances d’un Dustin Poirier qu’on avait rarement vu aussi déterminé.
C’est que, sans lui manquer de respect, il a souvent, malgré lui, donné l’image d’un combattant valeureux mais ni suffisamment talentueux ni assez fort mentalement pour pouvoir prétendre aux premières places des classements. La faute principale à une hyper-émotivité qui l’a souvent fait déjouer avant les grands rendez-vous et totalement passer à côté de ses combats importants. On se souvient à cet égard du documentaire Fightville (datant de 2011 et qui fait un état des lieux des fighters de MMA de Louisianne d’alors), dans lequel il apparaît en jeune chien fou pressé d’en découdre, presque au mépris de toute tactique ou la plus élémentaire prudence. Agitation qu’il a souvent payé au prix fort et dont on a longtemps pensé qu’elle empêcherait toute progression de sa part.
Dustin Poirier, ça a ainsi longtemps été ça. Un nom sur lequel on pouvait compter pour assister à une spectaculaire bagarre mais dont on doutait qu’il atteindrait un jour les cimes de sa discipline. Avec pour preuves chaque défaite encaissée dès lors qu’il se voyait confronté à une adversité un peu relevée. Ces Korean Zombie, Cub Swanson, Conor McGregor ou Michael Johnson contre qui il mordit la poussière et dont on pouvait constater qu’ils constituaient son plafond de verre.
Mais l’homme s’est accroché, jusqu’à entamer le second chapitre de sa carrière et, ce faisant, révéler son vrai coeur. Son passage chez les Légers (où il a enfin pu arrêter de se flinguer la santé pour atteindre la limite de poids) et, surtout, un immense travail sur lui-même l’ont aidé à passer un cap. Parvenant à juguler son impulsivité, contrer son mental souvent friable, tenir en laisse cette propension à se laisser déborder et bouffer par l’émotion les soirs d’event. Et s’il avoue encore connaître le stress avant un combat, il réussit désormais à le transmuer en positive agressivité (le meilleur des carburants) une fois dans la cage.
Il existe, à cet égard, un fascinant passage dans l’un des épisodes de UFC Embedded 264 (ces petits segments dévoilant les coulisses de l’organisation et de l’intimité des combattants avant un event). Durant une interview, Poirier laisse échapper, sans même y faire attention, ce qui le définit en tant que pratiquant. N’aimant rien tant, affirme-t-il au journaliste, que rencontrer quelque chose à surmonter. Un problème à résoudre. Un obstacle à contourner (ou foutre en l’air). Ce qui dit tout de ce qui est devenu sa philosophie de vie. Lui qui s’est fait dans l’adversité, à qui rien jamais n’a été offert et qui est, lentement, devenu grand en affrontant difficulté après difficulté, accueillant chaque revers comme occasion d’apprendre et d’évoluer.
C’est véritablement ce qu’on perçoit de lui, l’aura qui en fait un guerrier aimé de tous et définit à merveille son surnom de diamant – cette pierre, comme il aime le rappeler, qui ne parvient à sa forme définitive qu’une fois pressurée. Il en émane désormais, en effet, quelque chose de brut, de laborieux, de perpétuellement en travaux. L’homme n’affiche pas cette fluidité des fighters pour qui le haut niveau semble aller de soi. Ces McGregor, Adesanya, Dominic Cruz, Jon Jones ou Khabib à qui les titres semblaient promis et qui évoluent avec aisance parmi l’air raréfié de leur discipline. Poirier ressemble plus à des gens tels Miocic, Whittaker ou Holloway (liste non exhaustive). Des combattants pour qui rien n’a jamais semblé facile, qui ne présentent pas de don inné et qui ont du gagner, pas à pas, chacune de leur bataille. Les galériens du sport, tombés sept fois mais relevés huit.
Poirier, peut-être plus encore qu’un autre, revient de loin. Lui en qui personne ne croyait (et moins encore après ses défaites subies en 145 lbs) et qui n’a du qu’à son inébranlable volonté d’être là où il en est aujourd’hui. Parcours qui en fait un modèle pour les tous les besogneux de la Terre, quelque chose comme le Rocky Balboa du MMA. Le col bleu sans talent particulier qui mord la poussière et ne continue que mû par une inflexible confiance en lui et en son destin.
C’est marche après marche, déconvenue après déconvenue, dans une reconstruction permanente de lui-même, qu’il est parvenu à devenir le combattant presque complet qu’il est aujourd’hui. Très bon au sol (en témoigne sa ceinture noire en jjb), redoutable en striking (où sa boxe, alliant puissance et volume, lui permet de livrer ses guerres habituelles), animé d’une concentration lui permettant de ne plus se désunir, porté par un cardio cinq étoiles et surtout sans aucune peur dès qu’il s’agit d’aller au charbon. Son pouvoir spécial. Cette volonté d’airain qui en fait le barbare admiré des foules qu’il est devenu (et le rapproche, encore, d’un Rocky).
Poirier, c’est désormais ce gars lancé dans des guerres de tranchées qui ne baisse plus pavillon, aussi près du gouffre passe-t-il. En témoignent les batailles rangées contre Gaethje, Alvarez, Holloway ou Hooker : des combats de pitbulls allant au bout de la violence, dans lesquels on aurait pu l’imaginer perdre pied, il y a encore quelques années. Et qu’il met aujourd’hui un point d’honneur à remporter, lui qui encaisse et remise, sans fin, jusqu’à rester le dernier homme debout.
Ce qui peut expliquer que, même devenu l’une des figures-phare de sa catégorie, même détenteur d’une ceinture intérim, même ayant déjà combattu pour le titre, il conserve cette aura d’outsider, de charbonnier, d’éternel second couteau. Ce dont lui, loin de le prendre pour un manque de respect, se nourrit. Comme s’il avait besoin de cette fameuse pression (celle, rappelons-le, dont sont faits les joyaux) pour se sublimer. De sentir le monde entier contre lui, les côtes des bookmakers en son absurde défaveur. Comme un Rocky (toujours lui) qu’on sent presque déplacé sur le toit du monde. Un héros américain presque par défaut. Parti de rien, bosseur acharné, qui encaisse les défaites comme un bonhomme mais n’affiche aucune honte à pleurer quand elles arrivent, créateur d’une fondation de charité et à qui personne n’en veut quand il a ouvertement préféré l’argent à la postérité (en prenant ce lucratif troisième combat avec McGregor plutôt que le title-shot contre Oliveira). Le reste, les mirages de la célébrité, la superficialité de la gloire, il laisse ça à qui ça peut intéresser. Lui ne s’épanouissant que dans les affres de l’entraînement puis la vérité de la cage, la seule qui ne mente pas.
En parvenant à de nouveau battre McGregor (son opposé absolu en terme de personnalité), on peut penser qu’il a ainsi apaisé certains des démons qui le hantaient depuis des années. Jusqu’à désormais faire émaner de sa personne un inédit sentiment de sérénité. Comme s’il avait, enfin, réussi à répondre à certaines des questions qui le tourmentaient depuis toujours. Et s’il s’empare, samedi, de cette ceinture depuis si longtemps convoitée, ce sera comme l’idéale fin d’un conte de fée. L’apothéose de celui dont personne n’attendait rien et qui décroche la récompense suprême. Le happy-end parfait. Le destin américain dans toute sa splendeur – celui qui pousse un homme à s’accomplir dans l’adversité. Qui pour parier que Stallone est déjà sur le coup d’une adaptation en film ?