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Des latéraux old school aux pistons à la mode

« Je suis Brésilien, et puis les gens qui viennent au stade veulent voir des buts. » Ancienne star du Real Madrid des Galactiques et de la grande Seleção, Roberto Carlos décrit parfaitement les attentes du public envers le football d’aujourd’hui qui fait la part belle aux joueurs offensifs. Cette mutation du jeu s’est accompagnée de l’évolution de plusieurs postes dont celui des latéraux, aujourd’hui parfois renommés « pistons ».

Le révolution des latéraux et la résurrection d’un système de jeu

Très critiqué pour ses actions défensives lors de son passage à l’Inter de Milan, Roberto Carlos réussit à se faire un nom au panthéon des défenseurs au Real Madrid. Du défenseur latéral brésilien, nous retenons surtout ses chevauchées virevoltantes dans le couloir gauche merengue, ses centres millimétrés et ses frappes de mule, dont Barthez (et les plus férus de physique) cherche encore à en comprendre le secret.

De 1996 à 2007, il inscrit 70 buts et 90 passes décisives en 527 matchs au Real Madrid. Au vu de ses statistiques, on pourrait presque croire qu’il n’est pas un défenseur. Et si Carlos Alberto, célèbre latéral brésilien des années 1960-1970, a été le pionnier de ce changement, Roberto Carlos fut le principal détonateur de sa véritable transformation et de sa redynamisation qui s’opère dans le football moderne.

Roberto Carlos lors de la finale de la Coupe du Monde 2002 contre l’Allemagne (Crédits : Matthew Ashton/EMPICS)

De nombreux latéraux de grande qualité ont émergé au niveau professionnel au cours de ces dernières années. Cependant, ils restaient perçus comme des ailiers « ratés » au niveau amateur et comme des joueurs peu influents sur l’équipe. Autrefois délaissé par les observateurs mais aussi les entraineurs et les joueurs, ce poste n’attirait pas. Les latéraux étaient uniquement considérés comme de fidèles lieutenants, sans réelle valeur ajoutée. On n’attendait pas grand-chose d’eux mis à part d’effectuer un travail de couverture défensive des deux couloirs. Sûrement pas de créer des différences et des surnombres en phase offensive. Avec le renouveau de ce poste s’accompagne le retour des systèmes à trois défenseurs centraux (3-5-2, 3-4-3 ou encore 3-4-2-1), souvent oubliés par les entraîneurs dans le football des années 2000 au profit des systèmes à quatre défenseurs, qui limitaient l’apport offensif des latéraux.

« Quel enfant veut jouer à ce poste ? Pas moi »

Glen Johnson, ancien latéral droit aux 54 sélections avec les Three Lions

Des relances plus courtes pour des actions plus construites

Ces dispositifs sont revenus sur le devant de la scène pour plusieurs raisons. La modification de certaines règles et l’évolution de la vision du poste de gardien de but en font partie. Le gardien de but peut désormais relancer le ballon vers ses défenseurs présents dans sa surface de réparation, favorisant le lancement d’actions construites dès la remise en jeu. Ainsi, les gardiens sont plus sollicités dans le jeu. On observe moins de dégagements lointains, qui aboutissent rarement sur une action de jeu. L’exemple le plus frappant dans notre Ligue 1 est celui de Pau Lopez, gardien titulaire de l’OM, promu au détriment de la légende phocéenne Steve Mandanda. Le gardien espagnol s’illustre par sa dextérité et son anticipation sur la ligne depuis le début de la saison, mais aussi par son jeu au pied court qui est très précis : il affiche un taux de réussite à 98,82 % !

Les entraîneurs demandent alors à leurs joueurs défensifs d’écarter au maximum pour relancer plus court sur les ailes. De cette manière, l’adversaire doit presser plus haut sur le terrain pour récupérer un ballon. Ces phases de pressing offrent des solutions de passes aux défenseurs pour casser les lignes, si elles sont bien gérées. Il sera alors plus facile et plus rapide de provoquer des situations offensives, avec la possibilité de jouer dans le dos d’un bloc adversaire très haut.

Pour créer le surnombre dans les couloirs, ces systèmes ont l’avantage de permettre à ces pistons de proposer des solutions offensives à leurs défenseurs centraux lors des phases de relance, mais aussi à leurs milieux de terrain centraux afin d’amener le danger dans la surface adverse. Des jeux en triangle sont possibles et des situations de un contre un peuvent être offertes aux attaquants.

Créer de l’espace apparaît aujourd’hui comme un élément primordial pour performer dans le football moderne. Les espaces et les temps laissés disponibles aux joueurs se sont considérablement réduits. Dans le même temps, les joueurs ont énormément progressé dans le domaine physique, tactique et technique. Cette évolution du poste et des systèmes de jeu a provoqué de nombreuses modifications dans la formation des futurs latéraux.

Au niveau des entraînements, on observe plus d’exercices techniques, plus de travail sur les centres et plus de situations de jeux en triangle, très efficaces pour combiner dans les couloirs. Autrefois, « 60 à 70 % de l’entraînement était défensif. Les joueurs d’aujourd’hui commencent avec une base technique et apprennent l’aspect technique plus tard », expliquait l’ancien Mancunien et latéral Gary Neville dans le Daily Telegraph en 2014.

Une complémentarité nécessaire pour garder le contrôle des couloirs

Le FC Barcelone de la fin des années 2000 n’évoluait pas dans un système à trois défenseurs. Néanmoins, nous pouvons citer l’exemple de Dani Alves et Éric Abidal qui ont participé à l’évolution des joueurs de couloir. Le premier affectionnait les situations offensives dans la surface adverse. Le second se chargeait d’équilibrer le bloc en phase défensive et compensait l’absence de son compère lors des contre-attaques adverses. Sur la saison 2010/2011, les statistiques sont équivoques en ce sens. Dani Alves a inscrit 2 buts et 15 passes tandis qu’Eric Abidal est resté muet au niveau des passes et des buts.

La heat map de Dani Alves lors de la saison 2014/2015 qui démontre son implication offensive et défensive (Crédits : Sofascore.com)

L’un des deux pistons se doit de rester sur la même ligne défensive que ses trois défenseurs pour compenser la montée de son alter ego. Le bloc peut se retrouver en difficulté et désorganisé si les deux pistons montent ensemble. En cas de contre-attaque, des situations de un contre un dangereuses risquent alors de surgir.

Ainsi, certains entraîneurs privilégient l’utilisation d’un piston plus offensif sur l’un des côtés, allié à un piston plus axé sur la défense de l’autre côté. Les pistons ont pour mission d’anticiper les courses des ailiers adverses. Suivre le bloc équipe quand celui coulisse d’un côté à un autre fait également partie de leur poste. En procédant ainsi, tout le bloc a la capacité de diminuer les solutions de passe pour l’adversaire et, par conséquent, d’ouvrir des zones où le piston opposé pourra effectuer un pressing lorsque le jeu basculera de l’autre côté.

Illustration ici avec les Strasbourgeois qui s’ouvrent une potentielle zone pression en faisant coulisser tout le bloc pour limiter les solutions de passe (Crédits : Amazon Prime Vidéo)

Un poste élitiste parfois difficile à apprivoiser

Ce poste implique d’avoir de grandes qualités athlétiques. Les latéraux doivent être capables d’effectuer des allers-retours incessants pour occuper une fonction offensive mais aussi défensive. Le piston est dépositaire de son couloir et doit participer au jeu bien plus que dans le football d’antan. Une grande rigueur tactique et un grand sens du placement et de l’anticipation est nécessaire. En effet, il faut pouvoir compenser la grande débauche d’énergie que requiert cette position sur le terrain. Pour toutes ces raisons, certains joueurs ont du mal à adapter leur jeu à ces systèmes car ils possèdent des qualités différentes.

L’an passé, Villas Boas utilisait un système à quatre défenseurs pour sa défense à l’OM. Jordan Amavi était alors un titulaire indéboulonnable dans le couloir gauche. Depuis l’arrivée de Jorge Sampaoli et ses schémas hybrides à trois défenseurs, Amavi est cantonné à un rôle de remplaçant. Le tacticien marseillais a justifié ce choix en expliquant que « certains joueurs ne se sont pas adaptés » au système. En effet, Amavi a tendance à effectuer des allers-retours de façon linéaire sans parvenir à créer le surnombre sur l’aile. Cet apport offensif faible ne lui permet plus de compenser ses lacunes défensives. Son retour à l’OGC Nice est la résultante de cette incompatibilité avec le système et le plan de jeu marseillais.

À l’instar de l’ancien marseillais, Benjamin Pavard pourrait aussi faire les frais d’un passage à un système de ce type en équipe de France. Didier Deschamps a, en effet, opté pour ce système de jeu lors des derniers matchs internationaux de 2021. À gauche, les qualités physiques et techniques de Théo Hernandez éclipsent actuellement toute concurrence. À droite, les positions sont moins arrêtées. Mais Kingsley Coman, dont l’apport offensif est indéniable, a une grosse carte à jouer si son corps le laisse tranquille. Les performances de ces deux joueurs mettent en lumière les limites du latéral munichois (défenseur central de formation, rappelons-le) à performer dans ce système. Benjamin Pavard n’est, en effet, ni le plus rapide, ni le plus technique, ni le plus offensif des latéraux.

Benjamin Pavard n’est plus le titulaire indiscutable qu’il était lors de la Coupe du Monde en Russie (Crédits : Football 365 / Arnold Fortin)

Ces changements tactiques, techniques et physiques qui doivent s’opérer chez les joueurs passent par une formation adaptée dès le plus jeune âge. Dans le football hispanophone, les centres de formation accordent énormément d’importance aux latéraux et les intègrent tôt chez les seniors. En Angleterre, la paire Robertson – Alexander Arnold prouve que les latéraux sont désormais aussi important qu’un numéro 9. La prochaine évolution du poste pourrait bien s’effectuer avec une progression dans les situations de un contre un. D’autres pistes sont également à explorer, comme l’utilisation des latéraux faux-pieds.

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