Grand absent de cette Coupe d’Afrique des Nations 2022, la Zambie regardera la compétition à la télévision. Une contre-performance de marque quand on connaît les vestiges laissés par les Chipolopolos dans l’histoire de la CAN. Vainqueurs en 2012, ils sont surtout les finalistes symboliques d’une édition 1994 unique. Décimés par un terrible crash aérien le 27 avril 1993, ils parviennent à construire une équipe à la hâte et à tenir leur place en Tunisie. Les Zambiens, habités par un supplément d’âme, arriveront jusqu’en finale. Un exploit qui reste aujourd’hui l’une des plus grandes performances de l’histoire des compétitions internationales.
Une génération dorée
À l’aube du printemps 1993, la Zambie s’apprête à créer l’exploit. Après avoir triomphé d’un groupe composé de Madagascar, la Namibie et la Tanzanie, les Chipolopolos doivent affronter le Sénégal et le Maroc en deuxième poule. Dernière étape avant le rêve américain et un premier mondial. Et les Zambiens peuvent créer la surprise.

Composée de ce qui est pour beaucoup la plus belle génération de l’histoire du pays, la sélection sort de plusieurs performances notables. Six d’entre eux étaient déjà présents lors de la victoire 4-0 contre l’Italie aux JO de 1988. Huit étaient arrivés à la troisième marche du podium à la CAN 1990. Enfin, onze d’entre eux ont échoué en quart de finale de l’édition 1992. La formation est composée majoritairement de joueurs évoluant au sein du championnat national. Le tout complété par deux éléments jouant en Europe : Charly Musonda (Anderlecht) et Kalusha Bwalya (PSV).
La Zambie, aguerrie et forte de ses échecs, semble mieux armée que jamais pour aller chercher l’exploit. Face à elle se dresse le Sénégal, à la conquête de sa première participation à un mondial. Le Maroc vient compléter le groupe et fait figure de grand favori.
La terrible nuit du 27 avril 1993
L’opération coupe du monde commence au Sénégal pour les “Boulets de cuivre”. Pour s’y rendre, la Fédération de Zambie décide de ne pas prendre un vol commercial mais d’emprunter à l’armée un de ses avions. Le long trajet de 6 000 kilomètres doit être entrecoupé de trois arrêts : Brazzaville (Congo), Libreville (Gabon), et Abidjan (Côte d’Ivoire). Le vol 319 de la Zambian Air Force décolle de Lusaka le 27 avril 1993 et réalise, sans encombre, les deux premières escales prévues.
Mais les choses se compliquent dès le décollage de l’aéroport de Libreville. L’escale gabonaise vire au drame. Alors que le moteur gauche prend feu, le pilote commet l’irréparable et coupe le moteur droit. L’avion, privé de toute puissance, tombe brutalement, et emporte avec lui les espoirs d’une nation toute entière. Aucun survivant ne sera retrouvé. Au total, trente personnes perdent la vie et laissent derrière elles des familles et un peuple inconsolables.
Seuls les deux Européens Musonda et Bwalya n’ont pas pris part au déplacement. Comme souvent dans ces situations, leur survie tient à très peu de chose. Le premier, blessé au genou, a été contraint de rester en Belgique pour préparer le prochain match d’Anderlecht. Quant à Bwalya, retenu par le PSV jusqu’à la dernière minute, il devait se rendre à Dakar par ses propres moyens.

Mais passé le chagrin vient le temps des questions et de la colère. Il faudra attendre dix longues années aux proches des victimes avant d’obtenir des explications. Une enquête, publiée en 2003 par le ministère de la Défense gabonais, fait état de plusieurs négligences à l’origine du crash. Le rapport explique dans un premier temps que le DHC-5 Buffalo avait déjà fait l’objet de plusieurs révisions durant les mois précédant le vol. De multiples anomalies y avait été détectées et il parait fou encore aujourd’hui qu’il était habilité à voler. Pire encore, des irrégularités liées au moteur sont signalées lors de la première escale à Brazzaville. Les décideurs n’en ont cure et choisissent de tenir les délais coûte que coûte pour rallier Dakar.
Et c’est peu après le décollage à Libreville que les choses se gâtent. Le moteur gauche prend feu, mais les pilotes ont la possibilité de le maîtriser depuis leur cockpit. Encore faudrait-il qu’ils soient avertis. Le système lumineux, censé signaler toute anomalie, est en panne. Les pilotes s’en rendent compte bien trop tard, et, dans un état de fatigue intense comme l’assure le rapport, coupent le moteur gauche. L’avion tombe à pic vers l’Atlantique, entraînant avec lui l’équipage, la sélection, et le rêve américain.
CAN 1994, un exploit historique
Mais les Chipolopolos sont éternels. Naturellement dévastés, ils doivent cependant poursuivre le travail de leurs défunts coéquipiers. Une mission World Cup 94 qui débute à peine deux mois après la tragédie, le 4 juillet 1993. Et face au favori du groupe, le Maroc, les Zambiens vont se sublimer et l’emporter 2-1. Mais malgré une seconde victoire 4-0 contre le Sénégal, ils ne pourront rien lors du match retour face aux Lions de l’Atlas (défaite 1-0), qui filent au mondial.
La déception est grande mais les Boulets de cuivre n’ont pas le temps de s’y attarder.
Avec une sélection construite à la hâte, la Zambie débarque en Tunisie pour disputer sa septième CAN. Portée par le deuil et le souvenir, elle y réalisera son meilleur parcours. Après un premier match de poule fade et fermé face au Sierra Leone (0-0), les Zambiens sont dans l’obligation de battre la Côte d’Ivoire pour espérer aller plus loin. Une victoire 1-0 permet aux hommes d’Ian Porterfield d’accéder aux quarts de finale. À Sousse, l’attend un Sénégal revanchard après sa défaite quelques mois plus tôt. Mais les Chipolopolos ne tremblent pas et s’imposent une nouvelle fois sur la plus petite des marges (1-0).

La poursuite d’un parcours déjà mémorable passe désormais par une victoire face au Mali en demi-finale. Portée par un Kalusha Bwalya plus que jamais leader de sa sélection, la Zambie ne fait qu’une bouchée des Aigles et file en finale (4-0). Le rendez-vous pour l’Histoire est pris le 10 avril 1994. Face aux Zambiens se dresse le Nigéria, déjà vainqueur de la compétition en 1980.
L’ouverture du score dès la troisième minute de Elijah Litana laissait entrevoir une issue scénaristique pour la Zambie. Mais, fort de son expérience, le Nigéria ne sombre pas et réagit. Un doublé d’Emmanuel Amunike permet aux Super Eagles d’inscrire une deuxième fois leur nom au palmarès de la compétition. La marche était trop haute mais l’essentiel est ailleurs. En moins d’un an, les Chipolopolos ont réussi à revenir sur le devant de la scène continentale. Habités par la douleur et un esprit d’intrépidité, ils sont devenus les héros d’une nation qui n’oubliera jamais ses trente disparus.
Dix-neuf ans plus tard, la Zambie se lance à l’assaut de la CAN 2012 organisée au Gabon. Après un parcours presque sans faute, les hommes d’Hervé Renard affrontent la Côte d’Ivoire en finale, grandissime favori. À l’issue d’un match fermé et surtout d’une séance de tirs-au-but interminable (8-7), les Éléphants craquent. Les Zambiens soulèvent le premier trophée de leur histoire à Libreville, au bout d’une nuit euphorique et à quelques kilomètres seulement du drame. Kalusha Bwalya ne pouvait rêver mieux.
