C’est une histoire digne d’un scénario hollywoodien. Qui fait écho avec la société d’aujourd’hui, car on y retrouve, le harcèlement moral. C’est l’histoire d’un joueur qui n’est pas un excellent patineur, ni un grand buteur. Pourtant, ce qui au départ, n’était qu’une blague, va se transformer en combat contre l’establishment de la LNH.
Le dindon de la farce

En 2015, la LNH annonce, encore une fois, que le format du match des étoiles va être à nouveau modifié. Exit l’affrontement entre les Conférences Est et Ouest. Désormais ça sera un tournoi 3v3, composé d’équipes représentant les 4 divisions de la LNH (Atlantique, Métropolitain, Pacifique et Centrale).
Cet énième changement de format, attise les critiques des puristes de la LNH. Leur colère va grandir. La LNH annonce que les votes des fans seront désormais limités à 4 joueurs : les capitaines de chaque équipe.
Entre en scène les premiers protagonistes de cette histoire. Deux journalistes spécialisés dans le hockey, Greg Wyshynski et Jeff Marek. Ensemble, ils présentent un podcast sur Sportsnet : Marek vs. Wyshynski. Lors d’un de leurs shows, ils discutent du fait que les partisans ne peuvent voter que pour 4 joueurs. Ainsi leur vient l’idée d’utiliser le vote pour envoyer un joueur qui n’a clairement pas sa place au All Star Game.
Le but est d’envoyer un message bien senti à la LNH. Mais qui pourrait convenir ? Ils cherchent un joueur qui n’est pas rapide, pas très habile avec ses mains, qui n’est pas précis. Quand soudain, un seul nom leur vient à l’esprit : John Scott.
John Scott : Héros malgré lui

Né à Edmonton en 1982. John Scott n’a qu’un rêve, comme beaucoup de petits canadiens, jouer dans la LNH. Malgré ses efforts, il comprend très vite qu’il ne sera pas une star. Toutefois, son physique impressionnant (2m03 pour 118kg) lui permet de décrocher une bourse universitaire à Michigan Tech. Avec l’équipe des Huskies, il comptera 19 points et 347 minutes de pénalité.
A la fin de sa carrière universitaire, il est agent libre, et se destine a entrer dans la vie active. C’est alors qu’il est recruté par le club de la ligue Américaine des Aeros de Houston.
Malgré ses lacunes en patinage et en passes, Scott passe des heures après l’entrainement pour s’améliorer. Malgré ses efforts, il ne semble pas en mesure de faire son trou dans l’effectif des Aeros. Les anciens défenseurs qui lui disent que la seule chose a faire c’est de devenir un bagarreur. Ces conseils ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Ainsi à la force de ses poings, John Scott prend de plus en plus de temps de jeu. Il l’avouera plus tard, il n’a jamais aimé se battre.
John Scott entre dans la grande ligue, en 2008 face aux Red Wings de Detroit. Il jouera 20 matchs cette saison là avec le Wild du Minnesota.
10 ans plus tard, Scott est devenu un journeyman dans la LNH. Après le Wild du Minnesota, les Blackhawks de Chicago, les Rangers de New York, les Sabres de Buffalo et les Sharks de San José, il signe en 2015 en tant qu’agent libre dans l’équipe des Coyotes d’Arizona.
Une blague qui prend de l’ampleur
Suite à leur show, Marek et Wychynski s’en retournent aux affaires courantes dans la LNH. Leur proposition n’était qu’une boutade. Mais certains auditeurs voient cette idée comme une façon de faire un gros doigt d’honneur à l’establishment de la LNH. Ainsi sur les forums, les supporters votent massivement pour John Scott.
L’intéressé, découvre l’ampleur de la situation par l’intermédiaire du gardien suédois Anders Lindbäck. Scott découvre qu’il est dans le top 30 des votes. Scott avouera quelques années plus tard, dans une interview pour l’émission Radiolab sur WNYC :“Ok, c’est drôle, on vote pour moi car je ne suis pas très bon. Dans quelques jours ça va se tasser”.
Mais les choses ne se tassent pas. Il grimpe à la 5ème place des votes et très vite se retrouve premier.
Un soir, alors qu’il est chez lui, il reçoit un SMS de la part du service communication des Coyotes. Ce message lui demande de faire une annonce, du style “qu’il est très honoré du support des fans, mais qu’il y a des joueurs plus méritants dans l’effectif”. En d’autres termes, les Coyotes lui demandent de laisser le All Star Game tranquille. Scott répond que la déclaration lui convient afin d’apaiser la direction des Coyotes.
Malgré tout, il déclare à Danielle, son épouse, qu’il a toujours rêvé d’aller au match des étoiles. Comme convenu, il écrit sa propre déclaration. Il annonce que si il est choisi par les fans, il sera heureux de participer.
Malgré l’annonce, le soutien des fans ne faiblit pas. Il caracole toujours en tête des votes. A tel point, que la LNH enlève le nombres de votes, car les chiffres en faveur de Scott écrasaient les autres joueurs.
Pression psychologique et coups bas
Quelques jours après sa déclaration publique, Scott reçoit un coup de téléphone de la part d’un membre haut placé de la LNH (il ne dira jamais qui était cette personne).
La discussion tourne évidemment autour de sa participation éventuelle au match des étoiles. On lui demande si il veut vraiment y participer. Scott répond, “que si il est choisi, il ferait honneur à cette invitation”. C’est alors qu’on lui demande “Tu crois que tu seras assez bon ? Être capable de tenir le rythme ? Car tu n’es pas un joueur très technique”. Scott rétorque qu’il est un patineur correct et un joueur décent.
C’est alors que la discussion prend une tournure plus étrange. On demande à Scott, ce que penserait son père. Est-ce que ça le rendrait fier de voir son fils au All Star Game ? Scott ennuyé, répond qu’il ne voit pas ce que ça a à voir avec sa participation ou pas.
C’est alors que cette personne lui demande : “Est-ce que tu penses que tes enfants seraient fiers que leur père ait été sélectionné pour le match des étoiles de cette manière ?”.
Là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour Scott, qui s’en suit un échange d’insultes. Scott se rend compte qu’il est en train d’insulter un des dirigeants de la LNH. Après cette altercation, il lui présente ses plus plates excuses et lui dit qu’il le rappellera plus tard. Le lendemain, Scott tient sa parole et annonce “Je participe au All Star Game”.
On pourrait croire que l’histoire se termine et que la participation de John Scott était actée.
Mais deux semaines avant l’évènement, le directeur gérant des Coyotes lui annonce qu’il a été échangé à Montréal. Avant de préciser, qu’il doit partir immédiatement pour le club-école du CH : les IceCaps de Saint-John à Terre-Neuve.
La raison invoquée ? Les Coyotes ont besoin d’un défenseur et qu’ils ont pu trouver un accord avec le CH. Scott demande si c’est une blague, mais il sait très bien pour quelle raison il a été échangé.
Il a juste le temps d’annoncer la mauvaise nouvelle à Danielle, enceinte de 9 mois. Danielle doit gérer leurs deux enfants et le tout-venant.

Evidemment l’annonce de son échange n’est pas restée sans réactions dans le microcosme des médias. Ainsi Don Cherry, dans une de ses tirades, s’en prend après ceux qui ont mis John Scott dans cette situation. Leur demandant s’ils sont fiers d’avoir “détruit la carrière d’un gars qui n’avait rien demandé”.
De leur côté, Wyshynski et Marek se disent que tout ça c’est grâce a eux. Malgré le fait que John Scott leur déclare que sa carrière était ruinée à cause d’eux. Ils ne se sentent pas responsables, car ils l’avaient fait sur le ton de la blague. Ce qu’il s’est passé n’est plus de leur fait.
Suite à son échange, la LNH annonce qu’étant désormais un joueur de la AHL, John Scott ne pourra plus participer au match des étoiles.
Toutefois, il existe un vide juridique dans le règlement de la LNH. Il n’y a jamais eu ce cas de figure. Ce qui crée un cauchemar médiatique pour le circuit Bettman. Les fans prennent fait et cause pour Scott. Ils organisent des protestations. Certains prennent contact avec les journalistes pour mettre la pression sur la LNH. La ligue étant consciente de son image, se retrouve prise a son propre piège.
L’idée de voir des banderoles de soutien pour John Scott serait un désastre pour l’image de la ligue
De son côté, John Scott se morfond en ligue mineure. Peu de temps après, la LNH déclare que : “Si John Scott veut participer, il peut venir au All-Star Game”.
Au début, Scott est réticent. Pensant que c’est encore une manipulation. Son épouse lui dit simplement “Tu risques de le regretter si tu n’y vas pas”. Suite à ces mots, John Scott annonce sa participation. Il est le capitaine de l’équipe de la Division Pacifique. Son choix fait que les Coyotes d’Arizona ne seront pas représentés suite à son échange.
De zéro à héros
Au milieu des Evgeni Malkin, Patrick Kane, Jonathan Toews, Brent Burns, Matt Duchesne, entre autres se retrouve John Scott. Lorsqu’il entre sur la glace de la Bridgestone Arena de Nashville, il est nerveux. Il n’a qu’une seule envie : se cacher. Il sait très bien que certaines personnes veulent le voir se ridiculiser.
Le premier match de son équipe contre la Division Centrale. Scott ne veut pas être sur la glace immédiatement. Au bout de 26 secondes, James Neal ouvre le score. Scott et son équipe se retrouvent menés au score. Malgré son stress, John Scott fait son entrée sur la glace. Mais dès que le palet est remis en jeu, ses nerfs se calment. Enfin entré dans sa bulle de concentration, il a une première chance de briller. Burns lui adresse une passe précise au milieu de deux défenseurs. Pekka Rinne est hors position, Scott a une cage grande ouverte. Son tir passe à coté du but. Cependant Rinne revenant en position, tape dans le palet et le fait entrer dans le but. John Scott est à jamais un buteur dans l’histoire du All-Star Game. Le public lui fait une standing-ovation.
Ce but lui enlève un poids énorme des épaules. Il semble transformé, allant même jusqu’à mettre une mise en échec sur Patrick Kane. Ce dernier allant jusqu’à faire semblant de se battre avec son ancien co-équipier des Blackhawks.
Le deuxième éclair de Scott viendra encore une fois après une passe de Burns. Cette fois-ci, il expédie le palet dans le haut du filet de Rinne. Lui qui durant sa carrière en LNH, n’a compté que 5 buts. Scott comptera 2 buts en une seule rencontre.
L’équipe Pacifique bat l’équipe Centrale, et s’en va battre en finale l’équipe Atlantique grâce à un but de Corey Perry.

L’histoire est belle, mais comme dans tout scenario Hollywoodien, il faut toujours un dernier retournement de situation. Lors de l’annonce des noms soumis au vote du public pour le titre de MVP, pas de John Scott. Les huées se font entendre dans les tribunes. Malgré sa non-nomination, John Scott est plébiscité par le public. Il est le MVP du 61ème Match des Etoiles de la LNH. Ce titre lui rapporte un joli chèque d’un million de dollars et une nouvelle voiture. Surtout pour Scott, c’est un magnifique pied de nez à l’establishment de la ligue.
Epilogue

Quatre jours après ce moment historique, Danielle donne naissance à des jumelles. Scott jouera une dernière rencontre de LNH, avec le Canadien de Montréal. Il arrête sa saison, avec l’accord du CH, afin de retourner auprès de sa femme et ses quatre filles. Il annonce sa retraite sportive en décembre 2016 dans un article sur The Players tribune.
Depuis cette histoire, la LNH a prit des mesures. La “règle John Scott” fait que si un joueur sélectionné pour le match des étoiles se retrouve démis en ligue mineure, il est directement déchu de sa participation.
Dans une interview pour la chaine Sportsnet, Scott dira que c’est une bonne chose. Car la règle évite qu’un joueur comme lui aille au All-Star Game. Même si il ajoute qu’il ne sait pas si une situation comme il a vécu pourrait se reproduire.