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Eto’o-Drogba : quand les anciennes gloires tentent de prendre le pouvoir

19 July 2019, Egypt, Cairo: Cameroonian retired footballer Samuel Eto'o stands next to the Africa Cup of Nations trophy prior to the start of the 2019 Africa Cup of Nations final soccer match between Senegal and Algeria at the Cairo International Stadium. Photo: Omar Zoheiry/ PictureAlliance / Icon Sport

Sébastien Haller, Claude Le Roy, Ian Wright, Vahid Halilhodzic. Avant la CAN, ces personnalités ont dénoncé le mépris européen à l’égard de la compétition. Ralenti dans sa progression par des querelles internes, le football africain souffre aussi d’un manque de considération de la part des autres acteurs du sport roi. Ces raisons ont poussé Didier Drogba et Samuel Eto’o à tenter leur chance pour accéder à la tête des fédérations ivoiriennes et camerounaises. Mais les anciennes gloires sont-elles capables d’apporter des solutions ?

À chaque édition, le même schéma. Mi-décembre, des clubs et des instances européennes (comme l’ECA) ont encore essayé de perturber l’organisation de la 33ème Coupe d’Afrique des nations. Cependant, cette fois-ci, les représentants du Vieux continent sont tombés sur la résistance frontale de plusieurs figures du ballon rond, dont un certain Samuel Eto’o. L’attaquant passé par l’Inter Milan, tout juste élu président de la fédération du Cameroun (pays hôte de l’événement), a fermement blâmé ces tentatives de déstabilisation : « Pourquoi la CAN ne se jouerait pas au Cameroun ? Donnez-moi une seule raison valable (…) Ou alors on est en train de nous dire que, comme on nous a toujours traités, nous sommes des moins que rien alors nous devons subir. » dénonçait-il aux micros de Canal+ Sport Afrique.

Comment mesurer l’influence de l’intervention du quadruple vainqueur de la Ligue des champions dans le maintien de la compétition ? Pour Djamel Belmadi, sélectionneur de l’Algérie, la situation est limpide : « L’arrivée de Samuel Eto’o à la tête de la Fédération camerounaise a joué sur la bonne tenue de la CAN« . Dès lors, on peut se demander si la nomination de légendes ne pourrait pas être salutaire pour l’affirmation du continent sur l’échiquier footballistique. Outre Samuel Eto’o, Didier Drogba a d’ailleurs aussi tenté sa chance ces derniers mois.

Ces candidatures ont probablement été motivées par les tensions internes à ces deux instances. En Côte d’Ivoire, depuis 2015, des dissensions existent entre les présidents de clubs et celui de la fédération. Akabla Prince, journaliste pour le Kpakpato sportif, explique l’origine de ces divergences : « Au niveau de la gestion financière, il y a des présidents de club qui estiment que le partage d’informations était assez opaque« . Selon le reporter, ces conflits, couplés à la fin de la génération dorée (Drogba, Touré and co), ont entraîné une détérioration des performances de la sélection sur le pré. Ainsi, les Éléphants n’ont pas réussi à se qualifier pour les Coupe du Monde 2018 et 2022. Plus à l’est, le Cameroun connaît des maux semblables. « Je pense que la mauvaise gestion qui sévit au sein de la fédération camerounaise de football depuis qu’il est joueur jusqu’à aujourd’hui a poussé Samuel Eto’o à se lancer » avance Steve Wilfried Yomba Kemadjou, directeur de la publication pour Camerfoot-infos.

Drogba et Eto’o ont connu des campagnes difficiles

Malgré ces problèmes, la détermination et le prestige des deux postulants, le chemin vers l’élection paraît semé d’embûches. Eto’o et Drogba ont pu s’en rendre compte au cours de leur campagne respective. Le premier cité, titulaire d’un passeport espagnol suite à son passage au FC Barcelone, a d’abord dû composer avec la menace formulée par la Commission électorale de refuser les candidatures des binationaux. S’il a pu se présenter, le meilleur buteur de l‘histoire des Lions Indomptables a été contraint de rester sur ses gardes. « Il a dû batailler dur et être vigilant jusqu’à la dernière minute afin d’éviter un trucage ou une influence extérieure » confie Steve Wilfried Yomba Kemadjou.

De son côté, Didier Drogba n’est même pas parvenu à valider sa candidature. En effet, la légende de Chelsea a rencontré des difficultés dans la constitution de son dossier. Ainsi, les aspirants doivent recueillir des parrainages auprès de clubs et de groupements d’intérêts. Ces derniers désignent les autres acteurs du football ivoiriens (arbitres, entraîneurs, joueurs, etc). Or, des dissensions existent également au sein de ces associations. Pendant la récente campagne, plusieurs dirigeants ont revendiqué la représentation de l’association des arbitres. Ces différents présidents ont accordé leur parrainage à plusieurs candidats, dont Drogba. Résultat, le dossier du vainqueur de la LDC 2012 a été refusé par la commission. Cependant, en raison des tensions internes, la FIF a été placée sous tutelle en décembre 2020 et les élections n’ont toujours pas pu se tenir. Un nouveau vote est prévu d’ici la fin de l’année. Officiellement, le joueur retraité depuis 2018 n’a pas encore renoncé.

Néanmoins, l’homme de 43 ans doit composer avec un autre problème : ses adversaires sont à la fédération depuis de nombreuses années et maîtrisent les rouages du système. Akabla Prince donne l’exemple de Sory Diabaté, et de ses 20 ans de carrière en tant que trésorier adjoint, secrétaire général, 4ème et 1er vice-président. « Ce sont des gens qui connaissent les votants, ils les côtoient depuis vraiment longtemps » détaille le journaliste. Par conséquent, ces habitués aux postes à responsabilité savent comment récupérer des voix pour ne pas s’éloigner du pouvoir. 

De nombreux aspects positifs en perspective

Dès lors, l’accession à la tête d’une fédération apparaît complexe. Pourtant le ballon rond africain tirerait de nombreux bénéfices à laisser entrer des anciennes gloires dans ses instances nationales. Dans les colonnes de Ndarinfo, Amara Traoré, attaquant international camerounais entre 1987 et 2002, défend cette hypothèse : « C’est une plus-value pour les footballs de leur pays et aussi pour le continent africain« .

Ce constat est partagé par Prince Akabla : « Je n’aime pas l’expression du football au footballeur mais Drogba serait le premier président à la fédé qui a été footballeur. Il n’est plus à présenter. Il a connu le haut niveau, donc on se dit que c’est une nouvelle expertise qui va arriver. De plus, on sait que ce nom permet d’attirer bien plus que ce qu’on imagine. En terme d’entrée financière, c’est aussi une opportunité« . Même son de cloche pour Steve Wilfried Yomba Kemadjou : « L’arrivée d’une ancienne gloire peut faire un bien fou à la fédération car le plus souvent, ce qui mine les fédérations africaines c’est la mauvaise gestion et les détournements de fonds. Avec quelqu’un comme Samuel il est difficile d’imaginer ce type d’acte. D’autant plus qu’en tant que joueur il a longtemps lutté contre”.

Évidemment des questions demeurent. Le journaliste camerounais se demande notamment si l’homme de 40 ans dispose de capacités managériales suffisantes pour mener à bien sa fonction. De même, depuis le début de la CAN, quelques voix remettent en cause la qualité de l’organisation. Si pour lui cela n’est pas forcément nécessaire, Amara Traoré propose par exemple à ces légendes une période de formation: « Je suis partisan de l’apprentissage à la base pour les postes de candidats à la gestion administrative et technique dans nos footballs« .

Entre difficile approbation des pairs et ferveur populaire

D’autres voix s’opposent plus concrètement aux aspirations des anciennes gloires. Drogba n’a par exemple pas réussi à obtenir le parrainage de l’AFI, l’Association des footballeurs ivoiriens … dont il était pourtant le vice-président jusqu’à cet été. Akabla Prince évoque sa surprise suite à cette décision : « Si une personne vient de votre association, de nature vous lui accordez le parrainage. Mais l’association où il était vice-président a donné le parrainage à un autre candidat. Pour moi c’est là le plus grand point du malaise de sa candidature« . Dans un article du Monde, un ancien joueur témoigne aussi de ce camouflet : « Drogba n’a pas que des amis parmi les footballeurs. Certains l’adulent, mais d’autres le jugent trop froid ou trop individualiste.

Cependant, les deux joueurs ont le point commun d’être appréciés par l’opinion publique au sein de leur pays respectif. « Il est quasi certain que si l’élection était populaire le score serait sans appel. Les camerounais ont toujours aimé Samuel Eto’o » assure Steve Wilfried Yomba Kemadjou. Outre sa ténacité pour le maintien de la CAN, l’homme élu le 11 décembre s’est déjà fait remarquer à d’autres occasions : “Les premières semaines de Samuel Eto’o paraissent plutôt appréciables” affirme le fondateur de Camerfoot-infos : « Entre restauration de la discipline à la fédération et positionnement pour l’intérêt du football africain lors de la réunion de Doha, Samuel marque déjà la Fécafoot de son empreinte. Aussi pour la première fois depuis 10 ans on observe un calme autour des Lions Indomptables sur la question des primes avant un tournoi. Cela est à mettre à son crédit car en tant que joueur, il a bataillé pour que l’on puisse éviter ce type de problème » détaille le reporter.

Au-delà des pays concernés, l’arrivée d’anciennes gloires à la tête des fédérations pourrait aider le continent entier. En attestent les propos du journaliste camerounais : « Sur le plan africain, Samuel en tant que joueur était connu comme un Panafricaniste. L’arrivée de ce type de personne peut être un tournant important dans le football africain. Cela s’est déjà fait ressentir lors de la tentative d’annulation de la CAN. Avec ce type de personne, on est quasi certain que l’intérêt du football africain passera devant l’intérêt personnel des hommes« .

(Crédit photo de couverture : www.ivoirebusiness.net)

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