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CAN 1996, l’autre victoire de Mandela

Sept mois après le sacre mondial des Springboks à la maison, l’Afrique du Sud accueille de nouveau une compétition internationale. Après trente ans de mise au ban par la FIFA, c’est l’occasion de montrer que la nation arc-en-ciel sait aussi jouer au football. Et les Bafana Bafana, comme leurs confrères de l’ovalie, vont se sublimer dans un contexte particulièrement inédit.

Le football, incarnation de l’apartheid

Dans l’histoire d’un pays meurtri par le racisme et les clivages ethniques, ségrégation et football restent intimement liés. L’Afrique du Sud ne déroge pas à la règle. Ségrégationniste depuis le début du XXème siècle, la législation sud-africaine divise le pays dès 1911. Les Noirs sont rapidement cantonnés à une partie du territoire, bien loin des quartiers attractifs. Le sport suit plus ou moins le même chemin. Moins huppé que le rugby, moins chic que le cricket, le football est délaissé par les populations blanches. Les townships et autres bidonvilles s’en emparent, et offrent au ballon rond un rôle social majeur.
L’engouement pour le foot se fait rapidement sentir, et très vite des compétitions sont créées. Sous l’impulsion des entreprises minières, qui espèrent garder à portée de main leurs ouvriers les week-ends, le football sud-africain se développe. Les Orlando Pirates de Soweto, fondés dès 1937, en sont la tête de gondole. Très proches de l’ANC de Mandela, les Pirates deviennent rapidement plus qu’un club. Leur engagement politique et social permet à des dizaines de jeunes d’échapper à la criminalité, et de fuir leur quotidien le temps d’un instant.

Les Orlando Pirates, représentants du football des townships (Crédit : Orlando Pirates)


Le football gagne en popularité, et les classes les plus aisées commencent à s’y intéresser. Des clubs réservés aux Blancs voient le jour, et le ballon rond s’immisce tout doucement dans les plus beaux quartiers sud-africains. Mais l’arrivée au pouvoir des Afrikaners, et la proclamation officielle de l’apartheid en 1948, marquent un coup d’arrêt pour les clubs de la nation arc-en-ciel. Le football devient, comme bien souvent, le reflet de la société. On retrouve donc deux championnats : la National Football League pour les Blancs, et la South African Soccer League pour les personnes Noires des townships.
Et l’impact du football sur l’histoire du pays va au-delà de son rôle social au cœur des bidonvilles. Arrêté dès 1962, Nelson Mandela va croupir pendant 27 ans sur Robben Island. Entre travaux forcés et déshumanisation, une seule chose va permettre au matricule 46664 et ses co-détenus de tenir : le sport. Les prisonniers politiques s’adonnent à la pratique du football pendant leur maigre temps libre. Des mini-championnats sont organisés, et le ballon devient une nouvelle fois une échappatoire. Tous les samedis, Jacob Zuma (président de 2009 à 2018) et ses coéquipiers quittent Robben Island le temps d’un match.

Le football était la seule distraction pour les prisonniers de Robben Island (Crédit : AFP).

Vers le retour de la mixité

Exclue de la CAF et de la FIFA dès 1956, l’Afrique du Sud est privée de compétitions internationales. Mais l’histoire n’est pas figée, et le foot sud-africain va doucement s’affranchir des règles de l’apartheid. Précurseur, le ballon rond va offrir les prémices d’une réconciliation entre toutes les couleurs de la nation arc-en-ciel. Au mois de mars 1976, la première équipe mixte est formée. Les Argentins de Mario Kempes, champions du monde deux années plus tard, se dressent face aux Bafana Bafana. Le moment déjà sublime devient historique. Porté par un Jomo Sono auteur d’un quadruplé, les sud-africains étrillent l’Albiceleste (5-0).

“Quand nous étions ensemble, nous pouvions battre n’importe qui

Rodney Kitichin, capitaine lors de la victoire 5-0 contre l’Argentine


Mais le pays est rapidement rattrapé par ses vieux démons. Les émeutes de Soweto éclatent à partir de juin 1976, et font plusieurs centaines de morts. Les clivages sont renforcés et la nation est plus que jamais fracturée. Le sport ne fait malheureusement pas exception. L’idée d’une équipe nationale mixte semble déjà bien lointaine.
Il faudra attendre la libération de Nelson Mandela, le 11 février 1990, puis la fin de l’apartheid une année plus tard, pour voir de nouveau le sport sud-africain sur le devant de la scène.

Jomo Sono, tête d’affiche du football sud-africain (Credit: Denver Post)

La première consécration du néo président Mandela survient dès 1995. Les Springboks s’adjugent le titre mondial, à l’issue d’une compétition disputée à la maison. Mais les stéréotypes ont la vie dure. L’équipe nationale de rugby, sport majoritairement réservé aux Blancs durant les années de ségrégation, ne compte qu’une seule personne noire dans ses rangs. Chester Williams semble bien loin d’incarner le cosmopolitisme sud-africain.
Le ballon rond est là pour ça. Le football se développe, et la création d’une ligue unique en 1996 permet de tourner la page sportive de l’apartheid. Les Bafana Bafana peuvent désormais participer aux compétitions internationales. Si la qualification à la coupe du monde 94 est manquée, l’Afrique du Sud est bien présente à la CAN deux ans plus tard. Sa première. Et l’effectif ne manque pas de qualité. Emmenés par Phil Masinga (Leeds), Mark Fish (Lazio), ou Mark Williams (Wolverhampton), les sud-africains abordent sereinement cette coupe d’Afrique. Les deux matchs nuls obtenus en préparation face aux Allemands (0-0), puis l’Albicéleste (1-1) donnent confiance aux hommes de Clive Barker.

Sur le toit de l’Afrique


Bien aidée par la réussite du mondial de l’ovalie quelques mois plus tôt, l’Afrique du Sud est finalement choisie au pied levé pour accueillir la compétition et remplacer le Kenya. Mais bien que l’apartheid semble déjà appartenir au passé, les querelles politiques sont elles toujours bien présentes. Le Nigéria, tenant du titre, refuse de se présenter à la CAN, sur fond de conflits diplomatiques.
Une coupe d’Afrique à quinze équipes s’offre donc aux sud-africains. L’engouement n’est pas aussi puissant que lors du mondial de rugby quelques mois plus tôt. Mais une première victoire convaincante face au Cameroun (3-0), pousse la population à s’intéresser aux Bafana Bafana.

Avant le Cameroun, seuls les fans de football savaient qu’on jouait la CAN. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, tout le pays était au courant

Neil Tovey, capitaine des Bafana Bafana

Un premier succès rapidement confirmé contre l’Angola quelques jours plus tard (victoire 1-0). La défaite face à l’Egypte (1-0) ne changera pas l’issue de la poule, et l’Afrique du Sud valide son billet pour les quarts. Les stades se remplissent, et tous veulent voir les Bafana Bafana s’adonner au kasi flava ou au shibobo. Ces dribbles, propres au football sud-africain et jugés futiles ailleurs, animent les rencontres. Ils permettent à leur équipe de briller, et de venir à bout de l’Algérie dans une fin de match épique (2-1).

En demi-finale, l’Afrique du Sud ne fait qu’une bouchée des Black Stars du Ghana et file en finale (3-0). L’engouement pour le football est à son paroxysme. Si bien que le stade de Johannesburg accueille plus de spectateurs qu’il ne peut en contenir. Devant 90 000 personnes, les Bafana Bafana triomphent de la Tunisie en finale (3-0). Un doublé en deux minutes de Mark Williams envoie ses coéquipiers sur le toit du football africain. Une victoire sud-africaine qui semble aussi être celle de Nelson Mandela. Composée de joueurs issus majoritairement des townships, la sélection symbolise l’unité de l’Afrique du Sud par le football.

Neil Novey soulève le trophée aux côtés de Nelson Mandela (Crédit : AFP)


Un deuxième succès sportif pour Madiba, qui place le pays sur le devant de la scène. Quand bien même la réalité des deux compétitions est entachée de divers soupçons, l’Histoire n’en a cure. La légende retiendra que pour la première fois, L’Afrique du Sud est réellement devenue la nation arc-en-ciel.

La réussite de la compétition a permis au pays de devenir un candidat crédible à l’accueil d’une Coupe du Monde. Il faudra attendre 2010 pour que l’Afrique du Sud devienne le premier pays africain à recevoir un mondial. Un succès relatif au sein d’une nation où seulement 5% des Blancs jouent au football. Et où les cicatrices d’un siècle d’apartheid semblent bien loin de se refermer.

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