Alors que les Jeux Olympiques se tiennent actuellement à Pékin, je vous propose de revenir quelques années en arrière, pour revivre avec un champion olympique français, la journée de son sacre. Aujourd’hui, j’accueille Jean-Luc Crétier, champion olympique de descente à Nagano en 1998.
« Quand je débute cette saison 1997-1998, j’ai 32 ans. Au fil des années, des courses, on engrange un maximum d’informations et d’expérience. Cette année-là j’étais vraiment dans une spirale positive. Je fais trois podiums en cinq courses, à Beaver Creek, à Wengen, et le dernier juste avant de partir au Japon, à Kitzbühel ! On avait d’ailleurs fait un beau triplé, avec Nicolas Burtin 2e, moi 3e, et Adrien Duvillard 4e. Cette saison là, j’ai pris encore plus soin de mettre tous les voyants au vert. Que ce soit sur la mise au point de mon matériel, de ma préparation physique, je me suis également attaché les services d’un préparateur mental, qui m’a aidé à positiver qu’elle que soit ma situation. J’ai vraiment passé un cap dans ce domaine. Et la finalité on la connait, c’est ce vendredi 13 février 1998…
Mais avant cela, il a fallu gérer l’attente. A l’origine, nous devions courir le 9 février, et nous sommes allés de report en report jusqu’au 13. Ce n’était vraiment pas évident à gérer, aussi parce que pendant 4 jours les journalistes du monde entier n’avaient rien à se mettre sous la dent. C’est une situation qui n’est pas dans nos ADN, ça se travaille. J’avais reçu des consignes, on était briefé sur savoir quoi faire pendant ces reports, comment tuer le temps. Et surtout pour rester focus sur la course, et ne pas perdre d’énergie inutilement. Et c’est ce préparateur, Patrick Grosperrin, qui me suivait depuis un an, qui m’a donné tous ces bons conseils, et je l’en remercie encore aujourd’hui. A l’époque, on échangeait par faxes et par téléphone ! Donc quand il neigeait on allait faire de la peuf, quand il pleuvait on se retrouvait pour faire des sports co’, et on avait tous prit de quoi s’occuper dans la valise. Parce que quand vous partez 15 jours dans un pays comme le Japon, nous ne pouvez pas vous dire « je vais regarder la télé tous les jours », c’est juste incompréhensible (rires).
Je me suis encore rapproché un plus de mon service man, même si je pense qu’on était à la pointe de ce que l’on pouvait délivrer, moi en ski, et lui en préparation. On a passé beaucoup de temps ensemble, et c’est pour cela que le jour de la course je suis arrivé dans des dispositions favorables. Ensuite, j’ai simplement mis en application mon expérience des années passées, parce que cela m’était déjà arrivé de me faire surprendre par des changements de neige, de conditions de glisse. Sans rien dire à personne, j’ai mis le plan à exécution.
Ça n’a pas été simple, notamment parce qu’il y avait un gros piège dans le tracé. Tous les jours d’entrainement, à la reco’, il fallait se mettre en recherche de vitesse pour arriver en haut d’un faux plat montant. La neige était froide, on glissait peu et on avait du mal à arriver au sommet de la bosse. Et le matin de la course, en étant debout, j’ai constaté qu’on arrivait deux fois plus vite à l’entrée de cette courbe. Je me suis alors rappelé une chute que j’avais connu en descente étant plus jeune. Les conditions étaient identiques : entrainements sur une neige super froide avant un changement complet de neige. C’était aux championnats de France 1976 aux Ménuires ! Il y avait eu beaucoup de chutes et je me suis dit qu’il fallait éviter que cela se reproduise. Une nouvelle fois, c’est l’expérience qui a parlé.
Et même si pour moi, la course s’est déroulée comme elle devait se dérouler, cela n’a pas empêché de nombreuses chutes. J’ai finalement pleinement tiré profit de ce dossard 3. Pourtant au départ, mes entraineurs n’étaient pas favorables à ce que je parte dans les tous premiers. J’ai choisi, parce qu’à l’époque c’est nous qui choisissions, et ça m’a souri. Sur le moment, je sens que je me fais plaisir à skier et quand j’arrive en bas, je regarde le tableau et je vois que je mets 1.23s à Fritz Strobl, qui avait gagné le dernier entrainement. Beaucoup de gens me demandent pourquoi j’ai levé les bras comme si j’avais déjà gagné. C’est d’abord une manière d’évacuer la pression, et aussi parce que je réalise que j’ai fait une belle descente. Avec mes résultats du début de saison, et pour ma 4e participation aux JO, je voulais ramener une médaille !

L’attente a été vraiment délicate, les temps se rapprochaient de plus en plus, jusqu’au dernier. C’était le canadien Brian Stemmle qui fermait le portillon, et à mi-course il avait encore 1s d’avance sur moi. Il est finalement sorti peu de temps après. C’est les chaussures de ski qui m’aidaient à tenir debout !
Après, ça a été un tsunami. Il y avait un besoin en France de retrouver la victoire aux Jeux, le dernier avant moi était Jean-Claude Killy en 1968. Sur le moment je n’en suis pas conscient, je ne pense qu’à profiter. J’ai eu ma femme et mon fils au téléphone, malgré l’heure tardive en France, et ce moment de partage je m’en souviens comme si c’était hier. Ensuite il y a eu la remise des médailles. Tant qu’on n’est pas monté sur le podium, on ne peut pas se rendre compte. C’était sur une grande place avec peut-être 100 000 personnes. On ne voit pas vraiment les gens devant nous, on distingue des silhouettes avec la lumière des projecteurs. Avec la médaille autour du coup, je n’arrivais plus à descendre du podium, on est venu me chercher pour m’aider car je n’y arrivais pas, je tremblais de tout mon corps. On vit pour ces moments. Les JO, c’est le rêve d’une vie.
J’ai eu la chance d’avoir une cousine qui avait fait deux médailles aux Jeux (Danielle Debernard, vice-championne olympique de slalom à Sapporo en 1972, et en bronze sur le géant d’Innsbruck en 1976). Quand j’avais 10 ans, elle m’a fait le plaisir de me poser une médaille dans chaque main. Je l’ai regardé ébahi, et je lui ai dit « je vais tout faire pour en avoir une aussi ! ». Après mon titre, on a fait un repas avec la famille élargi, et il y avait les 3 médailles posées sur la table…
Pour en revenir à Nagano, il me restait quand même une épreuve avant de rentrer, j’ai donc essayé de switcher mais ce n’était pas évident car tout le monde voulait célébrer (rires). J’ai quand même réussi à mettre le holà et on a fêter ça dignement à notre retour en France. Le reste de la saison a vraiment été dur. Même si on courre après ce genre de situation toute notre carrière, on n’est pas du tout préparé pour. Ça a été compliqué de se focaliser à nouveau sur ce que j’avais à faire, mais la saison était déjà bien entamée, je termine 6e aux finales de Crans Montana pour conclure cette saison à la 2e place du classement de la descente.
L’été a ensuite été une course effrénée pour répondre à toutes les sollicitations, tout en jonglant avec les phases d’entrainement. J’ai vraiment eu du mal à gérer, la preuve en est qu’en octobre on est parti en stage à Zermatt pour s’entrainer en descente, et les 48h qui ont suivi notre arrivée étaient horribles niveaux météo, donc impossible de monter, et j’ai passé ces deux jours dans mon lit, à ne faire que dormir. C’est aussi parce que toute le monde attendait ce titre depuis 30 ans, et que je ne voulais dire non à personne. On était également bien moins protégé que les athlètes d’aujourd’hui. Après cet épisode, une cellule a été créée pour venir en complément des coureurs.

La saison d’après, à la fin de l’année 1998, je chute à Val Gardena. Je m’explose le genou gauche, je me casse la main droite, et je subis un gros traumatisme au niveau du dos parce que je suis sorti de la piste en glissant, et j’ai tapé des cailloux et des souches d’arbre. J’ai retrouvé le chemin de l’entrainement, mais je n’avais plus les mêmes sensations, mon corps ne voulait plus avoir la bonne réaction à l’instant T. J’en avais parlé avec Antoine Deneriaz à qui cela a fait exactement la même chose. On prenait beaucoup de risques, plus qu’avant, on avait l’envie, mais le corps a gardé une empreinte de ce traumatisme et il ne veut pas que ça se reproduise. J’ai quand même refait de la descente sur un circuit américain, c’était à une toute autre intensité, et ça m’a permis de quitter le cirque blanc en douceur.
Encore aujourd’hui, quand je vous parle de ce 13 février 1998 j’ai les larmes aux yeux, c’est beaucoup d’émotion. J’ai eu une vie avant ce jour, et une autre après. Cela me fait toujours vivre ! »