Quel demi-d’ouverture n’a jamais rêvé de jouer au rugby derrière un pack d’Irlandais ? Les avants Irlandais sont connus pour leur robustesse, leur constante avancée au contact, leur impact physique défensif comme offensif et bien sûr, leur organisation légendaire sur les ballons portés. Et bien prenez le meilleur de tout ça, rajoutez y une once de doigtée et un chef d’orchestre qui mène ses troupes à la baguette et vous obtenez de cette recette, un bouillon épicé que les dragons gallois ont dégusté en ouverture de ce tournoi des Six Nations 2022. Le jeu en cellules du XV du trèfle a montré son plein potentiel samedi après-midi et il serait de bon ton de la part des analystes français de décrypter rapidement les clés d’un tel succès.
La base
Avant de plonger dans les spécificités et le travail empirique sur le jeu irlandais, il est important de comprendre les bases du jeu en cellules. Aussi futiles puissent-elles paraître au premier abord.
Car sur le papier, le jeu en cellule n’a rien de compliqué. Si vous jouez ou avez joué au rugby en club récemment, l’organisation de ce schéma tactique ne devrait pas vous poser de problème. Les fameuses « cellules » s’articulent autour d’un noyau de 2 ou de 3 joueurs la majorité du temps. Ce nucléus est disposé dans une forme de triangle. La pointe de ce triangle correspond au joueur qui manipulera en premier le ballon après la passe, à sa gauche un joueur (-1) assurera son soutien. Ce soutien intérieur peut avoir une position plus ou moins à plat ou en profondeur selon l’effet recherché face à la défense. Ce joueur peut aussi être absent dans le cas de cellule à deux joueurs. Il reste donc un joueur à la droite (+1) du porteur de ballon et qui assure le soutien extérieur. Le rôle de ce soutien est plutôt restrictif, sa course est convergente vers le porteur du ballon de quoi proposer une solution de passe mais être aussi le premier à intervenir dans l’optique d’un passage au sol.

Ces quelques lignes sont déjà bien trop longues pour expliquer l’évidence de cette conformation. Pourtant elles sont nécessaires pour développer maintenant les points importants du schéma.
Les forces
Car de cette base simple peuvent découler une multitude de solutions. Évidemment, le porteur du ballon peut aller frapper, frontalement, son vis-à-vis, ses soutiens assurent alors le déblayage et la conservation du ballon. La force du triangle réside ici dans la supposée libération rapide pour permettre une gestion du tempo à la guise de la charnière.
Une deuxième solution serait de jouer avec une passe supplémentaire. Cette passe peut être à l’intérieur comme à l’extérieur de la pointe, le déplacement de la zone d’impact permet de chercher et de trouver le duel le plus favorable sur la ligne d’avantage. Ainsi, encore une fois, l’avancée, la conservation et la digestion du ballon sont facilités.
Il existe une troisième option, une passe dans le dos. C’est ici que réside LA force principale du jeu en cellules. Cette passe dans le dos peut s’effectuer avec le soutien intérieur qui redouble avec le manipulateur ou avec un joueur supplémentaire qui occupe une position axiale par rapport au manipulateur. Le triangle devient donc un carré, son morphe final. Cette « redoublée » permet d’aller jouer loin de la zone d’affrontement et sur les largeurs mais surtout, de libérer du temps et de l’espace pour un deuxième manipulateur qui a lui tout le loisir de faire un choix, potentiellement meilleur que s’il jouait le ballon en premier.
Si l’on devait utiliser un mot pour englober tout ce que représente ce jeu en cellules, cela serait, sans hésitation, l’incertitude. Avec pas moins de 4 options pour le porteur initial du ballon dans la cellule, le doute plane sur les défenses qui doivent surveiller chaque joueur. Cette incertitude se transforme en temps et donc en espace pour les attaques. Une denrée rare, recherchée par toutes les équipes.
En termes de planimétrie, le jeu en cellule est efficient quelle que soit la zone de départ (Dégagement, Construction, Finition). Sur la largeur du terrain, ce schéma présente un avantage certains dans l’usure des zones axiales avec un système en 1-3-3-1 parfaitement adapté. Enfin, le jeu en cellule est avant tout un système plutôt lent, de conservation du ballon, qui cherche à désorganiser la défense avant d’appuyer sur la détente. Les meilleures équipes sont celles qui arrivent à accélérer quand elle le souhaite, à n’importe quel moment, même en première main.
Les besoins
Maintenant, il ne faut pas oublier que ce schéma tactique d’attaque est très demandant. Sur le plan physique bien sûr, avec une multiplication des temps de jeu, une multitude de fois où la cellule va aller frapper sur la ligne d’avantage. Mais surtout sur le plan cognitif, où une capacité d’organisation, d’analyse et de communication est indispensable pour la réussite du plan d’attaque.
On pourrait donc synthétiser les besoins du jeu en cellules par les points suivants :
- Un premier manipulateur à la fois puissant avec une bonne capacité d’analyse et une qualité de passe certaine. Dans une cellule d’avants, un numéro 8 correspond le mieux à ce genre de profil pour la majorité des équipes. Le premier centre est aussi supposément capable d’officier dans ce rôle.
- Les soutiens intérieurs et extérieurs doivent être tantôt puissants, tantôt rapides mais surtout disciplinés dans leurs courses.
- Le soutien axial supplémentaire doit être un observateur et un surtout un excellent décisionnaire. La qualité de passe est un grand plus. La description d’un 10 ou d’un 5/8e en soit.
- L’ensemble de l’équipe doit être parfaitement organisé et chacun capable d’occuper, au moins, un poste précis (tous les joueurs sont capables d’occuper n’importe quel poste pour les meilleures équipes).
Les cellules irlandaises
Penchons-nous maintenant dans ce qui nous intéresse le plus aujourd’hui, l’Irlande et son jeu. Comment met-elle en place ses cellules. Comment les exploite-t-elle. Et possiblement, comment contrer leur jeu dangereux.
Si l’on revient sur la liste des besoins du jeu en cellules, on remarque aisément que le XV du trèfle n’a aucun mal à cocher absolument toutes les cases. Les avants verts sont connus pour leur organisation méthodique sur les phases statiques telles que la mêlée, la touche et les ballons portés. Cette faculté à comprendre une assignation et à l’exécuter est totalement transposable dans le jeu de cellules. De plus la densité physique est aussi au rendez-vous avec des gabarits taillés pour les joutes internationales. Ce qui frappe en revanche dans ce paquet d’avant c’est la proportion d’excellents porteurs de ballon. Impossible de passer à côté de la qualité technique de Tadgh Furlong, ou bien de l’aisance de Tadgh Beirne (tiens, y’aurait-il un formule secrète dans ce prénom ?) tous les avants sont capables de participer à une cellule,et ce à n’importe quelle position dans cette dernière. Je ne vous ferai pas l’affront maintenant de vous présenter Jonathan Sexton, un des meilleurs 10 du monde quand il s’agit de lire une défense et de trouver une zone opportune. Toutes les conditions sont réunies.
Plan de jeu
Les Irlandais usent de leur cellule dans un seul but : attaquer la zone la plus faible d’une défense. Et contre les Irlandais, la cible était claire, elle s’appelait Josh Adams. L’habituel ailier du XV du poireau était replacé pour la première fois en tant que titulaire au poste de 2nd centre, poste ô combien important et ô combien difficile dans son registre défensif. Les probabilités que Josh Adams ne soit pas prêt à un tel déferlement sur sa personne étaient élevées, elles n’ont pas manqué.
Avec son jeu en cellules, l’Irlande n’a pas hésité à alterner, à frapper un temps pour déclencher le mouvement dans la zone d’Adams avec une passe axiale supplémentaire, que ce soit dans les phases de conservation et les phases de relances. Même sur lancement première main, les Irishmen ont abusé des cellules en tournant autour de Aki avec Sexton et Hansen pour mettre Josh Adams directement dans une position très inconfortable. Sur les phases de dégagement, encore une fois, les verts se sont donnés du champ en cherchant la zone d’Adams avant ou même pour occuper le terrain.
Exemple 1 : relance
Sur cette séquence, l’Irlande est dans sa zone de construction après un coup de pied de dégagement. Le jeu en cellule se met en place après le premier ruck sur le grand côté. La défense est en place, peu d’opportunités se présentent et Jonathan Sexton disséque rapidement la situation. Il réorganise directement le changement de sens derrière une nouvelle cellule pour fixer les défenseurs proches et breaker autour de Josh Adams, chose faite.
Exemple 2 : inversion de pression
Dans ce deuxième exemple, l’Irlande s’appuie sur sa cellule avec Aki en pointe sur les lancement première main alors que cette dernière et dans sa zone de dégagement proche des lignes. La passe supplémentaire sur Ringrose permet de jouer un vrai duel physique avec Adams. La ligne d’avantage est gagnée, le ruck facilement protégé, la pression inversée aisément.
Mack Hansen l’électron libre
Pour une première, c’était une première ! Mack Hansen a fêté sa première cape en étant absolument partout sur le terrain, sauf… à son aile ! L’ailier d’origine australienne a été utilisé en majorité comme dynamiteur dans l’intervalle second centre – ailier. Cet usage a eu la faculté de mettre en avant les qualités d’arrière du joueur formé au poste. Grâce au jeu en cellule, Mack Hansen a pris la majorité de ses ballons en mouvement dans le cœur du jeu, avec des courses enroulées derrière les cellules. Cette mise en espace a permis au joueur de toujours jouer pleine vitesse, d’appuyer sur la ligne d’avantage et de lui libérer du temps pour faire le bon choix, sur les décalages de son ailier opposé notamment.
C’est encore une fois une utilisation poussée du jeu en cellule ici. Hansen est devenu une ombre permanente pour Jonathan Sexton. Ce dernier avait alors lui aussi tout le loisir de choisir parmi une multitude d’option quand il touchait le ballon dans le dos de sa première cellule. Pour que ce système soit le plus efficient cela implique, un joueur avec une course intérieur derrière la cellule (dans un monde parfait Ringrose lorsqu’il ne participe pas à la cellule), un joueur avec une course fuyante derrière le premier (Hansen donc) et un troisième joueur avec une course rentrante après Hansen. Dans cette configuration, le système touche pratiquement à son paroxysme.
Plateforme 1
Cette séquence est un lancement “type” du jeu irlandais. Les cellules sont parfaitement exploitées lorsque :
- le manipulateur et le +1 de la cellule ont des courses tranchantes -> percussion ou adversaires fixés
- le -1 ou soutien axial tourne autour de la cellule avec une course fuyante
- un joueur propose une nouvelle course rentrante derrière la cellule -> très important pour amener de l’incertitude sur l’extérieur de la défense et franchir
- l’ailier petit côté qui accompagne le deuxième manipulateur avec une deuxième course fuyante : c’est la petite excentricité méliorative du système irlandais
Plateforme 2
On retrouve ici une variation de la cellule autour du 12 des Irlandais. Cette plateforme à une passe supplémentaire a pour but de donner plus de temps à Hansen, lui permettre de redresser sa course et de devenir l’élément perforant sur le milieu/extérieur de la défense.
Plateforme 3
Et 3ème et ultime variation de l’Irlande avec une double cellule sur un lancement première main et un Hansen qui se retrouve à toucher le ballon sur l’aile opposée pour parfaitement jouer un deux contre un.
Rugby total
L’Irlande a touché presque au parfait, dans son match contre les Gallois. Une sorte de rugby global tiki-taka avec un nombre incommensurable de cellules, des allers retours incessants sur la largeur du terrain. Des lancements premières mains millimétrés et enfin et surtout des phases de conservation maitrisées et létales. Le XV du trèfle a tout bonnement été injouable.
Pêle-mêle
Andy Farrell a trouvé les petits ajustements nécessaires pour pratiquer un rugby très alléchant du côté de Dublin. L’année 2022 devrait être une revue complète du système mis en place par l’Irlande pour espérer toucher à la perfection en 2023 et la tant attendue Coupe du Monde. En attendant, ceux sont les français, pour la deuxième journée du Six Nations, qui auront la lourde tâche de montrer qu’il reste encore du travail pour Jonathan Sexton et ses hommes…