Tout fan de biathlon s’est déjà retrouvé face à ce débat : faut-il privilégier le tir ou le ski pour avoir de bons résultats en biathlon ? Le sujet est complexe et très intéressant. Des scientifiques se sont justement intéressés sur le sujet, puisque plusieurs études sont disponibles sur l’impact sur la performance globale du ski, du tir, en tenant compte aussi bien de la précision au tir que de sa vitesse. Le CCS fait le focus sur le Sprint et vous propose une synthèse de ces études.
Le Sprint, terrain de jeu parfait pour les scientifiques
Assez logiquement, la plupart des études se concentrent sur l’épreuve de Sprint. En effet, c’est un exercice de chronométrage relativement court (20-30 minutes) avec deux passages sur le pas de tir, où les biathlètes sont à fond à du début à la fin. L’étude de la Poursuite et de la Mass-Start est plus compliquée puisque ce sont des courses à confrontations directes, où il est plus difficile d’étudier l’impact du ski. Le premier tour est souvent le plus lent au niveau du ski, alors que les biathlètes adaptent leur rythme au dernier tour en fonction de leur situation (esseulé ou groupé et jouant une place d’honneur). Ils ne sont donc pas toujours à fond, alors qu’ils le sont toujours derrière la carabine.

L’Individuel est également étudiée, mais beaucoup moins que le Sprint. Cela peut notamment s’expliquer par le format de la première course citée. Epreuve la plus longue avec quatre tirs, elle inflige une minute de pénalité par faute, si bien que plusieurs fautes lors des deux premiers tirs condamnent l’athlète, qui va souvent réduire son rythme de ski ensuite. En effet, en dehors du podium et du classement général, il n’y a pas d’autre enjeu en Individuel, alors qu’en Sprint il y a très souvent une place dans les 60 premiers à aller chercher, qualificative pour la Poursuite. Le Sprint semble donc être la course-type pour une étude sur le ski et le tir. Enfin, il y a de moins en moins d’épreuves d’Individuel, ce qui réduit drastiquement le nombre d’échantillons disponibles, alors qu’on compte en général une dizaine de Sprints par saison.
Si la plupart des études ont choisi le Sprint, certains chercheurs se sont penchés sur l’Individuel et la Poursuite.
L’importance des hypothèses
Lorsqu’on étudie un sujet, il est primordial de poser clairement ses hypothèses et les données utilisées. Dans la plupart des publications scientifiques, une partie “Matériel et méthodes” suit l’introduction. Les résultats, une discussion autour de ces derniers et une conclusion suivent ensuite. Dans le cas du biathlon, elle permet de définir le nombre de courses étudiées, leurs dates, le nombre de coureurs, leurs âges, nationalités, sexes ou encore niveaux de compétition. Ce sont des éléments déterminants puisque, par exemple, l’étude de catégories jeunes révèlent souvent des incertitudes plus importantes, leurs performances physiques pouvant encore grandement évoluer.
Les variables étudiées sont également définies. Dans le cas du biathlon, quatre variables sont le plus souvent considérées comme impactantes sur la performance finale : le temps de ski (ski time), la précision au tir (shoot efficiency), la vitesse de tir (shooting time) et le temps passé sur le pas de tir (range time). La distinction entre les deux dernières est fine : la vitesse de tir tient compte du temps entre la première et la cinquième balle tirée, alors que le temps passé sur le pas de tir prend en compte l’entrée sur le tapis et le temps pour tirer sa première balle.

Dans cette étude qui est parmi les plus complète, deux autres variables, dérivées du temps de ski, sont introduites :
– la vitesse de ski relative (ou relative skiing speed), qui représente le temps de ski du coureur étudié, divisé par le temps de ski du meilleur skieur de l’épreuve.
– le coefficient de temps de ski (ou skiing time coefficient), qui représente le temps perdu par kilomètre par le coureur par rapport au meilleur skieur de l’épreuve.
Ces variables permettent de mettre de mieux utiliser les temps de ski, bien qu’une comparaison avec le meilleur temps de ski uniquement est critiquable. En effet, dans le cas d’une performance hors-norme du meilleur fondeur, les données pourraient être biaisées. C’est pour cette raison qu’il est important d’avoir un échantillon de courses étudiées suffisamment important pour que les évènements exceptionnels soient noyés dans la masse.
Il existe de l’incertitude
Les résultats de ces études sont toujours présentées avec une marge d’erreur dite incertitude. Cette dernière tient compte de variables non étudiées ou tout simplement non contrôlables pour les réalisateurs de l’étude. Et dans le cas du biathlon, ces éléments extérieurs sont très nombreux, si bien que les résultats présentés ensuite ne valent pas forcément comme vérité absolue.
Le premier grand élément d’incertitude est la météo. Difficile d’intégrer dans des calculs statistiques l’impact de la qualité de la neige, d’une course sous la pluie, sous cette même neige ou bien avec un fort vent. On peut penser au vent du très capricieux site d’Oberhof qui peut impacter l’analyse des courses.

Le site et plus précisément la piste utilisée est bien sûr un élément extérieur important à garder en tête. Les athlètes ne sont pas adaptés à tous les types de profil de piste. On peut d’ailleurs l’expérimenter durant ces Jeux Olympiques où la piste chinoise, faible en relief, demande un travail physique constant. Ainsi, il serait intéressant d‘étudier les performances des biathlètes site par site, mais cela réduit grandement la taille de l’échantillon. Pas évident de trouver le juste milieu.

Les choix techniques et tactiques de chaque équipe ont également un rôle difficilement quantifiable. En fonction du site et de la météo, le fart sous le ski n’est pas le même et chaque nation peut faire des choix différents. Il faut également noter que la technologie des skis et les méthodes d’entraînements s’améliorent, si bien que le niveau de ski tend à progresser ces dernières décennies, alors que le niveau de tir stagne plus ou moins.

En cette année olympique, on peut aussi noter des coureurs qui ont des pics de forme différés et qui vont faire l’impasse sur certaines courses. Ces quelques éléments sont tant d’exemples de paramètres extérieurs aux simple temps de ski et pourcentage de réussite au tir, qui rappellent que le biathlon est un sport très complexe où il est parfois difficile de dégager des vérités générales. Ces éléments extérieurs peuvent parfois être pris en compte dans les études (via l’incertitude), d’autres beaucoup moins, c’est pour cette raison que certaines études ne peuvent tout simplement pas fournir de conclusions précises.
Alors verdict ?
Après tant de mises en garde, est-il toujours possible de dire qui du ski ou du tir est prépondérant sur la performance en Sprint ? Oui, et la plupart des études se rejoignent. La performance en Sprint dépend principalement de son niveau de ski. A choisir, il vaut mieux être bon en ski qu’en tir donc.
Prenons d’abord l’étude de Natalya Dzhilkibaeva, Latthias Ahrens et Marko S. Laaksonen, publiée en septembre 2019. Ils ont analysé les courses de sprint en IBU Cup et Coupe du Monde entre les saisons 14-15 et 17-18, en ne retenant que les coureurs qui n’ont jamais fait moins bien que 60ème sur un sprint d’IBU Cup. Cela donne un total de 150 courses analysées sur quatre ans et un total de 166 hommes et 184 femmes dont les performances ont été étudiées. C’est cette étude qui a introduit le concept de vitesse à ski relative et de coefficient de temps de ski.
Les résultats sont sans appel : sur le Sprint, c’est la performance à ski (ici matérialisée par la vitesse à ski relative) qui est le facteur le plus important dans la performance. Sur le circuit coupe du monde, la vitesse à ski relative est responsable de 65 % de la performance chez les hommes et 59 % de la performance chez les femmes. C’est la précision au tir qui est le second élément déterminant, mais loin derrière. Elle est responsable de 23 % de la performance chez les hommes et 21 % chez les femmes alors que la vitesse de tir ne compte que pour 2 % et 1 % de la performance. Si on fait la somme de ces pourcentages, on voit que 89 % de la performance des hommes, et 80 % de celle des femmes, sont déterminées par le ski, la précision et la vitesse au tir. Il reste donc 11 % de la performance qui viennent de facteurs extérieurs chez les hommes, et 20 % chez les femmes, ces mêmes facteurs extérieurs dont nous avons parlé plus haut.

Du côté du circuit IBU Cup, l’impact du temps de ski est quasiment identique : 64 % de la performance totale chez les hommes et 57 % chez les femmes. La précision au tir a en revanche moins d’importance, puisqu’elle vaut pour 14 % du résultat chez les hommes et 12 % chez les femmes. Au global, 80 % de la performance masculine peut être expliquée par le ski, la précision et la vitesse au tir, contre 70 % chez les femmes. Cette imprécision plus grande peut s’expliquer par la jeunesse de nombreux coureurs d’IBU Cup qui n’ont pas encore finis leur développement physique et mental.
Enfin, les auteurs de l’étude ont essayé de prédire les résultats en coupe du monde sur la base des résultats en IBU Cup, sans grand succès, puisque seulement 50 % de la performance des biathlètes en coupe du monde peut s’expliquer par leurs résultats passés en IBU Cup.
Le ski est prépondérant en Sprint
Le chiffre à retenir est que la performance à ski joue pour près de 60 % dans la performance globale sur le sprint. C’est un résultat confirmé par une autre étude très souvent citée, rédigée par Harri Luchsinger, Jan Kocbach, Gertjan Ettema et Oyvind Sandbakk en Juin 2017. Ici, ce sont 47 sprints de Coupe du monde, entre 2011 et 2016, qui sont étudiés. Les coureurs sont séparés en deux groupes : les dix meilleurs puis les biathlètes classés entre la 21ème et la 30ème place, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. L’idée est de connaître l’impact du ski et du tir sur la performance, tout en étudiant différents niveaux de performance pour y trouver des corrélations. Ici, l’impact du tir est calculée via le temps passé sur l’anneau de pénalité.
Les résultats confirment la tendance : pour passer du top 30 au top 10, c’est la performance à ski qui a le plus d’impact (59-65 %), devant la précision au tir (31-35 %) et le temps de tir et le temps passé sur le pas de tir (qui cumule 4-6 % d’impact à eux deux). En moyenne, les classés de 21 à 30 ont des temps de courses plus de lents de 50 secondes (chez les hommes) et 60 secondes (chez les femmes) par rapport au top 10.

Les classés de 21 à 30 perdent 30 à 40 secondes par course sur le temps de ski, et environ 20 secondes sur le temps de pénalité. Quand on sait qu’un tour de pénalité prend environ 20-25 secondes, on peut en déduire que les classés de 21 à 30 font, en moyenne, 1 faute de plus que le top 10.
Les scientifiques ont également pu dégager quelques tendances sur le tir lors du Sprint :
– tous sexes confondus sur le tir couché, la première et la dernière balle sont celles qui ont le plus d’erreurs. Pour la première balle tirée, elle est même ratée deux fois plus souvent que la deuxième balle.
– tous sexes confondus, il y a entre 1,6 et 1,9 fois plus de fautes sur le tir debout par rapport au tir couché.
La saison en cours confirme-t-elle la tendance ?
La réponse est oui, même s’il faut prendre des pincettes. Nous avons obtenu via le site realbiathlon le classement du top 30 à ski, au tir, et au général du Sprint, en ne considérant que les biathlètes avec 5 courses ou plus. Cela reste relativement peu mais permet de donner un ordre d’idées.

Chez les hommes, le constat est frappant : sur les 5 premiers du général du Sprint, quatre sont présents dans le top 5 des skieurs alors qu’aucun n’est présent dans le top 5 des tireurs les plus précis. En fait, en dehors du Russe Loginov (7ème sur le classement du tir en Sprint), les quatre autres (Samuelsson, Fillon-Maillet, JT Boe et Jacquelin) ne font même pas partie du top 30 des meilleurs tireurs. A l’inverse, quand on regarde les meilleurs tireurs, ils sont finalement en dehors du top 20 au Général (hors Laegreid et Loginov).

Chez les filles, le constat est plutôt similaire, puisque les 4 meilleures biathlètes au général sont dans le top 6 des meilleures fondeuses. La différence est qu’ici Marte Olsbu Roeiseland est également la meilleure tireuse sur le Sprint, c’est bien pour cela qu’elle écrase la concurrence. En revanche, ses poursuivantes aux points (Sola et les sœurs Oeberg) ne font pas partie du top 30 des meilleures tireuses sur le Sprint. Quand on regarde les meilleurs tireuses, elles sont peu à être présentes (Roeiseland, Alimbekava, Bescond) dans le top 30 du général du Sprint
L’étude statistique au biathlon est très intéressante car c’est un sport qui, derrière l’émotion palpable sur la piste ou le pas de tir, est plein de chiffres. Les scientifiques se sont rapidement intéressés à l’étude du biathlon, notamment pour essayer de tirer des conclusions sur l’impact du tir et du ski sur la performance. Si de nombreux évènements extérieurs jouent aussi leur rôle, on voit que le Sprint est le terrain de jeu le plus propice aux études. Ces dernières, et la saison en cours, montrent que le niveau de ski est prépondérant dans la performance des biathlètes en Sprint. Il explique en effet autour de 60 % de la performance. La précision au tir ne serait responsable que de 35 % de la performance sur le Sprint, ce qui n’est pas forcément valable pour les autres épreuves comme l’Individuel. Pour les épreuves de Sprint qui commencent aujourd’hui, on peut donc raisonnablement penser que ce sont les bons skieurs et skieuses qui auront la faveur des pronostics.
Crédit photo de couverture : Kevin Voigt.
Les résultats sont bien concluants ! Merci pour cette belle analyse, très claire et pertinente 😃