Alors que les Jeux Olympiques se tiennent actuellement à Pékin, je vous propose de revenir quelques années en arrière, pour revivre avec un médaillé olympique français, la journée de son exploit. Aujourd’hui, j’accueille le skieur de La Rosière, Joël Chenal, vice-champion olympique de géant lors des Jeux de Turin en 2006.
« En 1998 à Nagano, je dispute mes premiers Jeux Olympiques. Je les aborde comme une course habituelle alors que les Jeux ce n’est pas ça, il y beaucoup d’autres facteurs à prendre en compte. Je n’avais pas vraiment d’objectifs précis et je les prenais vraiment comme une expérience, pour voir comment cela se déroulait, et pour moi de savoir comment je pouvais gérer un tel événement. Alors qu’en 2002 on était beaucoup plus préparé, avec une prépa’ digne de ce nom. Et finalement, on est passé complètement à côté. C’est la pire course que j’ai vécue. On avait fait un stage dans Wyoming juste avant, c’était super, on était prêt. Avec Frédéric Covili, Vincent Millet et Raphaël Burtin, on se tirait la bourre, et quand on arrive à Park City, on est surpris par cette neige agressive. Pas relâché, je termine 21e, alors que j’étais préparé pour ça. C’était également juste après les attentats de 2001, on était contrôlé au sommet des pistes, il y avait une ambiance particulière, ce qui nous a peut-être éloigné de notre schéma.

Au début de la saison 2005-2006, je suis là sans être là, je fais des top 20, et ce qui me met dedans c’est Adelboden début janvier, je fais 8e. Alors que juste avant on a connu un événement dramatique car notre coach Seve Bottero se tue en voiture. C’est le 2 janvier, on doit partir en FIS travailler avant Adel’, lui part un peu avant et se tue sur la route. Nous on le sait deux ou trois heures après, on a un appel du chef de l’équipe masculine. La question s’est posée de continuer ou de couper. C’était vraiment un père pour moi, il m’a beaucoup donné… On s’est appelé entre les gars, finalement la plupart voulait continuer, 1 ou 2 ne sont pas venus, mais je pense qu’on a fait le bon choix de pas rester enfermer à ressasser, et de continuer aussi le travail qu’on avait commencer avec lui. Et à partir de ce moment-là, ça m’a fait réaliser qu’il y avait plus grave que de rater une course ou de ne pas bien skier.
A partir du mois de janvier j’ai commencé à vraiment bien skier. On a fait un stage à Vars, c’était bleu, du carrelage, je change de skis pour une paire toute neuve. Je fais quelques runs et je me sens super bien, je gagne les chronos, et je dis au technicien « je vais prendre cette paire pour les Jeux ». On la mise de côté, et je l’ai ressorti uniquement le jour de la course !

C’est aussi la première fois que je vivais des JO en Europe, j’y suis allé avec ma voiture. Je savais que c’était mes derniers Jeux, donc je voulais vraiment profiter de l’événement ! Même si nous en alpin on était basé à Sestrières, on a pu se déplacer voir le biathlon, le bob’, c’était super sympa. Normalement je ne suis pas quelqu’un d’hyper détendu, mais là j’étais dans un état d’esprit que j’ai connu qu’une seule fois dans ma carrière. Les 4-5 jours avant la course, j’étais presque tout le temps dans le moment présent. Un peu dans la continuité du début de saison. Les JO étaient un objectif, j’y pensais, mais je n’étais pas focalisé que sur Turin. En alpin il faut se préparer, se battre pour les dossards, et je prenais les courses les unes après les autres.
La veille de la course il avait un peu neigé donc les sensations n’étaient pas super. Je ne dors jamais beaucoup les veilles de courses, là j’ai dû faire 5 ou 6 heures, et le matin ça va assez vite. Tu te lèves, tu prends ton petit dej’, tu croises d’autres athlètes dans le village qui partent à leur épreuve… T’es dans une bulle mais pas enfermé dans quelque chose de stressant. Je m’élançais avec le dossard 20 en première manche, et le départ était super raide, c’était vraiment un géant exigeant. La piste était béton avec un profil technique, ce qui me convenait bien, et en partant 20 les regards n’étaient pas tournés sur moi. Je me suis vite bien senti dans le géant, même si honnêtement je ne me souviens pas de grand-chose (rires).

Je fais deuxième de la première manche, je me retrouve dans une situation que je n’ai presque jamais connu dans ma carrière. Etonnement, je suis encore hyper serein. Je réponds aux médias, je vais vite dans le coin réservé aux coureurs, je fais la reco’, et je vais faire deux pistes en libre pour moi. Peut-être pour m’éloigner un peu de l’enjeu, mais ce n’était même pas quelque chose de forcé, j’y vais parce que j’en ai envie. Il y avait une super piste à côté, je fais mes deux tours, je monte au départ, et j’attends. Quelques minutes avant le départ, ça commence à monter ! Ce n’est pas du stress, je ne me raidis pas, c’est plus la bête de course qui se met en marche. Les coaches font remonter les infos, il y a un petit passage stratégique à gérer mais c’est tout, il faut y aller, c’est le moment. Je me sentais vraiment fort intérieurement, j’étais dans la maîtrise de l’instant présent. Je ne sais pas comment l’expliquer, je n’ai ressenti ça qu’une seule fois, est-ce que le décès de notre coach a pu jouer…
Quand j’arrive en bas de la deuz, je regarde tout de suite le tableau, je vois que je suis 2e derrière Beni Raich et devant Hermann Maier, et là j’explose parce que je suis assuré de la médaille. L’objectif était atteint. Je croise le chef des équipes masculines Gilles Brenier, il m’a sauté dans les bras, c’est lui qui est arrivé en premier. Ensuite j’ai vu mon père, quelques supporters de La Rosière, les coachs… Tu ne réalises pas vraiment, il y a d’abord un podium où tu reçois que les fleurs, donc tu ne réalises pas tout de suite que c’est les Jeux et que t’es vice-champion Olympique.

C’est vraiment le soir à 19h, quand les carabiniers viennent te chercher à l’hôtel parce que la cérémonie était à Turin donc à 1h30 de route, qu’ils sont à bloc avec les gyrophares sur l’autoroute, et que tu descends avec tous les médaillés du jour que tu comprends. Sur le podium, j’ai la médaille autour du cou, et là il y a 3 ou 4 minutes que je prends vraiment pour moi. Je ne pense à rien et en même temps à plein de choses, mais je profite de mon moment.
Quand j’en parle je me dis que ce n’était pas y a si longtemps, mais entre temps il y a déjà eu 4 olympiades (rires). Cette journée elle est là, j’ai l’impression que c’était il y a une semaine. Alors que je n’en avais jamais rêvé étant petit. Je voulais gagner en Coupe du Monde, mais je ne me suis jamais dis que je voulais être médaillé olympique. Peut-être parce que je trouvais cela inaccessible. Mon rêve était de remporter un globe d’une discipline, d’être récompensé pour ma régularité sur une saison. Je ne me sentais pas capable d’être présent sur un jour J… »