Un soir de demi-finale de Coupe du Monde, Gary Lineker prononçait cette phrase, désormais célèbre : “Le football est un sport qui se joue à onze contre onze, et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne”. Si l’Histoire nous a montré que cette vérité est bien propre au football, elle s’est construite au fil des remaniements et autres révolutions. Entamée dès la fin des années 90’, la transformation du modèle allemand a permis au pays de broder une quatrième étoile sur son maillot, avant d’être aujourd’hui jugée obsolète. Retour sur la formation à l’allemande.
Le fiasco de l’Euro 2000
Après un mondial français décevant et une élimination sèche en quart de finale contre la Croatie (3-0), les joueurs de la Nationalmannschaft voient en l’Euro 2000 l’occasion de se rattraper et d’oublier ce revers. Tenants du titre, ils enregistrent néanmoins un effectif vieillissant, où la moyenne d’âge atteint 31,5 ans. Et le contexte n’est pas non plus propice à une bonne préparation. Erich Ribbeck, sélectionneur de l’époque, est loin de faire l’unanimité au sein du vestiaire allemand. Son choix de rappeler Lothar Matthäus, 39 ans, ne plaît pas à Thomas Linke et ses coéquipiers. Et, malgré quelques grands noms (Häßler, Kahn, Ballack), l’équipe d’Allemagne n’a d’équipe que le nom. La sélection débarque donc en Belgique et aux Pays-Bas plus affaiblie que jamais.
Le terrain et l’absence d’identité de jeu ne font que renforcer les failles d’un vestiaire au bord de la rupture. Pour ne rien arranger, les Allemands se retrouvent dans le groupe de la mort. Un premier nul contre la Roumanie de Gheorghe Hagi (1-1) vient déjà donner du grain à moudre aux détracteurs de la Nationalmannschaft. Mais le pire est à venir. Défaits par l’Angleterre lors du second match (1-0), les hommes d’Erich Ribbeck doivent se sublimer face à un Portugal déjà qualifié pour espérer passer le premier tour. Sérgio Conceição, auteur d’un triplé, vient annihiler les derniers espoirs allemands dont les Portugais ne font qu’une bouchée (3-0).

La déception est immense pour les coéquipiers d’Oliver Kahn, et la presse nationale n’épargne personne. “Nos enfants n’ont plus d’idoles” titre même BZ. Encore aujourd’hui, l’Euro 2000 est considéré comme l’un des pires événements sportifs outre-Rhin.
L’Extended Talent Promotion Programme
L’heure est désormais à la reconstruction. Longtemps nation phare du ballon rond, la sélection allemande semble dépassée. En continuant de miser sur sa puissance physique et ses capacités athlétiques, la Mannschaft n’a pas su répondre aux critères d’un nouveau football plus technique et créatif. La DFB sait qu’elle doit tout revoir, et entame la refonte de son système de formation. Gernot Rohr, passé notamment par Bordeaux, est invité par la fédération pour évoquer le modèle de formation français, alors au sommet de son art. En s’inspirant du football hexagonal et des grands principes néerlandais, la DFB met en place un vaste programme destiné à remettre l’Allemagne sur le devant de la scène internationale : l’Extended Talent Promotion Programme (ETPP), ou littéralement le “programme de promotion des talents”. L’ETPP va contraindre les clubs allemands à développer leurs centres de formation, à collaborer avec les écoles de la région, et à se soumettre à des critères quantitatifs très stricts pour rester en Bundesliga (nombre de préparateurs, nombre de terrains…).
L’idée est de ne passer à côté d’aucun talent, quand bien même celui-ci se trouverait dans la zone la plus reculée de Brême. La faillite de Sky Deutschland en 2002, diffuseur du championnat national, va renforcer l’obligation qu’ont les clubs à se tourner vers leur propre vivier.
En parallèle, 54 centres de haute performance sont créés. Plus de 360 bases d’entraînements sortent de terre, et quelque 1300 entraîneurs professionnels sont formés. Les jeunes joueurs évoluent au sein des centres de formation, et les plus talentueux d’entre eux sont invités à s’entraîner une fois par semaine dans l’un des nouveaux centres DFB. Enfin, le déploiement d’une “DFB Mobil”, circulant aux quatre coins de l’Allemagne, permet aux éducateurs de tous les villages d’être formés selon le modèle défini.

La fédération ne lésine pas sur les moyens, et place la continuité au cœur de son projet. Les sélections de jeunes pratiquent le même football que l’équipe A. Les joueurs gravissent les échelons un à un, sans jamais brûler une étape de leur progression.
2013-2014 : le triomphe du foot allemand
Rapidement, le programme ETPP porte ses fruits. Troisième des Coupe du Monde 2006 et 2010, vice-championne d’Europe en 2008, l’Allemagne inspire de nouveau la crainte. Mieux encore : elle pratique un jeu attrayant. Entre possession de balle et pressing intense, rares sont les formations capables de venir à bout de la Mannschaft. Et la consécration d’un travail de longue haleine arrive dès 2013. Adversaires en finale de la Ligue des Champions, le Bayern et Dortmund sont sur le toit de l’Europe. Les meilleurs ennemis allemands alignent respectivement cinq et sept joueurs formés selon le modèle de formation établi quinze ans plus tôt.

Un triomphe confirmé une petite année plus tard, au Brésil. Au terme d’un tournoi (presque) maîtrisé de bout en bout, les joueurs de Joachim Löw ajoutent une quatrième étoile au maillot de la Nationalmannschaft. Avec en point d’orgue une victoire historique face au pays hôte (7-1), symbole ultime de l’apogée du football allemand. Et, preuve de la continuité tant prônée par la DFB, six d’entre eux étaient déjà champions d’Europe espoirs en 2009.
Mais les joueurs ne sont pas les seuls à briller. Sur les dernières années, le coaching allemand s’est exporté, et est souvent perçu comme un gage de réussite. Löw, Tuchel, Klopp, Rangnick, Nagelsmann… tous sont arrivés sur le devant de la scène dans le cadre du programme ETPP. La preuve par trois : les trois dernières Ligue des Champions ont toute été soulevées par des entraîneurs Allemands.
Un modèle à bout de souffle ?
En plaçant les intérêts de l’équipe nationale au-dessus de toutes les écuries de Bundeliga, la DFB a permis au football allemand de dominer le monde du ballon rond. Mais la fédération se heurte aujourd’hui aux limites de son propre système. Le délaissement du football physique au profit d’une rigueur tactique absolue ne suffit plus. Toute proportion gardée, la Mannschaft se trouve dans une situation similaire à celle d’il y a vingt ans. Le groupe commence à vieillir : 27,5 ans de moyenne d’âge au dernier Euro. Les Kroos (32 ans), Neuer (35 ans), Müller (32 ans) ou Boateng (33 ans), sont plus proches de la fin que du début. La sélection reste sur une Coupe du Monde complétement ratée, et un euro qui n’a pas suffi à rassurer les supporters allemands.
À bout de souffle, l’équipe de Flick espère désormais pouvoir compter sur ses jeunes pousses. Mais là encore le bât blesse. Si de nombreux jeunes joueurs restent très prometteurs (Adeyemi, Havertz, Musiala, Lawrence…), ils ne semblent pas prêts à reprendre le flambeau de leurs glorieux aînés dans l’immédiat. Et ce, malgré la victoire de l’Allemagne à l’Euro espoir en juin dernier.

La glorification à l’excès du cadre équipe par la DFB a privé les clubs de l’efficacité de la prise d’initiative individuelle. Par conséquent, pour satisfaire un besoin immédiat de résultats et de spectacle, la Bundesliga s’en remet de plus en plus aux joueurs étrangers. Espagnols, Anglais et Français font désormais partie intégrante des têtes de gondoles du championnat. Ainsi, la saison dernière, les -21 ans allemands ne représentaient que 3% du temps de jeu total de la compétition, contre 7,8% il y a seulement deux ans.
Mais la fédération apprend de ses erreurs. Conscient de son retard sur certains de ses concurrents européens, elle a mis sur pied un nouveau modèle de formation. Le “Plan futur”, dévoilé en 2018, devrait permettre à la Nationalmannschaft de regagner les sommets du football mondial. À cet effet, un centre fédéral doit ouvrir ses portes courant 2022 à Francfort. Largement inspiré de Clairefontaine, il accueillera toutes les sélections lors des rassemblements.
Le plan futur programme également une refonte des championnats chez les jeunes. Les compétitions nationales des -17 ans et -19 ans resteront figées, et plus aucune équipe ne pourra descendre à l’échelon en dessous. L’idée est de s’intéresser au niveau global plutôt qu’à la pression du résultat. Même volonté chez les enfants, où les règles changent : si une équipe accuse plus de deux buts de retards, elle évoluera à un de plus que son adversaire. L’objectif est de favoriser le jeu en réduisant l’enjeu. Critiqué pour son manque de compétitivité, le projet devra rapidement porter ses fruits. Et les ambitions sont claires : la Mannschaft devra ramener au pays au moins un titre par décennie.
« Nous avons besoin de retrouver un football plus naturel et plus instinctif. Nous devons donner à nos joueurs plus de liberté pour être créatifs et avoir du plaisir à jouer », Oliver Bierhoff, directeur général de l’équipe nationale
Adversaires le temps d’un huitième de finale, le Bayern et Salzburg profitent tous les deux de la formation à l’allemande. Müller, Kimmich et consort d’un côté ; Adeyemi de l’autre. Tous sont le fruit d’un modèle de formation imaginé il y a vingt ans, et jugé aujourd’hui dépassé. Mais une chose reste certaine : ils sont prêts à briller sur la scène de la plus prestigieuse compétition européenne.