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[Dossier] Kamila Valieva, symbole des sportifs abusés

Russia's Kamila Valieva attends a training session on February 12, 2022 prior the Figure Skating Event at the Beijing 2022 Olympic Games. (Photo by Manan VATSYAYANA / AFP)

Vous connaissez le proverbe chinois « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » ? Cela peut être adapté au contrôle positif pour dopage de Kamila Valieva. Car tandis que tout le monde parle de ce contrôle et de l’immense problème du dopage dans le sport, une problématique ô combien plus importante que du dopage n’est pas abordée. Le cas Valieva n’est pas un simple cas de dopage : Il s’agit d’un abus sur mineur.

La nouvelle est tombée le mercredi 9 février 2022 pendant la journée : la cérémonie des médailles de la compétition de patinage par équipes était reportée. Les Russes s’y étaient imposés devant les Américains et les Japonais. La raison met des jours avant d’être officielle. On parle alors d’un problème légal lié à l’équipe russe. Immédiatement, on parle de dopage – Russie oblige. Quelques heures plus tard, un nom tombe : Kamila Valieva, championne d’Europe en titre et recordwoman du monde de patinage, 15 ans. Puis la confirmation arrive enfin, la patineuse a été contrôlée positive à la trimetazidine.

Il s’agit d’une molécule qui soigne les angines de poitrine et les vertiges et qui est interdite en compétition et hors compétition. En effet, elle peut également augmenter l’efficacité du flux sanguin et améliorer l’endurance, deux éléments essentiels à toute performance sportive de haut niveau. Néanmoins, le flou continue de régner pendant des jours sur la suite et continue d’ailleurs : La patineuse étant autorisée à concourir.

Âgée de moins de 16 ans, Kamila Valieva est une personne protégée par l’Agence mondiale anti-dopage. Elle ne peut être considérée légalement responsable de son dopage car trop jeune. La règle des personnes protégées existe pour empêcher exactement la situation qui se déroule actuellement : sanctionner fortement une enfant pour des erreurs ou des négligences d’adultes. Les soupçons se portent donc vers ceux qui sont certainement responsables de cette situation : Les entraîneurs, qui sont d’ailleurs sous enquête à l’heure actuelle. Car ce sont bel et bien eux qui sont responsables des traitements en lien avec les médecins. Ainsi, si un produit est délivré, la logique voudrait que le responsable soit l’adulte l’ayant prescrit. Ou s’il s’agit d’une erreur de la patineuse, qu’ils soient coupables de négligence en ne l’ayant pas suffisamment mise en garde sur les produits qu’elle ingère ou sur les erreurs à ne pas commettre lorsque l’on pratique le sport de haut niveau.

« En tant qu’athlète, vous suivez toujours les conseils de vos confidents, dans ce cas, elle a probablement suivi son entraîneur et son équipe médicale. C’est une honte, et les adultes responsables devraient être bannis du sport pour toujours !!! Ce qu’ils lui ont fait sciemment, si cela est vrai, ne peut être surpassé en inhumanité et fait pleurer mon cœur d’athlète à l’infini. »

Katarina Witt, double championne olympique pour la République démocratique allemande

Mais concernant la situation russe, personne n’est vraiment étonné. Car beaucoup d’entraîneurs sont prêts à tout pour voir leurs jeunes athlètes gagner. Quitte à avoir, au pire, quelques pertes sur le trajet. Et c’est le cas d’Eteri Tutberidze, la coach de Sambo 70, l’endroit d’où sort la « Quad Team » russe.

Kamila Valieva à l’entrainement à Pékin (David J.Phillip/Keystone)

Sambo 70, l’usine à gagner

Eteri Tutberidze est mondialement connue dans le patinage. Elle est la meilleure entraineuse du moment chez les féminines. Depuis environ dix ans et les Jeux de Sotchi à domicile, ses patineuses dominent les compétitions internationales. À Sotchi, Yulia Lipnitskaya, 15 ans, est championne olympique. Par la suite, Evgenia Medvedeva remporte coup sur coup les championnats du monde 2016 et 2017 à 16 ans. Elle est également vice-championne olympique à Pyeongchang. C’est une autre Russe de Sambo 70 qui gagne ces Jeux : Alina Zagitova, également âgée de 15 ans. Elle remporte par la suite les mondiaux 2019. En l’absence de mondiaux en 2020, c’est tout de même une fille de 16 ans, entraînée par Eteri Tutberidze, qui gagne aux championnats d’Europe : Alena Kostornaia. Les Championnats du monde 2021, eux, sont remportés par Anna Shcherbakova, 16 ans. Et cette année Kamila Valieva, actuelle championne d’Europe, était l’immense favorite pour le titre olympique.

Le trio russe sur le toit de l’Europe début 2022 accompagné de ses entraineurs (TASS)

Mais ce n’est pas l’unique raison de sa renommée. La Russe est surtout la première entraineuse dont une des patineuses a réussi un quadruple saut en compétition. Jusqu’alors réservés aux hommes, ces sauts se démocratisent et nombreuses sont celles qui en réalisent désormais. Grâce, notamment, aux entraînements d’Eteri Tutberidze. Cela vaut à son équipe le surnom de « Quad Team ». Kamila Valieva en fait partie. Elle a d’ailleurs réussi le premier quadruple saut de l’histoire des Jeux Olympiques lors de l’épreuve par équipes. Mais Alexandra Trusova et Anna Shcherbakova, toutes deux également à Pékin, en ont également dans leurs programmes.

La solution d’Eteri Tutberidze aux quadruples sauts : commencer à les apprendre jeune, lorsque les filles sont encore petites et légères. En effet, comme elle l’explique, à cet âge-là tout est plus simple, que ce soit physiquement ou psychologiquement, et les blessures guérissent plus rapidement.

Eteri Tutberidze et ses méthodes à broyer

La rançon de la gloire importe peu Eteri Tutberidze. En effet, elle n’est pas celle qui en paye le prix. Comme vous avez pu le constater dans les paragraphes précédents, année après année, la championne précédente est remplacée. De plus, aucune d’entre elles dépasse la majorité en étant encore en état de gagner. On parle de « date d’expiration » pour les jeunes patineuses russes comme on pourrait parler d’objets périssables. Car c’est ce qu’elles sont. Il y a toujours plus forte, meilleure que la précédente. Et surtout moins blessée.

« Je ne pense pas que Tutberidze soit la meilleure entraîneur. Qu’est-ce qui est génial avec l’avènement d’athlètes féminines, pratiquement des enfants, qui n’ont pas de carrière senior dans le sport ? »

Yana Rudkovskaya à NTV Channel

Mais si les nouvelles pépites sont plus fortes, les anciennes patineuses sont surtout bien trop blessées pour continuer. Elles sont usées par des années à répéter pendant des dizaines d’heures chaque jour les mêmes mouvements alors qu’elles sont parfois blessées. Eteri Tutberidze s’en est pris, par exemple, à Aliona Kostornaia lors des Championnats nationaux, arguant, au cours d’une interview à Channel one, qu’elle aurait pu participer avec un bras cassé : « Honnêtement, je crois qu’il était possible d’essayer de patiner avec cette blessure. Parce qu’Evgenia Medvedeva a patiné avec un plâtre au bras aux Championnats nationaux russes et personne ne le savait. » Kostornaia vient d’ailleurs de subir une seconde fracture, à son autre poignet quelques semaines seulement après la précédente. Une explication pourrait être une densité osseuse insuffisante suite à des problèmes de croissance.

Les sauts, notamment les quadruples sauts, sont très mauvais pour le corps. Encore plus lorsqu’il est en croissance. En effet, les patineuses réalisent des pré-rotations. Elles enclenchent leur rotation avant de décoller du sol à l’aide d’une torsion du dos. Elles développent ainsi de gros problèmes de dos, mais également de nombreuses blessures aux jambes qu’elles n’arrivent plus à soigner et qui les envoient en retraite anticipée. C’est ce qui est arrivé à Evgenia Medvedeva qui ne pouvait plus sauter. Au Grand prix du Japon 2022, Daria Usacheva se blesse dès l’échauffement gravement à la hanche. En cause, une fracture de fatigue liée à l’entraînement.

Medvedeva et Zagitova aux Jeux de Pyeongchang (Getty Images)

En parallèle, elle ne supporte pas de voir ses athlètes grandir et grossir (ici dans le sens : prendre du poids parce qu’elles grandissent, prennent des muscles et entrent dans l’adolescence). En effet, il devient plus difficile de réaliser des quad. Les régimes alimentaires sont stricts, voire inexistants. Elle se vante que ses patineuses ne se nourrissent que de poudre. Elle les pèse également au gramme près. Pour ne pas prendre de poids, Alina Zagitova recrachait l’eau qu’elle buvait pendant la préparation des Jeux de Pyeongchang. Outre les blessures à répétition, c’est d’ailleurs l’anorexie qui a eu le dernier mot pour la championne olympique 2014 : Elle s’est fait soigner pendant plusieurs mois dans une clinique israélienne.

Et pour chaque athlète qui finissait par se blesser ou craquer, les raisons étaient simples : c’était de la faute de la patineuse. Pas sérieuse, fainéante, traître si elle venait à changer de club. Les mots envers les anciennes protégées sont toujours extrêmement durs. Mais Eteri Tutberidze est une reine en Russie, soutenue par le gouvernement à qui elle amène des médailles, et les médias russes qui n’hésitent pas à enfoncer ses anciennes pépites et cacher ses méthodes. Elle est d’ailleurs également soutenue par la Fédération internationale qui l’a nommée coach de l’année, malgré ses méthodes d’entraînement connues de tous sur le circuit mondial depuis des années.

« On la dit très dure avec ses élèves. Elle travaille auprès de gamines, moi je travaille plus avec des patineurs et patineuses plus âgées. Mais c’est sûr que ce ne serait pas possible d’entraîner nos athlètes de cette manière en Europe de l’Ouest, aux Etats-Unis ou au Canada. C’est très militaire, très abusif, même, en un sens. Si j’utilisais ses méthodes dans mon académie à Montréal, je ne serais plus sur la glace et je n’aurais plus le droit d’approcher des enfants. »

Romain Haguenauer, entraineur du duo Papadakis/Cizeron et d’un grand nombre d’autres danseurs sur glace, pour 20 minutes

Avec le dopage, s’il est confirmé comme à l’insu de Kamila Valieva par l’enquête actuellement menée sur son entourage, une nouvelle limite serait alors franchie. Après les avoir abusés physiquement pendant des années, elle prive l’une des meilleures patineuses mondiales d’un titre, d’un rêve et d’une potentielle future carrière. Car si le dopage peut aider sur les quadruples sauts, Kamila Valieva a un excellent talent d’interprétation. Il s’agit d’une patineuse gracieuse et magnifique à regarder patiner sur la glace et elle ne ferait que des triples sauts que ça ne changerait pas le fond de son patinage. Comme le dit Adam Rippon, ancien patineur américain et actuel coach de Mariah Bell : « Le fait exaspérant est que de tout ce qui fait de Kami une patineuse incroyable (pirouettes, fluidité, flexibilité), rien de tout cela ne peut provenir de dopage. Mais son équipe ne voulait pas respecter les règles. »

Le programme court de Kamila Valieva lors des championnats d’Europe 2022

De plus, la molécule utilisée pourrait également la mettre en danger. Les effets secondaires sont tellement importants qu’elle est depuis plusieurs années dans la liste noire des produits à ne plus utiliser en France car ils seraient plus dangereux qu’utiles. Vertiges et chutes, tremblements, symptômes parkinsoniens, hypotension sont des effets de la trimétazidine. Un beau produit à donner à une enfant de 15 ans, encore en croissance et en pleine santé…

Si tout est encore extrêmement flou, l’excuse actuellement donnée serait que la jeune patineuse aurait bu dans le verre de son grand-père traité avec cette molécule, ce contrôle jette aussi des doutes sur les deux autres patineuses de Sambo 70 : Alexandra Trusova et Anna Shcherbakova. D’autant plus que les derniers retours parlent de 2 autres produits, légaux cette fois, pour traiter le cœur présents dans son organisme en plus de la trimétazidine, ce qui étonne très fortement les enquêteurs et fait pencher la balance vers l’idée que cela ne peut pas être dû à une erreur d’inattention, ni à un dopage d’une enfant de 15 ans d’elle-même. Comment ses coéquipières pourraient être négatives si l’une d’entre elles est positive et qu’il s’agit d’un dopage organisé par les entraîneurs ? Et même si elle avait pris d’elle-même ces médicaments, comment ne pas voir par là un moyen de résister à la concurrence bien trop importante existant entre les différentes patineuses et à la charge d’entraînement insoutenable ?

Les doutes étaient déjà présents depuis longtemps avec autant de réussites de quad uniquement dans ce centre, mais également à cause des dires d’Anastasiia Shabotova, une jeune patineuse expliquant qu’il fallait se doper pour performer de manière constante. Si le début de feu avait été rapidement éteint, tout le monde n’était pas forcément convaincu. Encore moins avec Filipp Shvetsky pour docteur. En effet, il a déjà été suspendu pour dopage dans le passé. Néanmoins, les deux plus vieilles ne bénéficieront pas du même traitement de faveur si elles venaient à être positives également : Toutes deux sont âgées de plus de 16 ans.

Mais après des années à être sous la coupe de ces entraîneurs, ont-elles vraiment le choix ou sont-elles au courant de ce qu’elles ingèrent ? Après des années à être abusés depuis un très jeune âge, peut-on comprendre qu’on est abusé ? Ou ces abus deviennent-ils la normalité ?

Un athlète peut-il comprendre qu’il est abusé ?

Dans un article rédigé dans son blog, Anne Kuhm, ancienne membre de l’équipe de France de gymnastique, répond en partie à cette question. Et ce qui s’adapte à la gymnastique, notamment féminine, est aussi valable pour le patinage. Dans ces deux sports, le haut niveau commence particulièrement tôt. L’histoire laisse entendre que l’on ne peut plus être réellement performant chez les femmes aussitôt le pic de forme de la vingtaine passé. Quand bien même c’est très loin d’être une réalité. La progression de Simone Biles à 24 ans ou les médailles mondiales et olympiques de Becky Downie (à 27 ans) et Vanessa Ferrari (à 30 ans) ou la longévité de la carrière d’Oksana Chusovitina (des JO à 46 ans) étant autant de contre-exemples que l’on peut continuer à progresser bien plus tard en gymnastique. Toutefois, les entraînements intensifs commencent à des âges où il est impossible pour un enfant de comprendre que ce qui lui arrive n’est pas normal.

Pour un enfant se retrouvant en centre d’entraînement à un très jeune âge, le milieu dans lequel il évolue devient un modèle. Or, à Sambo 70 comme dans bien d’autres endroits, les sportifs se retrouvent souvent éloignés de leurs parents. Avec pour unique vue sur la vie l’école, parfois uniquement quelques heures, et les entraînements. Eteri Tutberidze le dit d’elle-même : « Le meilleur parent est celui que je ne connais pas. »

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Evgenia Medvedeva acceptait davantage la situation que d’autres. La double championne du monde est entrée très jeune à Sambo 70. Elle s’est habituée à subir les remarques et aux méthodes très rudes d’entrainement. D’autres ont fini par arrêter ou, arrivées plus tard, n’ont pas tenu le choc. Car derrière quelques championnes, il y a également toutes celles laissées pour compte.

« Tutberidze peut humilier une athlète, mais les filles reviennent vers elle parce qu’elles ne savent pas comment s’entraîner différemment. »

Ekaterina Bobrova

De plus, il est connu que dans le cas de certains abus, le cerveau fait tout pour oublier l’événement traumatisant. Ce fut le cas pour de nombreuses victimes de l’affaire Larry Nassar qui ont tout d’abord commencé par le défendre..

Jeunes sportifs abusés une généralité ?

La situation du patinage russe est à mettre en relation avec une autre équipe dominante de la dernière décennie : l’équipe de gymnastique américaine. Alors que l’équipe gagnait, personne ne se posait de questions sur les méthodes employées par Bela et Martha Károlyi, les entraîneurs nationaux. Parce que comme en Russie, il faut ramener des médailles coûte que coûte dans bien d’autres pays. Pourtant, ce sont leurs méthodes excessivement rudes et comparables à celles d’Eteri Tutberidze qui ont conduit à l’un des plus grands scandales de l’histoire du sport mondial.

« Par nature, je ne suis jamais satisfait. Ce n’est jamais assez, jamais. Mes gymnastes sont les mieux préparées au monde. Et ils gagnent. C’est tout ce qui compte. »

Bela Károlyi au Daily Mail en réponse à des affirmations dans un livre sur Nadia Comaneci qu’il l’affamait, la giflait et refusait de la soigner

Lorsque l’affaire Larry Nassar éclate en 2015, cela fait 20 ans que la première alerte a été donnée. Il n’a pourtant fallu qu’une unique coach qui a surpris une conversation entre deux coéquipières pour que les choses soient bien faites et que l’affaire se résolve enfin. Mais pendant tout ce temps, ce sont plus de 250 gymnastes qui ont été agressées sexuellement par le médecin de l’équipe nationale, olympique et de l’Université d’Etat du Michigan (MSU). Et les gymnastes se sont tues, par peur ou parce qu’elles n’ont pas été écoutées et réduites au silence. De plus, avec des entraineurs particulièrement difficile, celui de MSU ayant perdu un procès pour maltraitance, Nassar devenait leur allié et unique ami dans cet univers violent.

Et parler n’est pas facile. C’est certainement d’être l’Athlète A qui coûte à Maggie Nichols sa participation aux Jeux Olympiques de Rio. Elle est alors la 2e meilleure gymnaste américaine en 2015 et se classe 6e des Olympics Trials qualificatifs en revenant tout juste d’une blessure. Non retenue dans les 5, ce qui peut alors s’entendre, les 4eme et 5eme ne l’étant pas également, elle ne figure pas non plus parmi les remplaçantes pourtant au nombre de 3.

Une situation identique se déroule au Royaume-Uni où Amy Tinkler s’attaque aux méthodes d’entraînement avec de nombreuses autres anciennes gymnastes de l’équipe nationale. La suivent alors Ellie et Becky Downie, deux sœurs toujours en activité. Aucune des deux n’est retenue pour Tokyo alors que l’aînée est vice-championne du monde en titre en barres asymétriques. Si les raisons de la Fédération s’entendent – ils voulaient des spécialistes et elle ne faisait que deux agrès – on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi ils ne l’ont pas inscrite dans la voie des spécialistes afin qu’elle obtienne une place supplémentaire pour les barres.

Aly Raisman et Simone Biles, victimes des Karolyi et de Nassar, et Amy Tinkler, qui a attaqué la fédération britannique de gymnastique, sur le podium du sol à Rio (ddp USA/REX/Shutterstock)

Et si mettre une pression sur les compétitions et les rêves n’est pas suffisant, d’autres méthodes peuvent être utilisées pour les empêcher de parler. Laurie Hernandez et Riley McCusker ont gagné leur procès contre leur ancienne entraineuse, Maggie Haney. Elles l’accusaient d’abus verbaux et physiques. Il était courant qu’elle force à retirer les plâtres pour qu’elles continuent de s’entraîner malgré leurs blessures, mais également de se faire tirer par les cheveux lorsqu’elle était mécontente. Les abus verbaux ont provoqué des troubles de l’alimentation ou des angoisses chez nombre de ses gymnastes. Laurie Hernandez a alors expliqué qu’elle avait signalé la situation à sa mère. Mais à la suite de son intervention téléphonique, la situation avait empiré, Maggie Haney passant sa colère sur elle et sur ses coéquipières. Ce qui fait qu’elle n’avait jamais recommencé et qu’elle avait fait croire que tout se passait bien.

Des témoignages du même type sont apparus dans bien d’autres pays, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne ou encore en Australie.

Et en France ?

La France ne fait malheureusement pas exception. Cela fait désormais plusieurs années que de nombreuses alertes sortent. Dans le patinage, le livre Un si long silence de Sarah Abitbol a ouvert la boîte de Pandore. À la suite de cet ouvrage dans lequel elle évoque les agressions sexuelles qu’elle a subi par son entraîneur, le président de la Fédération française des sports de glace est forcé à la démission. Nathalie Péchalat, qui lui succède, entend améliorer la situation. En parallèle, le gouvernement lance un grand recensement. En quelques mois, 387 signalements sont effectués et 421 personnes mises en cause. Parmi les victimes, 63 % ont moins de 15 ans et cela touche 48 fédérations différentes.

Quand aux méthodes précédemment évoquées, elles n’épargnent pas la gymnastique et certainement d’autres sports. Les témoignages des anciennes gymnastes de l’équipe de France sont nombreux à ce sujet. Anne Kuhm a dû faire face à l’anorexie. Morgane Detrez avoue avoir encore un problème avec son corps des années après l’arrêt du haut niveau. L’ancienne pensionnaire du pole de Toulon raconte également les abus physiques qu’elle a pu subir et les entraînements effectués après qu’on l’ait obligée à retirer son plâtre pour s’entrainer. C’est d’ailleurs suite à une blessure sur laquelle elle a trop travaillé qu’elle est obligée d’arrêter le haut niveau.

« J’aurais aimé que ma blessure soit prise vraiment au sérieux dès le début et de ne pas attendre plus d’un an avant de voir la vérité. J’aurais aimé me faire opérer directement et avoir peut-être plus de temps pour reprendre et pourvoir finir mon cycle olympique correctement. »

Morgane Detrez à propos de la blessure qui a mis un terme à sa carrière

Des propos que soutient Anne Kuhm qui a l’intolérance à la douleur inscrite dans son dossier médical après des années à travailler sur un corps blessé.

 « On était dévisagées de haut en bas pendant les rassemblements et on ne mangeait que très peu lors des stages. Au petit-déjeuner, on mangeait une tartine de pain avec du beurre ou de la confiture, surtout pas les deux car sinon ça allait nous faire grossir, une boisson et un yaourt nature sans sucre. Le midi, on mangeait des légumes et une portion microscopique de féculents et de viande blanche. En dessert on mangeait un fruit, enfin une pomme, car les autres fruits étaient considérés comme trop caloriques. Une aberration. Le soir, on avait le droit à un morceau de poisson avec parfois des légumes et un yaourt.  » Morceau d’un témoignage d’Anne Kuhm posté sur son blog et repris par Gym and News à propos de son anorexie et des conditions d’entrainement au sein des stages de l’équipe de France.

Anne Kuhm s’est reconstruite en partie grâce à son expérience en NCAA le championnat universitaire américain
(Arizona State University)

Et toutes sont d’accord que tout revient toujours au poids, notamment les blessures, qu’il faut toujours perdre le plus de kilos possibles. Toutes semblent porter les séquelles de leur période de haut niveau, que ce soit dans leur rapport à leur corps, au niveau psychologique ou de leur confiance en elles. Les témoignages anonymes dans un article sur le sujet de gym and news sont d’ailleurs édifiants.

Est-ce différent chez les hommes ?

La principale différence entre le sport féminin et masculin réside que dans plusieurs cas, les athlètes ont besoin de leurs pleines capacités musculaires pour performer. Ainsi, alors que les agrès féminins sont là pour glorifier la grâce (sol avec musique), ils mettent en avant la force chez les hommes (anneaux). Le pic de niveau des hommes ne peut donc pas réellement être atteint avant la puberté puisque leurs muscles ne sont pas pleinement développés. Il est donc inutile de les sacrifier avant qu’ils soient en âge d’apporter des médailles comme cela peut être le cas chez les femmes. Et on ne cherche pas non plus à bloquer cette puberté comme c’est fait chez les féminines qui la vivent très mal à cause des remarques des entraineurs dans certains cas. En effet, avec celle-ci les femmes doivent réapprendre certains éléments. Mais le corps des hommes bougent moins à cette période posant donc moins de problèmes.

Dans le patinage, si certains sortent bien avant les autres, ça a d’ailleurs été le cas de Yuzuru Hanyu, il restait plus âgé que 15 ans. C’est également le cas de Nathan Chen qui avait 18 ans lors de ses premiers Jeux Olympiques, mais ne s’impose que 4 ans plus tard. Alors qu’aux championnats d’Europe toutes les filles sur le podium ont moins de 18 ans, les hommes ont 18 ans ou plus. En gymnastique de la même façon, les victoires arrivent plus tard chez les hommes. A Rio, seul Kenzo Shiraï avait moins de 20 ans chez les médaillés hommes (19 ans) et la moyenne était autour des 25 ans. Il n’y en avait d’ailleurs que 2 ayant moins de 22 ans parmi les médaillés individuels. Elles étaient en revanche 5 âgées de moins de 20 ans chez les femmes, pour une moyenne de 20 ans. De leur côté, la plus âgée avait 25 ans et toutes les suivantes 22 ans ou moins. Amy Tincker et Laurie Hernandez avaient alors 16 ans.

Nile Wilson, médaillé de bronze à Rio, a dénoncé les abus dans la gymnastique
(Owen Humphreys/PA)

Néanmoins, les abus se produisent des deux côtés. Eteri a des garçons sous sa coupe et ils subissent les mêmes problèmes que ses filles. Ainsi Adian Pitkeev a mis un terme à sa carrière à environ 17 ans à cause de problèmes de dos après avoir gagné dans les catégories juniors. Dans le cas Larry Nassar, même si elles étaient moins nombreuses certains hommes ont témoigné de ses abus. De son côté, Nile Wilson, médaillé de bronze à la barre fixe à Rio a affirmé que les gymnastes étaient « traités comme des morceaux de viande ». Il continuait en affirmant qu’il décrirait cela comme « une culture de la maltraitance » et qu’il l’avait « vécue et respirée pendant 20 ans ».

Avec le choix de faire concourir une athlète sous le feu de la critique, les instances n’ont pas non plus pris leurs responsabilités vis-à-vis des autres participantes, mais également de Kamila Valieva. Comment imaginer qu’elle soit actuellement en l’état d’effectuer des sauts que seules deux autres patineuses réalisent en compétition ? Elle a d’ailleurs terminé son programme court en pleurs et y a fait des erreurs plutôt inhabituelles. Quelles conséquences pour son futur en tant qu’athlète alors qu’il est déjà entaché à 15 ans ? Mais peut-être que la chute de l’étoile du patinage mondiale ouvrira enfin les yeux sur le problème des coachs abusant de leur pouvoir sur des enfants rêveurs aimant un peu trop leur sport. Car avant d’être coupable de dopage, Kamila Valieva est surtout une victime. La victime d’un système, de pays et d’entraîneurs prêts à tout pour des médailles, quitte à détruire physiquement et mentalement leurs champions. Et se pose la question de combien d’autres devront être sacrifiés avant que les choses changent enfin. Peut-être que son autorisation à participer est déjà un élément de réponse, en espérant qu’il soit tout autre lorsque le fond de l’affaire sera traité après les Jeux. Car si cela venait à être qu’en dessous de 16 ans, on ferme les yeux sur le dopage, les conséquences seraient alors encore plus désastreuses sur le patinage qu’elles ne le sont déjà.

Crédits image titre : AFP/Manan Vatsyayana

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