Biathlon Sports hiver

Le biathlon doit-il forcément se réinventer pour continuer à nous émouvoir ?

Le biathlon sort des Jeux Olympiques en ayant une nouvelle fois occupé une place prépondérante. Scénarios rocambolesques, nombre important de courses et médaillés, sport télégénique, l’alliance du tir et du ski de fond est aujourd’hui un des sports phares de la saison d’hiver. Pourtant, des critiques montent sur le nombre de courses et certains formats, jugés moins télégéniques ou équitables. L’IBU en a bien conscience et l’instance a proposé des évolutions pour un sport qui se retrouve également menacé par le dérèglement climatique à long terme.

Un sport majeur…

Le biathlon est aujourd’hui un des sports d’hiver majeur. Si le reste du monde regarde en priorité les sports de glace (patinage artistique et de vitesse, bobsleigh, hockey sur glace), les européens sont plutôt friands de ski alpin et surtout de biathlon. C’était en tout cas le constat en 2014, on peut imaginer qu’il n’ait pas trop bougé depuis.

Popularité des sports d’hiver à travers le monde en 2014 (Crédit : businessinsider)

Sans surprise, dans des pays majeurs du biathlon comme l’Allemagne ou la France, le sport est le plus populaire dans le pays. En France, c’est notamment dû à la diffusion en clair du sport et aux performances exceptionnelles des biathlètes français, Martin Fourcade en tête. Son successeur, Quentin Fillon-Maillet, a d’ailleurs réalisé la meilleur audience des JO 2022 sur France TV lors de son titre sur la Poursuite, rassemblant 3,7 millions de téléspectateurs.

Aux Jeux Olympiques, le biathlon est d’ailleurs l’un des sports les plus représentés avec 11 épreuves sur les 109 organisées à Pékin, soit près de 10% des épreuves. Seuls le patinage de vitesse (14), le ski acrobatique (13) et le ski de fond (12) ont plus d’épreuves.

… et en avance sur la mixité

La onzième épreuve au biathlon a été mise en place aux JO de Sotchi en 2014, c’est le relais mixte. Mise à part le patinage de couple, c’est la première épreuve mixte à intégrer le programme des Jeux Olympiques, mais qui a mis du temps à être acceptée. En effet, le relais mixte existe depuis 2003, et intègre les championnats du monde dès 2005. Il se dispute par équipe de 4 : deux hommes et deux femmes.

Présent depuis 2014 aux JO, le relais mixte a apporté la première médaille française (TOBIAS SCHWARZ / AFP)

Une seconde épreuve mixte voit également le jour lors de la saison 2013-2014 : le relais mixte simple. Par équipe d’une femme et un homme, chaque biathlète fait deux relais composé de deux boucles et deux tirs. Présent aux championnats du monde, le relais mixte simple n’est pas encore présent aux Jeux Olympiques.

Le biathlon est leader sur la mixité mais également sur l’égalité. Aux JO comme sur la coupe du monde, le nombre d’athlètes participants est identique entre femmes et hommes. Au point que l’ajout de 2 coureurs chinois non qualifiés aux épreuves individuelles a fait se lever la communité biathlon, Clare Egan en tête.

La communauté biathlon est très impliquée dans l’égalité au sein du sport (Crédit : Twitter)

Le dilemme des épreuves télégéniques 

Si le biathlon est un sport si populaire, il le doit en partie à ses épreuves qui attirent le public… Enfin pas toutes. Jusqu’en 1993, le biathlon partage sa fédération avec le pentathlon moderne et n’est pas forcément un sport d’hiver majeur. Les seules épreuves au programme sont le Sprint et l’Individuel. La création de l’IBU va changer les choses, puisque la fédération met en place deux nouveaux formats : la Poursuite et la Mass-Start. L’objectif annoncé est clair : proposer des confrontations directes au tir entre les biathlètes et créer de la dramaturgie autour des courses.

Le succès est immédiat, et aujourd’hui, les épreuves préférées des supporters sont bien la Poursuite et la Mass-Start. L’introduction du relais puis des relais mixtes et mixtes simples confirment la tendance. C’est assez logique : au lieu d’être en contre-la-montre, les biathlètes s’affrontent directement sur les skis et surtout sur le pas de tir. Tout fan de biathlon a en tête des courses qui se jouent au dernier tir ou au sprint. Les Jeux Olympiques de Pékin ont d’ailleurs confirmé la tendance avec des scénarios improbables sur la plupart des courses à confrontations directes.

Difficile de faire plus télégénique que le final de la Poursuite des mondiaux d’Antholz en 2020 (Crédit : Youtube)

Les conclusions sont à tempérer sur les relais. En effet, si la Mass-Start et la Poursuite sont si populaires c’est également par leur durée, entre 30 et 35 minutes. Un format relativement court et intense, alors que les relais et relais mixtes dépassent très souvent l’heure de course. Le relais mixte simple est d’ailleurs une innovation faite pour redonner de l’intérêt aux relais : les boucles sont plus courtes et les coureurs n’en font pas de troisième après le tir debout. Les courses sont ainsi relativement rapides et les scénarios attractifs.

L’individuel : le doyen en voie de disparition

Le succès des épreuves à confrontations directes a en revanche un effet négatif : la disparition progressive d’une épreuve historique du biathlon : l’Individuel. Les saisons de biathlon sont déjà bien chargées : 10 week-ends à 3 courses en coupe du monde et des mondiaux ou olympiades à 6 courses, soit jusqu’à 36 courses par an pour certains biathlètes. De fait, l’ajout de nouvelles épreuves est forcément liée à la réduction d’autres courses.

Pour l’instant, c’est l’Individuel qui trinque. En 1990-1991, on comptait 8 Individuels dans une saison qui comprenait 16 courses. En 2010-2011, on comptait 4 Individuels répartis en 26 courses individuelles. Cette saison, on compte toujours 26 courses individuelles et seulement trois Individuels étaient programmés. Epreuve présente sur 50% des courses il y a 30 ans, l’Individuel représente aujourd’hui moins de 10% des épreuves solitaires au programme.

La raison est assez logique : c’est l’épreuve la moins télégénique aujourd’hui. Les biathlètes partent un par un pour 5 boucles entrecoupées de 4 tirs. L’erreur coûte une minute de pénalité. La course est longue et difficile à suivre, aussi bien pour les spectateurs que les coureurs, qui peuvent voir leurs espoirs de résultats réduits à néant dès le premier tir, vu l’importance de la pénalité. Les émotions peuvent être rares dans un format qui dure plus d’une heure. Le petit globe de la spécialité est d’ailleurs dévalorisé aujourd’hui.

Marketa Davidova et Tarjei Boe ont remporté le petit globe de l’Individuel après 2 courses puis les JO ne sont pas pris en compte

Pourtant, l’Individuel, c’est le format historique du biathlon. C’est également le plus grand effort possible pour un biathlète : 15 km chez les femmes, 20 km chez les hommes, sans effet de peloton, seul face à soi-même. C’est aussi le dernier format qui semble encore à l’avantage des meilleurs tireurs. Les études s’accordent sur le fait que le ski devient prépondérant dans la performance, notamment sur le Sprint. Au contraire, l’Individuel récompense les meilleurs tireurs, même s’ils sont un peu à la peine sur les skis.

Le Sprint est de son côté épargné par l’évolution du biathlon. Le petit frère de l’Individuel reste le format le plus représenté sur les épreuves individuelles. En 1990-1991, 50% des épreuves étaient des Sprints. Cette saison, on compte 10 Sprints sur 26 courses individuelles, soit 38% des courses. Contrairement à l’Individuel, le Sprint dure moins longtemps, il y a moins de tirs et les boucles sont plus courtes. Surtout, les résultats servent de base pour les Poursuites. Ainsi, la survie du Sprint dépend à minima de celle de la Poursuite, qui est un des formats préférés des fans de biathlon.

La Poursuite doit-elle être repensée ?

Justement, la survie de la Poursuite, ou au moins de son format actuel, pourrait être remise en cause. En effet, les critiques montent envers une course parfois jugée injuste. Après le Sprint, les 60 premiers sont qualifiés pour la Poursuite et partent en conservant les écarts réalisés sur la première épreuve. La conséquence est que le classement de la Poursuite reflète assez souvent, dans les grandes lignes, le classement du Sprint, surtout lorsque les écarts initiaux sont importants.

Si les remontées sont possibles, Fabien Claude en est d’ailleurs l’un des spécialistes, une étude de 148 poursuites entre 2001 et 2020 a montré que les résultats en Poursuite dépendent souvent des résultats du Sprint, notamment pour le podium. Par exemple, on ne compte qu’un vainqueur de Poursuite parti 20ème et seulement deux top 10 de coureurs partis 40ème.

Le Sprint a-t-il un impact trop important sur les résultats en Poursuite ? (Crédit : An alternative ranking system for biathlon pursuit races)

Les poursuites des JO de Pékin, notamment chez les femmes, ont bien montrés qu’en cas de gros écarts sur le Sprint, l’intérêt de la Poursuite est facilement réduit, puisque le podium voire la victoire ne se jouent qu’entre quelques concurrents. Certains proposent d’appliquer des formules plus complexes pour déterminer l’ordre de départ de la poursuite, quitte à ne plus la lier à l’épreuve du Sprint.

A Pékin, Marte Olsbu Roiseland et Elvira Oeberg ont terminé aux deux premières places du Sprint et de la Poursuite (Crédit : Xinhua / Ding Ting)

Sans changer la formule, il pourrait être intéressant de limiter les écarts conservés par rapport au Sprint, en ne comptant que la moitié des secondes d’écart par exemple. Enfin, pour laisser plus de chances aux mal classés du Sprint, un seuil d’écart maximum (1 minute 30 par exemple ?) pourrait être mis en place. Passé ce seuil, les biathlètes partiraient ensemble. Cela pourrait en revanche créer une surcharge des tapis lors du premier tir, puisqu’il n’y a que 30 tapis. Il y aurait un risque accru de voir des biathlètes attendre leur tour sur le pas de tir.

Les améliorations possibles sont nombreuses, il n’est pas impossible de voir le format de la Poursuite évoluer à l’avenir.

Le Supersprint, course morte dans l’œuf ?

C’est le nouveau format promu par l’IBU pour rajouter de la confrontation directe entre biathlètes, une épreuve à mi-chemin entre Sprint et Mass-Start. Le principe est le suivant : une première manche de qualification a lieu au format Sprint avec 3 petites boucles entrecoupées d’un tir couché puis d’un tir debout. Les 30 mieux classés sont qualifiés pour la finale, qui se déroule en format Mass-Start : 5 courtes boucles sont entrecoupées de deux tirs couché et deux tirs debout. Initialement, les biathlètes ont le droit à une pioche pour chaque tir. A partir de la deuxième faute, ils doivent réaliser un anneau de pénalité de 75 mètres.

Le Supersprint permet de donner plus d’impact au tir dans son épreuve finale au format Mass-Start (Crédit : AFP)

Pour le moment, le format est testé en IBU Cup depuis plusieurs saisons et était prévu pour la dernière étape de coupe du monde à Oslo début 2021. Les retours sont assez partagés, notamment du côté des biathlètes et entraîneurs expérimentés qui voient l’épreuve comme un concours de tir où le ski n’a que très peu d’impact. Johannes Boe et Sebastian Samuelsson avaient notamment pris position. En effet, le format initial prévoit des boucles de seulement un kilomètre, alors qu’elle sont comprises entre 2 et 5 kilomètres sur les autres formats.

Ça amène un format en plus alors qu’on en a déjà beaucoup. C’est l’erreur qu’a fait le ski de fond qui s’est perdu dans un méli-mélo de formats. C’est une formule qui devrait être réservée à des show comme Schalke [tous les ans entre Noël et le Jour de l’An, un show est organisé dans le stade de football de Gelsenkirchen, ndlr.].

Siegfried Mazet pour Nordic Magazine

Finalement, le test n’a pas eu lieu à Oslo et le format a été revu pour la saison 2021-2022 avec quelques modifications. Les boucles sont rallongées, passant de 1 à 1,5 kilomètres. Ainsi, la phase qualificative a une distance de 4,5 kilomètres, puis la phase finale fait 7,5 kilomètres, pour un total de 12 kilomètres sur la journée, entrecoupés de 6 tirs. La balle de pioche est supprimée, chaque erreur coûte donc un anneau de pénalité de 75 mètres.

Suffisant pour valider le format en coupe du monde ? Rien n’est moins sûr, les protagonistes du circuit ne sont toujours pas convaincus, alors qu’il existe déjà 8 formats différents en coupe du monde (4 individuels et 4 en relais). Néanmoins, on peut penser que sur les étapes de coupe du monde avec Sprint mais sans Poursuite (comme à Östersund cette année), l’idée de remplacer le Sprint par un Supersprint n’est pas saugrenue.

Les relais également concernés

Si la Mass-Start ne fait pas débat, les relais peuvent être remis en question, notamment depuis l’arrivée des relais mixtes. Les relais sont un très bon vecteur de mixité dans le biathlon (voire le sport en général), car ils permettent notamment aux nations moins fournies en athlètes de très haut niveau de performer. C’est particulièrement vrai en relais mixte simple, où des nations comme la Biélorussie ou la République Tchèque peuvent viser le podium via leur duo d’athlètes.

Non favoris, Julia Simon et Antonin Guigonnat ont été sacrés champions du monde du relais mixte simple en 2021 (Crédit :  JOE KLAMAR / AFP)

Les relais féminins, masculins et mixtes sont les disciplines en confrontations les moins télégéniques, notamment par leur longueur qui peut rebuter certains. On parle de 12 boucles entrecoupées de 8 tirs, où les surprises sont assez rares tant il est difficile d’aligner 4 courses parfaites pour les nations non dominantes. Une partie de la solution pourrait venir d’un autre relais… le mixte simple.

En effet, les boucles et les anneaux de pénalités y sont plus courts. Surtout, le passage de relais se fait directement après le tir debout, sans boucle supplémentaire. Seule exception : le tout dernier relayeur fait une dernière boucle après le tir debout. Cela permettrait d’éviter d’avoir deux tours de pistes sans passage sur le pas de tir. Encore une fois, nous ne sommes pas à l’abri de voir les relais évoluer.

Le biathlon est un sport en constante évolution, qui a pour le moment fait les bons choix. Moteur sur l’égalité et la mixité, le biathlon a également su se renouveler sous l’impulsion de sa fédération créée en 1993. L’arrivée de la Poursuite, de la Mass-Start et des relais ont rendu ce sport très populaire. Néanmoins, les succès d’hier ne font pas ceux de demain, et l’IBU a du pain sur la planche. Entre modifications de formats, suppression de certains et ajout d’autres, les chantiers sont nombreux. Sans compter l’impact du dérèglement climatique sur l’organisation de la coupe du monde à termes. Les instances pourront et devront compter sur la voix de personnes qui peuvent être favorables ou opposées à leur réforme : celle des athlètes.

Crédit de l’image de couverture :  Joe KLAMAR/AFP

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