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Hockey féminin | Ève Gascon, dans le pas des légendes

Les lumières s’éteignent dans le Centre Slush Puppie de Gatineau. La foule de 4700 partisans des Olympiques de Gatineau se lèvent de leurs sièges pour accueillir leurs protégés. Ce match de saison régulière, n’est pas comme les autres. Ce soir, un grand moment d’histoire va avoir lieu. Mais laissons l’annonceur Serge Côté faire les présentations. «Et dans le but, in the goal, le numéro 37, number 37, Ève Gascon !».

Du haut de ses 18 ans, à quoi pense la native de Terrebonne, tandis qu’elle entre sur la glace ? Est-ce qu’elle est simplement concentrée sur son match ? Ou à t’elle une pensée pour Manon Rhéaume et Charline Labonté, les pionnières dans la ligue junior majeure du Québec ? Nul ne le sait. Une chose qui est sûr c’est que ce soir, Ève Gascon entre dans l’histoire.

L’ascension d’un phénomène

Avant d’entrer dans l’histoire, faisons un retour sur la courte carrière d’Ève Gascon. Arrivée au hockey grâce à ses frères, Ève débute dans les équipes de garçons. D’abord attaquante, elle est replacée dans le filet par son coach qui décèle en elle un plus grand potentiel pour le poste de gardien. De 2016 à 2018, Ève joue dans la ligue Bantam AAA du Québec, avec les Conquérants de Basse-Laurentides. Ses performances lui donne une invitation au camp d’entrainement du Collège Esther-Blondin qui joue en Midget AAA. Au camp, elle est la meilleure de tous les gardiens présents, si bien qu’elle est sélectionnée pour faire partie de l’équipe. Elle devient également la première gardienne à jouer dans la ligue Midget AAA.
En 2019, lors du repêchage de la Ligue de hockey junior du Québec (LHJQ), Eve Gascon est sélectionnée au 13ème rang par le Collège Français de Longueuil. Devenant la deuxième femme repéchée depuis une certaine Ann-Renée Desbiens, qui avait été draftée par les Loups de La Tuque en 2012. Sa première apparition sur le banc du Collège Français a lieu en Février 2020, contre les Rangers de Montréal-Est. Avec cette rencontre, elle devient la troisième gardienne à apparaitre dans un match de la LHJQ après Manon Rhéaume et Charline Labonté.
En Aout 2020, Gascon reçoit le prix Isobel Gathorne-Hardy, qui récompense les valeurs, le leadership et la personalité qui est représentatif de toutes les joueuses de hockey. En fin d’année, elle s’engage avec l’équipe féminine des Bulldogs de l’Université de Minnesota-Duluth. Elle ira rejoindre la NCAA dès qu’elle a fini ses études au sein du CEGEP de Saint-Laurent.

Source photo : Twitter @gascon_eve

Ignorée à deux reprises au Repêchage de la LHJMQ, ce sont les habiletés de Gascon qui ont attiré l’attention de l’entraîneur-chef des Olympiques Louis Robitaille et de son personnel, qui lui ont envoyé une invitation au camp d’entraînement. Malgré le fait d’être dans les trois finalistes pour le poste de gardien, Gascon n’a finalement pas été en mesure de percer la formation des Olympiques de Gatineau. Toutefois, Robitaille la rappelle pour pallier la blessure de Rémi Poirier. Mais le 19 mars 2022, Ève fait enfin ses débuts sur la glace de Gatineau.

Une première rencontre réussie

Source photo : Dominic Charette – Eve Gascon lors de ses débuts

Ève fait enfin ses premiers pas dans la LHJMQ. Si les statistiques retiennent que cette première se solde malheureusement par une défaite en prolongation. L’essentiel est ailleurs, elle a montré qu’elle a clairement le niveau pour jouer dans le « circuit Courteau« .
Nerveuse en début de la rencontre, Ève encaisse un premier but. Le tir à bout portant, de Julien Béland, passe au dessus de son épaule et sous la barre transversale. Ses deuxième et troisième buts encaissés sont marqués en infériorité numérique. Malgré les buts encaissés, la jeune femme semble se calmer et montre tout l’étalage de son immense talent. Malgré tous ses efforts, Rimouski compte un quatrième but sur une déviation devant le filet. et le cinquième est un tir en hauteur.

«Je suis quand même contente de comment j’ai joué. Je suis fière. C’est quelque chose dont je vais me rappeler pendant toute ma vie. »

Ève Gascon à nos confrères du journal « Le Devoir » – 19 mars 2022

Malgré la défaite en prolongation, Ève Gascon a montré de très belles choses. 18 arrêts sur 23 tirs pour 78,3% d’arrêts et 4.90 GAA. Le public de Gatineau ne s’est pas trompé, se dressant à chaque parade. On entend « Gascon ! Gascon ! Gascon » descendre des tribunes. D’ailleurs, en conférence de presse, son entraineur Louis Robitaille était admiratif de sa gardienne, et pense lui redonner sa chance d’ici la fin de la saison.

« Je lui ai dit de se rappeler de s’amuser, c’était vraiment ça mon message. Je suis extrêmement fière d’elle. »

Louis Robitaille (entraineur-chef des Olympiques) à nos confrères du journal « Le Devoir » – 19 mars 2022

Une performance qui rappelle celle qu’avait fait une certaine Manon Rhéaume, il y a 31 ans.

Manon Rhéaume : La première de cordée

Source image : RDS – Manon Rhéaume avant ses débuts avec les Draveurs

Le 26 Novembre 1991 est une date historique dans l’histoire de la ligue junior majeure du Québec, mais également dans l’histoire du hockey féminin. En effet ce jour-là, le « plafond de verre » se brise enfin. Pour la première fois, une femme va jouer dans la LHJMQ ! Assise sur le banc des Draveurs de Trois-Rivières, la gardienne suppléante, Manon Rhéaume regarde avec envie la partie qui se joue. Face aux Bisons de Granby, ses coéquipiers prennent rapidement une avance de 4-1. Rhéaume se dit qu’il est impossible qu’elle joue aujourd’hui. Mais à la moitié de la seconde période, tout bascule. Granby porte la marque à 5-5. L’entraineur-chef des Draveurs : Gaston Drapeau décide de l’envoyer dans la mêlée. Pétrie de trac, Manon est à deux doigts d’encaisser un but sur le premier tir qu’elle affronte. Toutefois petit-à-petit elle entre dans sa partie.
En troisième période, un tir frappe et brise la grille de son masque, l’ouvrant à l’œil. Sur le coup, Rhéaume ne s’en rend même pas compte, essayant de continuer à suivre le palet. Mais quand sa vision commence à se troubler, croyant que c’est de la sueur, elle se rend compte que son visage est couvert de sang. De retour sur le banc, on lui dit qu’elle doit se rendre aux vestiaires pour faire contrôler son œil. Tandis que le match se termine sur une victoire des siens, Rhéaume est en route pour l’hôpital pour recevoir sept points de suture. Avec ses 17 minutes de jeu, Manon Rhéaume devient la première femme à jouer un match dans la CHL (Ligue canadienne de hockey).
Le lendemain, avec son œil enflé. elle prend un commentaire sarcastique de la part d’un des reporters venus l’interroger sur la partie de la veille. « Voilà pourquoi les femmes ne doivent pas jouer au hockey ».
Sans le savoir ce ne sera, malheuresement, pas la dernière fois qu’elle va entendre un tel commentaire. Mais plus important, elle ne sait pas encore l’impact qu’elle va avoir dans l’histoire de son sport.
Cependant, il faut attendre 8 ans, avant qu’une autre jeune femme puisse fouler les glaces de la LHJMQ : Charline Labonté

Charline Labonté : Première titulaire de l’histoire

Source photo : acadienouvelle.com – Charline Labonté lors de ses débuts avec Acadie-Bathurst

L’action se passe au Centre Marcel-Dionne de Drummondville. L’équipe du Titan d’Acadie-Bathurst affronte les Voltigeurs. Dans le filet du Titan, se dresse une jeune femme de 16 ans : Charline Labonté. D’un naturel introvertie, Labonté à des papillons dans le ventre dans les quelques secondes qui la sépare de la mise au jeu. Dès le début de la rencontre, ses coéquipiers se jettent à l’attaque et marquent deux buts dans les 77 première secondes de la rencontre (double de Ramzi Abid). Charline affronte son premier tir à la 5ème minute. Toutefois malgré deux autres arrêts, elle semble nerveuse. Labonté cède sur le quatrième tir adressé contre elle (But de David-Jacob Tancrède). Profitant de l’énervement de la jeune gardienne (deuxième plus jeune joueur de l’effectif), les Voltigeurs vont compter 4 autres buts.
Ramzi Abid remet son équipe sur les rails avec la réduction du score, avant que Jules-Edy Laraque crée l’égalité. De son côté, Labonté semble enfin se détendre, et semble de plus en plus à l’aise. Elle repousse toutes les tentatives dirigés contre elle. Elle fera un magnifique arrêt-clef face à Julien Desrosiers (Oui, oui l’ancienne vedette de la Ligue Magnus et joueur de l’équipe de France). En troisième période, le Titan ajoute deux nouveaux buts et l’emporte. Charline Labonté termine la partie avec 28 arrêts et la troisième étoile du match.

«Elle est la première fille à jouer tout un match avec des garçons du hockey junior canadien. C’est un exploit, je le reconnais. Mais, ceci dit, je ne change pas mon idée. Pour moi, les gars doivent jouer avec les gars et les filles avec les filles.»

Maurice « The Rocket » Richard à propos de Charline Labonté dans le journal « La Presse » – 25 septembre 1999

Cependant, Il faut attendre encore 22 ans pour voir une jeune femme succéder à Charline Labonté, et quel symbole que ce soit Ève Gascon. En effet, Labonté connait Gascon depuis 10 ans et est devenue une sorte de mentor pour la jeune gardienne. D’ailleurs Labonté ne tarit pas d’éloges sur sa jeune protégée.

«Elle a l’air pas mal moins nerveuse que je l’étais, et elle est 100 fois meilleure que je l’étais à cet âge-là»

Charline Labonté, au sujet d’Ève Gascon dans le journal « Le Nouvelliste – Trois-Rivières » – 18 mars 2022

Pour être complet, n’oublions pas Shannon Szabados qui a été la première, et seule, femme à avoir joué dans la WHL (Western Hockey League) avec les Americans de Tri-City. C’était en 2002-2003.

Source photo : Twitter @NHLhistorygirl – Shannon Szabados avec les Americans de Tri-City

Ève Gascon aura sans aucun doute de nouveau sa chance devant le filet des Olympiques de Gatineau. Il faut voir ça comme une étape, elle qui peut désormais viser plus haut et espérons un jour émuler ses illustres prédécesseures : Remporter une médaille d’or olympique. Une chose est sûre, elle est sur la trace des légendes. Toutefois espérons qu’il ne faudra pas attendre 20 ans avant qu’une autre jeune femme puisse également prouver sa valeur.

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