Depuis un mois, le football féminin est sur le devant de la scène. Les taux de remplissage records lors des matchs de Ligue des Champions laissent à penser à une grande révolution. Le football féminin serait-il enfin devenu populaire et aurait fait sa révolution ? Ou bien tout ceci n’est-il encore qu’un mirage ?
UEFA Women’s Champions League, des records marqueurs de transformation
Cette saison de l’UEFA Women’s Champions League devient record. Un total de 180 648 fans ont assisté aux huit matches de quarts de finale, un chiffre historique non seulement pour cette compétition mais aussi pour le football féminin en général. En tête d’affiche, la victoire 5-2 de Barcelone contre le Real Madrid a fait les gros titres des journaux grâce au record d’affluence de 91 553 spectateurs au Camp Nou, battant de plus de 40 000 le précédent record pour un match de football féminin en compétition UEFA. Ils étaient même 95 de plus pour la demi-finale entre le Barça et Wolfsburg au Camp Nou, portant ainsi la marque à 91 648 fans.
Jusqu’à il y a un mois, le record d’affluence dans l’histoire du football féminin était de 90 185 personnes pour le match USA-Chine lors de la Coupe du monde féminine 1999 au Rose Bowl en Californie, si l’on exclue le record non officiel de la finale du mondial tout aussi non officiel de 1971 au Mexique : 112 500 spectateurs pour Mexique-Danemark.

Un événement non isolé. En effet, le nul 2-2 entre le PSG et le Bayern s’est déroulé devant 27 262 spectateurs, soit la cinquième plus grande affluence de l’histoire de la Ligue des champions féminine. Le Bayern a également établi un nouveau record d’affluence pour le club. Au total, les quarts de finale viennent confirmer la tendance de la phase de groupes, qui a attiré 158 939 fans sur 48 matches.

De plus, chaque match de la nouvelle UEFA Women’s Champions League de cette saison est diffusé en direct sur la plateforme de streaming DAZN, en collaboration avec YouTube, dans le cadre d’un accord novateur de quatre ans. Plus de 14 millions de vues ont été enregistrées sur les flux en direct de la phase de groupes, et les huit matches des quarts de finale ont attiré près de 11,7 millions de vues de plus de 210 pays et territoires. Cela porte le total de la saison bien au-delà des 25 millions de vues. Sur les réseaux sociaux, l’UEFA annonce que le nombre de followers sur toutes les plateformes officielles a augmenté de 261 % par rapport au même stade de la compétition la saison dernière.
Confirmation de la tendance, à moins de trois mois du début de l’Euro féminin en Angleterre (6-31 juillet), les billets mis en vente pour les matches de poule des Three Lionesses ont tous trouvé preneur à Old Trafford (73 200 places), à l’Amex Stadium de Brigthon (30 750 places) et au St Mary’s de Southampton (32 689 places). La finale, programmée à Wembley le 31 juillet, se jouera elle aussi à guichets fermés. Le record d’affluence pour un match de football féminin en Angleterre – qui date de la finale des JO 2012 entre les États-Unis et le Japon (80 203 spectateurs) y sera battu, les 87 200 billets disponibles ayant tous été vendus.
Mais loin de représenter la réalité des championnats
Néanmoins, malgré les nettes augmentations d’affluences lors des matchs de League des Champions et des équipes nationales, les effets ne sont pas équivalents pour l’instant dans les différents championnats. Ceux-ci reprennent devant du public après de longs mois de huit-clos. Cela ne permet donc pas d’analyser pleinement le phénomène d’évolution, ou non, de la discipline ces deux dernières années.
Cet écart entre les annonces sur les chiffres toujours plus élevés du public assistant à certains matchs et la réalité du foot féminin est important. Il faut donc se méfier des grands effets d’annonce. En effet, en 2019 déjà, après la coupe du monde, la face du football féminin était censée changer. A l’époque, tous les records avaient également été battus. Le taux de remplissage des stades était de 74 %, notamment à cause des petites affiches. Les 3 matchs des Bleues avaient fait le plein, comme les demi-finales et la finale dans un Groupama Stadium rempli.

Les chiffres d’audimat avaient également explosé dans tous les pays, avec plus d’un milliard de téléspectateurs cumulés. En France, il y avait 12 millions de personnes devant le 8ème de finale et un pic à 12,2 millions en 1/4 de finale. C’était la meilleure audience de l’année pour TF1 qui diffusait le match. Ces chiffres étaient quasi-équivalents à ceux des Bleus en 2018 au même stade de la compétition (12,5 et 12,6 millions). Et il ne s’agissait pas d’un effet “France qui gagne“, le premier match de poule était regardé par 11 millions de personnes. En Angleterre aussi, Etats-Unis – Angleterre et ses 11,7 millions de téléspectateurs est la plus forte audience de l’année de la BBC .
Mais avec le recul, la coupe du monde pourtant à domicile n’a pas eu l’impact prédit sur la première division. Passée la vague d’engouement, les audiences comme les affluences aux différents matchs de la catégorie reine en France n’ont pas décollé. Si des records d’affluences ont lieu pour le choc PSG-OL la saison suivante avec plus de 30 000 spectateurs, ils ne sont pas le reflet du reste du championnat.
En France, les chiffres d’affluences de la D1 suivent l’évolution de ceux de l’Equipe de France. Néanmoins, la moyenne reste très faible lorsqu’on supprime le choc PSG-OL qui draine la plus grosse partie des foules. Possédant pendant longtemps les deux meilleures équipes européennes (Olympique Lyonnais et VFL Wolfsburg), la France et l’Allemagne se retrouvent à la traîne sur le développement dans les stades avec 911 et 833 supporters en moyenne en 2019. En Angleterre, les chiffres sont plus élevés, avec plus d’équipes dont les affluences records dépassent les 20 000 spectateurs (Tottenham, City, West Ham, Chelsea et Liverpool) grâce à des gros chocs entre clubs historiques et au choix de calendrier.

Il serait néanmoins faux de dire que la coupe du monde n’a eu aucun effet sur le football féminin en France. Avec sa mise en lumière, c’est en bas de la chaîne que l’impact a été le plus important. Le nombre joueuses a nettement augmenté, passant de 140 000 sur la saison 2018-2019 à 160 000 sur la saison 2019-2020. Cela allait dans le sens de l’évolution récente du sport dont les licenciées augmente chaque année.
Et malgré un recul pendant le Covid, les chiffres semblent repartis pour la saison 2021-2022 avec un nombre de joueuses équivalent à deux ans plus tôt. Avec 160 000 joueuses en France (pour 200 000 licenciées), les filles restent minoritaires au niveau de la fédération mais les chiffres ont quasiment triplé en 10 ans (60 000 en 2011-2012).
Et pour que les choses changent et que le niveau ainsi que la visibilité déjà croissants depuis plusieurs années continuent d’augmenter, le football féminin fait face à trois freins majeurs : la professionnalisation des équipes, la formation et les horaires des matchs.
La question de la professionnalisation
Bien qu’il se développe fortement ces dernières années, le football féminin a des dizaines d’années de retard sur son homologue masculin, et cela sur tous les domaines. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons des différences de niveau entre celui pratiqué aux Etats-Unis et celui en Europe. Là-bas, le soccer est considéré comme un sport féminin et de l’argent a été investi massivement dans celui-ci parfois au détriment de leur championnat masculin qui est en train de prendre son essor. Cela permet d’avoir une ligue compétitive avec l’ensemble des équipes professionnelles depuis plus de 20 ans. Et les résultats en découlent : les américaines sont doubles championnes du monde.
Depuis une dizaine d’années, il prend une autre tournure en Europe également. Les clubs investissent dans celui-ci, que ce soit par obligation, intérêt ou par véritable envie. Ainsi, l’Olympique Lyonnais ainsi que Montpellier HSV sont des pionniers en France parmi les clubs. Ils ont dernièrement été suivi par quasiment tous les clubs, changeant radicalement l’image du football féminin. Ainsi, en 2002 la D1 était composée uniquement de 3 équipes rattachées à un club professionnel masculin (Montpellier HSC, Paris SG et Toulouse FC). Cette année, ce sont les clubs amateurs qu’il faut chercher. Il n’y en a plus que 3 : FC Fleury, GPSO 92 Issy et ASJ Soyaux.

Cette situation a deux effets contradictoires. D’un côté, cela permet à l’équipe féminine de bénéficier d’infrastructures adaptées pour se développer au maximum. Ainsi, en comparaison à d’autres clubs, et à salaire à peu près égal, les joueuses disposent de ce qui est présent pour la section masculine. Cela peut se matérialiser par de meilleurs terrains mais également d’un meilleur suivi médical, nutritionnel…
D’un autre côté, on peut faire face à des projets menés uniquement pour l’image ou parce que cela a été imposé. Ce n’est pas parce que les clubs possèdent cette équipe qu’ils investissent comme il le faudrait pour la voir performer. Et cela est souvent au détriment de clubs qui avaient une réelle volonté de développer le football féminin, en possédant parfois beaucoup moins de moyens et d’infrastructures, voir juste une équipe féminine. Cela a pour second effet de concentrer les équipes souvent sur des grandes villes où le football masculin a déjà une grande activité parfois au détriment d’équipes que l’on pouvait trouver dans des secteurs où aucune équipe masculine ne ressortait et qui étaient des avant-gardistes de la discipline.
« Certains clubs professionnels masculins disposent d’une section féminine mais mettent très peu de choses en œuvre pour celle-ci. »
Fanny Pereira, joueuse du Stade Brestois, pour Caviar Magazine
Malgré la mise en avant des équipes, des écarts se creusent à grande vitesse entre les championnats et au sein même des championnats. En France et en Allemagne par exemple, les championnats ne sont pas professionnels. Certaines joueuses sont sous contrat fédéral et permet une rémunération minimale, d’autres sont semi-professionnelles ou professionnelles, et d’autres sont encore amatrices. Quand certaines peuvent avoir plusieurs entraînements par jour et n’avoir qu’à se soucier du football, d’autres s’entraînent le soir après des journées d’études ou de travail. C’est le cas par exemple d’Issy où les joueuses sont réparties entre contrats fédéraux et amatrices tentant de vivre de leurs primes de matchs et d’aide de la collectivité.
« Le fait de n’avoir que des joueuses professionnelles, ça permettrait forcément d’augmenter le niveau de la D1 aussi. Ici, vu que certaines travaillent, on ne peut pas faire deux entraînements par jour, alors que certaines équipes s’entraînent matin et soir. Plus on ira dans cette direction-là, plus les filles seront performantes sur le terrain. »
Morgane Martins, joueuse d’Issy pour SoFoot
Et malgré un salaire, ce n’est pas pour autant qu’elles ne doivent pas avoir une seconde activité. Parce qu’avec des salaires moyens entre 1500 et 3000 € par mois et une carrière souvent brève, il est important de préparer le futur. Il est donc quasiment indispensable pour une grande partie d’entre elles de faire des études en parallèle pour pouvoir se projeter sur leur après-carrière.
Un équilibre financier précaire
Mais il est encore difficile d’avoir un équilibre financier. Les droits tv constituent une énorme part du budget club, mais ceux-ci, bien qu’en nette augmentation, restent faible et leur répartition très inégale : beaucoup pour les clubs accolés à des clubs masculins (qui sont décideurs), peu pour les clubs amateurs souvent avec uniquement une équipe féminine. Du côté des affluences, celles-ci sont faibles et ne permettent pas de renflouer les caisses des équipes. En effet, mis à part les gros chocs et les grosses équipes, les spectateurs ne dépassent que rarement les 1000 personnes en France. C’est d’ailleurs souvent pour ces raisons que les équipes qui arrivent désormais à se maintenir en D1 et D2 sont liées à des clubs professionnels hommes. Une partie du budget pouvant passer dans la partie féminine.
Néanmoins, de plus en plus de clubs ont des sponsors dirigés sur leur équipe féminine. C’est par exemple le cas de l’Olympique Lyonnais avec Sword ou du FC Barcelone avec Stanley. Le club catalan est d’ailleurs l’un des uniques clubs à avoir été dans le positif. C’est à noter car ce qui peut certainement être considéré comme la meilleure équipe actuelle a pourtant fortement investi sur la dernière décennie. Ils ont été les premiers à faire des transferts payants et certaines de leurs joueuses touchent des salaires bien supérieurs à la moyenne.

En France particulièrement, l’équilibre financier reste précaire, encore plus suite aux années covid et à l’échec de Médiapro. Cela a notamment eu un impact sur les équipes amateures qui n’ont pas été autant dédommagées par la Fédération que les équipes ayant des statuts professionnels ou étant liées à des clubs de Ligue 1 et Ligue 2.
Mais il convient de se poser la question s’il ne s’agit pas d’un problème plus général du football, quelque soit le sexe des équipes présentes sur le terrain, lorsqu’on voit l’état d’endettement d’un certain nombre de clubs, petits ou grands.
Du retard dès la formation
Avec l’essor du football et sa visibilité grandissante, de plus en plus d’équipes se montent et il y a de plus en plus de pratiquantes de tous les âges. Avec beaucoup plus de filles commençant tôt la discipline, le niveau devrait augmenter au fur et à mesure des années à venir car le vivier sera plus important.
Mais les résultats devraient mettre quelques années à se voir. En effet, au moins en France, quand la préformation débutait dans les pôles à 12 ans en 2015 pour les garçons, les filles ne pouvaient commencer qu’à 15. Trois années de moins qui ont leur importance sur le développement des futures joueuses même si elles sont alors suivies dans leur club respectif. Avec l’augmentation du nombre de licenciés, il devrait être plus facile de baisser l’âge. En effet, l’un des soucis était le nombre trop faible pour avoir un système intéressant.
En revanche, les sports études étaient souvent plus mixtes, accueillant filles comme garçons au même âge. Et les plus grands clubs ouvrent également leur section pour former directement leurs futures joueuses comme ils pouvaient le faire depuis longtemps pour leur section masculine et s’ouvrent de plus en plus.
Par exemple, la Masia, centre de formation du FC Barcelone accueille sa première génération de joueuses sur site depuis le début de la saison 2021-2022. Si les joueuses actuellement dans l’équipe n’ont pas pu passer par celle-ci, cela ne voulait pas pour autant dire qu’elles n’ont pas été formée au sein du club. Et le fait qu’une grande partie d’entre elles soient formées avec l’identité du club s’en ressent. En demi-finales aller de Ligue des Champions, le FC Barcelone s’est amusé avec les Allemandes de Wolfsburg. Au cours de cette démonstration gagnée 5 à 1, l’adversaire n’a jamais paru pouvoir rivaliser. Plus rapides, plus physiques, les Espagnoles ont dominé l’une des plus grandes équipes féminines d’Europe.
Les horaires, dernier frein à la visibilité ?
Un dernier frein reste présent et il a un impact direct sur la visibilité du sport. En effet, les horaires et jours de matchs restent très peu adaptés à son public. Souhaitant ne pas mettre en concurrence le football féminin et masculin, le premier se retrouve relégué à des horaires peu adaptés au public. On peut par exemple penser à certains matchs placés à midi ou aux matchs internationaux à 16h en semaine.
« Ce sur quoi nous sommes toujours d’accord est qu’il n’est pas possible que nous jouions le mardi à 12h avec l’équipe nationale. Qui peut venir au stade ? Mon frère m’a dit : Je suis bien quelqu’un de votre groupe cible, qui le regarderait, mais vous rendez cela impossible pour moi de regarder. »
Lena Oberdorf, joueuse du VFL Wolfsburg et internationale allemande
Un élément reste pourtant à prendre en compte : est-ce vraiment la même cible visée ? Lorsqu’on regarde le public présent lors des matchs féminins, celui-ci est beaucoup plus féminin. S’il y a des femmes en tribunes d’ordinaire, elles n’y sont pourtant pas majoritaires. Ainsi, peut-être que les deux pourraient avoir lieu côte à côte, à des horaires adaptés, sans réellement entrer en concurrence parce que si une part du public est commune, certains fans n’iront jamais voir un match de foot féminin. Inversement un public pourrait être attiré par l’ambiance plus familiale qu’on retrouve dans les matchs des équipes féminines.
Malgré ses records d’affluence et de visibilité sur les dernières rencontres de Ligue des Champions, la marche reste encore haute pour le football féminin. Il fait encore face à de trop nombreux freins pour qu’il soit en train de subir sa grande révolution. Néanmoins, les chiffres toujours plus positifs vont dans le bon sens. Mais avec eux se cachent les immenses écarts de visibilité, moyens et niveau entre et intra-championnats. Malgré tout la mise en avant ne pourra qu’être bénéfique à la discipline qui ne cesse de croître depuis dix ans.