Rugby

Œil de coach : de l’art du box kick

« Ennuyeux », « Stérile », « Inutile », « Contre le jeu »… la liste des adjectifs qualificatifs du Box Kick est longue, très longue. Amateurs comme initiés se plaignent de ce coup de pied devenu star des terrains qui est, il faut le reconnaître, plutôt engagé dans un jeu lent, et surtout peu visuel. Mais si cette arme moderne du rugby a pris une telle envergure c’est aussi pour une raison que beaucoup de raisons ignorent. En plus d’être d’une efficacité sans faille bien exécutée, cette phase de jeu propose bien plus qu’une occupation territoriale. Prise de hauteur donc sur ce coup de pied conspué mais inévitable et terriblement offensif.

Qu’est-ce que le Box Kick

Sous cette anglo-saxonisme se cache une définition sommaire d’une phase de jeu classique du rugby. Traduit littéralement un Box Kick devient « Un coup de pied dans la boite ». La partie coup de pied, tout le monde arrivera à traduire cela sur un terrain, la boite néanmoins, c’est une autre affaire. Cette boite se situe dans une zone bien précise au milieu de la couverture défensive adverse. En longitude, elle s’étend du dos de la première ligne défensive adverse jusqu’à la dernière ligne défensive adverse. En latitude, elle part de la ligne de touche la plus proche pour finir à une distance de 10 à 15m depuis cette touche.

Les points bleus représentent l’équipe défenseure prête à recevoir le coup de pied. Le point rouge le 9 attaquant prêt à botter.

D’un point de vue technique, le coup de pied est effectué la très grande majorité du temps par le demi-de-mêlée, derrière un ruck. Le coup de pied est réalisé par-dessus l’épaule avec un « follow through » (finition du coup de pied) haut.

Vidéo par Out of the Scrum

D’un point de vue tactique maintenant :

  • Le coup de pied peut être effectué derrière des phases de jeu de conquête, directement sur touche ou mêlée. Mais la phase de jeu qui affectionne le plus l’utilisation du box kick reste les rucks. Dans tous les cas, le coup de pied doit être pris du côté court du terrain.
  • Dans la longueur maintenant, chaque équipe définit des zones qui lui sont propres mais qui peuvent se décomposer en 3 grands espaces : la zone de dégagement, la zone de construction et la zone de finition. Le box kick fait partie intégrante du jeu au pied dans la zone de dégagement mais peut aussi être mis en œuvre dans la zone de construction chez certaines équipes. D’après les statistiques, un box kick est le plus efficient quand il est réalisé en dehors de ses propres 22m. Depuis son camp, ce coup de pied sert aussi à trouver des touches.
  • Le ballon doit être propulsé à 20-30m plus loin du lieu de botté, dans la zone de box kick vue précédemment. Et de plus, un bon box kick doit rester dans les airs pendant 3 à 4 secondes, pour permettre de chasser à la réception.

Un outil moderne

Le box kick est avant tout, comme chaque coup de pied, un moyen d’inverser la pression quand l’attaque se trouve dans sa moitié de terrain. Car, depuis cette position, conserver le ballon et construire une offensive présente de nombreux risques (pénalité, en-avant, turnovers).

Ces risques se sont multipliés ces dernières années avec l’émergence de défenses agressives (ex : rush defense) qui demandent beaucoup d’efforts à une attaque pour la contourner. Forcer les passes sur les extérieurs dans ses propres 22m est à double tranchant, un en-avant ou une perte de balle sont si vite arrivés. Le choix du pied est donc aujourd’hui apprécié et judicieux dans ces situations.

Le box kick est devenu préférentiel par rapport à d’autres coup de pied de dégagement grâce à/à cause de multiples facteurs :

  • La mise en place est facile derrière un ruck. Le demi-de-mêlée a tout le loisir de prendre son temps (dans la limite disponible). Le placement en protection de joueurs latéraux au ruck empêche la pression adverse sur le coup de pied. Et le botteur peut bénéficier de cette succession de joueur (la chenille) derrière les rucks pour se libérer de l’angle et de la pression sans pour autant perdre trop de distance au contraire. D’un autre côté, si l’attaque est en place et la défense est déstabilisée, il n’est pas rare de voir des box kick « tempo » et dans l’avancée pour ne pas inverser la pression mais plutôt l’accentuer.
  • Le botteur est relié directement au ruck. Il n’y a pas de transmission entre un relayeur et le joueur qui va frapper le ballon. Un des chaînons est sauté ce qui représente un risque en moins. Une passe et la gabégie est vite arrivée.
  • Les statistiques répondent favorablement. Chez les analystes, tous les voyants sont au vert en ce qui concerne l’efficacité des box kick. Les résultats suivent.
Exemple d’analyse statistique positive du box kick dans un match de coupe d’Europe entre le Munster de Conor Murray et les Harlequins.

Les facteurs de réussite

Le botteur

Évidemment, la précision du coup de pied réalisé par les demis-de-mêlée occupe une part immense dans la réussite ou non du box kick. Certains numéros 9 sont passés maîtres dans cet art. Par chronologie décroissante, on pourrait citer Antoine Dupont qui avant 2021-2022 n’était pas (encore) réputé pour son jeu au pied. Pourtant, cette année, le Stade Toulousain et surtout le XV de France se sont appuyés sur cette nouvelle aptitude du meilleur joueur du monde et l’armoire à trophée s’est subitement remplie. En 2019, Faf De Klerk était le leader territorial de son équipe. Le style de jeu des Springboks matchait parfaitement le sien, pied droit, pied gauche, court, long dans le terrain ou en dehors… rien n’était impossible pour le 9 Champion du monde. Avant cela l’Irlandais Conor Murray était le senseï incontesté du box kick, que ce soit avec le Munster ou la sélection, sa gestion parfaite a été source de bonheur pour beaucoup d’Irlandais. Et il est possible de remonter ainsi jusqu’au premier père du box kick, Gareth Edwards, pour beaucoup l’un des meilleurs joueurs à son poste de tous les temps. Ces 4 noms on en tout cas un point commun, au moment de leurs meilleures prestations dans le domaine du box kick, leur équipe était sur le toit de la scène internationale. Coïncidence ou causalité ?

Le jeu sans ballon

Mais pour réussir un box kick ce n’est pas tout. Si la moitié du travail réside dans le coup de pied en lui-même l’autre moitié est toute aussi importante et provient du déplacement des joueurs sans ballon autour du botteur. Il est nécessaire de retrouver :

  • Un sniper/chasseur qui va monter très fort, très vite au point de chute du ballon pour jouer selon son timing le ballon dans les airs ou le plaquage sur le joueur à la réception. Son rôle est primordial, une pression directe sur le premier porteur de ballon adverse est obligatoire. Il en résulte possiblement une faute de main, une perte importante de terrain mais surtout le replacement de la ligne d’attaque adverse.
  • Un joueur qui va réduire directement les espaces du joueur qui réceptionne le ballon dans la zone de box kick. Le sniper s’il ne touche pas l’adversaire ou le ballon dans les airs, a de grandes chances d’être battu au sol par la suite. Le rôle de ce deuxième joueur est donc de limiter l’avancée du réceptionneur le plus efficacement possible.
  • Une ligne défensive organisée et compacte qui monte ensemble sur les extérieurs. Ainsi, elle couvrira la possible zone de passe du milieu du terrain et sera généralement la première à défendre sur le temps de jeu suivant.
  • Une couverture du fond du terrain à deux ou trois joueurs. Après une inversion de pression, si l’adversaire se retrouve tout de suite acculé, il peut décider lui aussi d’user du jeu au pied. Des joueurs de troisième rideau à l’aise dans les duels aériens et sous les ballons hauts sont indispensables.

La réussite d’un box kick se mesure donc par la récupération du ballon immédiatement après le coup de pied, l’obtention d’un turnover et/ou, bien sûr, par la longueur de terrain gagnée après récupération du ballon. Vous l’aurez compris, les équipes qui jouent à la perfection les box kicks gagnent leurs possessions préférentielles dans le camp adverse, ce qui leur permet ensuite de développer des phases offensives dans d’excellentes conditions.

Analyse vidéo : box kick classique

Vidéo : l’importance de la contention

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L’ennemi du jeu ?

Coupons court. Non, le box kick n’est pas votre ennemi lors d’un match de rugby. Certes il peut vous faire grincer des dents quand une phase d’échanges au pied se met en place mais le box kick est plutôt une arme qui va y mettre fin.

Tout d’abord, il faut voir le box kick comme une prise de risque réalisée par l’équipe qui le met en place. En effet, ce coup de pied est moins long qu’un dégagement classique, l’adversaire peut se retrouver avec le ballon dans les mains plus proche de la ligne d’en-but. En contrepartie, il permet d’insuffler une pression directe pour chercher à récupérer le ballon.

Cette phase de jeu est autant demandante techniquement que tactiquement et la moindre petite erreur :

  • Jeu au pied trop long
  • Jeu au pied trop excentré
  • Pas de pression au point de chute du ballon
  • Pas de contention autour du chasseur
  • Ligne défensive extérieure désorganisée

Peut avoir des conséquences déplorables sur le résultat immédiat du coup de pied, et par extension du match.

C’est donc un outil à maitriser et à utiliser à bon escient, sous peine de voir le bâton revenir plus fort qu’il n’est parti, demandez aux Gallois.

Analyse vidéo : mauvais box kick et contre-attaque

La contre-attaque

L’utilisation accrue du box kick dans le rugby moderne pose une problématique nouvelle : comment contrer ce plan de jeu ?

La première idée est de forcer l’adversaire à l’erreur, dans un premier temps au niveau du botteur, avec de la pression latérale. Cette solution reste maigrement efficace au vu des points soulevés précédemment (longueur du ruck et protection du botteur). Puis vient l’idée de forcer l’erreur à la réception. Comment forcer à l’erreur le chasseur ? En lui imposant de faire une faute bien sûr. Un plaquage ou un déséquilibre aérien, une faute de main sont les résultats les plus évidents mais ils ne sont pas pour autant constant. Il est difficile de les répéter et ils s’appuient sur une erreur adverse, rien qui ne peut être contrôlé.

Il a donc fallu innover pour battre le box kick. Si forcer l’erreur n’est pas une chose aisée, tirer profit au maximum d’une erreur devient une stratégie beaucoup plus viable. On ne table plus sur la quantité mais sur la qualité. Premièrement l’équipe qui reçoit doit trouver la faille.

  • Un coup de pied trop long et le renvoi du ballon devient évident
  • Une absence de chasseur ou de contention et le retour dans le fermé devient possible pour gagner de précieux mètres
  • La ligne défensive est désorganisée et le jeu se déplace à l’extérieur pour attaquer l’intervalle libre

Enfin, récemment, c’est du Football américain qu’est venue la création d’une nouvelle solution. Sur les renvois de coup de pied dans le sport roi aux Etats-Unis, les équipes spéciales cherchent à ouvrir des lignes de courses au « returner ». Par des blocs, ils orientent les défenseurs devant le porteur de balle pour lui créer les intervalles. C’est là qu’est aussi l’enjeu sur les retours des box kick.

Le box kick est un coup de pied qui s’effectue derrière un regroupement (ruck, touche ou mêlée), depuis ce lieu, des hommes se replacent. C’est cette course de replacement qui va être très importante. Elle doit obstruer le passage de la ligne défensive qui monte sans faire faute pour créer un espace dans lequel le réceptionneur pourra s’engouffrer pour relancer. Une tactique encore en développement mais qui commence à porter ses fruits.

Le rugby aime le box kick et le box kick aime le rugby. Ce coup de pied n’est en rien un inhibiteur du jeu, c’est une phase au contraire qui permet d’être offensif en défense. Aujourd’hui tout le monde se prépare à utiliser et à affronter cette option machiavélique pour tous. Car oui, le box kick est bien une lame à double tranchant. Avec de gros risques mais en contrepartie de gros gains, le jeu en vaut, en tous cas, la chandelle.

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