Le 3 juin 1990, les coureurs du Tour d’Italie escaladent pour la première fois le Passo Del Mortirolo (ou Passo Della Foppa). Leonardo Sierra sera le premier coureur à passer au sommet de ce mythe, le Vénézuélien ira par la suite chercher la victoire à Aprica. En seulement 3 décennies, le col Lombard est devenu un classique de la course italienne et les organisateurs ont multiplié les passages sur ses routes étroites. Le 24 mai prochain, les prétendants au Maglia Rosa poseront leurs roues pour la 15ème fois dans le Passo Del Mortirolo. Comment cette ascension est-elle devenue un géant du Tour d’Italie ?

Des mensurations à donner mal aux jambes
Il existe 4 routes pour accéder au Passo Del Mortirolo, 3 d’entre elles furent gravies par le Giro. Cette année, les coureurs aborderont l’ascension par le versant Est depuis le petit village d’Edolo. Ce même versant fut escaladé seulement à deux reprises en 1990 et 2017. Sur le papier, cette montée reste la plus « simple » avec 17, 2 kilomètres à 6,7%. Les 4 premiers kilomètres oscillent entre 4 et 5%. On retrouve ensuite 2 kilomètres plus compliqués avec des pourcentages aux alentours des 8% pour ensuite retomber sur des pentes beaucoup plus abordables. Mais les pentes les plus abrutes se situent aux abords du 14ème kilomètres, les coureurs devront affronter 2 kilomètres avoisinant les 10% pour parvenir au sommet du col. Ce versant reste accessible pour le peloton professionnel, hormis quelques tronçons compliqués qui sont souvent entrecoupés de passages beaucoup moins raides. Lors du derniers passage du Giro par ce versant en 2017, le Mortirolo avait rendu un vibrant hommage au regretté Michele Scarponi en se renommant Salita Scarponi.

Si le versant Est peut être qualifié d’accessible, le versant Ouest depuis Mazzo di Valtellina parait indigeste. Il fut emprunté à 11 reprises par le Tour d’Italie et a systématiquement engendré de gros dégâts. Pour cause, cette ascension propose 12,4 kilomètres pour une déclinaison moyenne de 10,48% ! Dès les premiers hectomètres, la pente se cabre pour s’approcher dangereusement des 10%. Et pourtant la première partie et la dernière partie peuvent être considérées comme les moins délicates de ce versant. Entre le 3ème et le 9ème kilomètres, la pente moyenne est de 12,4% avec notamment un quatrième kilomètres à 13,8% (!). Les nombreux virages en épingle peuvent permettre de souffler un minimum et le panorama qui s’ouvre au fur et à mesure de l’ascension redonne une once de courage. Mais il parait peu probable que le 24 mai prochain, les coureurs puissent profiter du paysage. Lance Armstrong qualifiait cette montée comme la plus dure qu’il n’avait jamais escaladée en 2004, cette anecdote illustre parfaitement la dureté du Mortirolo car le Texan donnait, à l’époque, rarement l’impression de souffrir avec sa bouche fermée et son style aérien.

Mais comme si cette ascension depuis Mazzo di Valtellina n’était pas suffisante, il existe une variante par Tovo di Sant’Agata empruntée seulement une fois par le Giro en 2012. Son profil ferait pâlir les grosses cuisses du peloton. On y retrouve 12,2 kilomètres de souffrance avec une pente moyenne à 10,66%. On retrouve des caractéristiques similaires à la montée depuis Mazzo, mais on a à faire à des pentes beaucoup plus irrégulières. On retrouve régulièrement des ruptures de pente avoisinant les 20% avec même certains tronçons à 23% ! Au milieu de ce chaos, on aperçoit quelques portions beaucoup moins pentues offrant un peu de répit mais sur une route s’apparentant parfois à un chemin de bergers. A 1 kilomètre du sommet, on rejoint la route principale commençant à Mazzo di Valtellina.

Une émergence tardive sur le Giro
Le Mortirolo fut pendant de longues décennies ignoré par les organisateurs de la course italienne mais à l’aube des années 90, un fait majeur va précipiter son arrivée. Cet événement se déroule durant le Giro 1988, lors de l’étape 14 entre Chiesa in Valmelenco et Bormio avec le Passo Di Gavia en plat principal. Les coureurs, s’élançant pour seulement 120 kilomètres, sont loin de s’imaginer que cette étape rentrera dans l’Histoire de la course transalpine. La pluie et le froid font leur apparition sur cette 14ème étape rendant rapidement la course compliquée. Puis ce fut la neige qui s’invita à la fête durant l’ascension du Gavia, les récits d’époque illustrent ce scénario dantesque. Les coureurs parviennent tant bien que mal à accéder au sommet du Gavia culminant à 2621 mètres, un par un sur une route difficilement praticables. Erik Breukink s’en va lever les bras à Bormio tandis que l’américain Andy Hampsten s’empare du maillot rose, un maillot qu’il ne quittera plus jusqu’à la 21ème étape. Les suiveurs s’extasient devant le courage de ces véritables « forçats de la route », on a à faire à une époque révolue du cyclisme à la vue des images de cette journée mythique. Passé l’admiration, la direction du Giro se trouve rapidement au centre de la polémique, comment les coureurs ont pu être livré à eux-mêmes dans ces conditions ? Vincenzo Torriani, directeur de la course, est pointé comme responsable de ce chaos mais il promet tout faire pour remédier à ce type de scénario dans le futur. Les organisateurs de la course italienne souhaitent inclure de nouvelles difficultés pour remplacer des ascensions telles que le Passo di Gavia, le Passo dello Stelvio ou le Passo Pordoi qui restent sous la menace des aléas climatiques. Ainsi, les pentes menant au Col du Mortirolo deviennent rapidement une option rêvée pour les organisateurs. En effet, le niveau de difficultés reste similaire (voire plus dur) aux cols historiques italiens et le Mortirolo demeure moins enclin aux aléas climatiques puisque son sommet s’établit à 1852 mètres. Les rampes abrutes bordées de sapin du Passo del Mortirolo furent prises pour la première fois lors du Giro 1990, la course italienne adopta instantanément cette nouvelle trouvaille et reviendra 5 fois sur ces pentes vertigineuses entre 1991 et 1999.

Le Mortirolo, théâtre d’exploits hors du temps
Le géant lombard ne laisse pas insensible, les aigles du peloton ont souvent utilisé le Mortirolo comme tremplin pour se couvrir de rose. Souvent placé en 3ème semaine par les organisateurs, il déçoit rarement. Les lignes suivantes reviendront sur quelques épisodes ayant forgés la légende de ce géant.
Comment évoquer le Mortirolo sans parler de Marco Pantani ? En 1994, le natif de Cesena n’est pas encore l’idole des tifosis mais il vient de remporter sa toute première étape sur un Grand Tour à Merano. Le lendemain, Pantani veut remettre ça dans l’étape menant à Aprica avec l’ascension du Stelvio et du Mortirolo notamment, le « Pirate » souhaite mettre à mal le porteur du maillot Rose Evgueni Berzin et Miguel Indurain. Dès le pied de la montée, l’italien place deux violentes accélérations dans son style caractéristique, les mains fixées en bas du cintre. Indurain et Bugno ne peuvent suivre, De Las Cuevas explosera quelques hectomètres plus loin alors que le maillot rose Berzin cédera en milieu d’ascension sous les coups de boutoirs de Pantani. Pantani amène avec lui Nelson Rodriguez, il reprend peu à peu les échappés en bouchant les 7 minutes qui les séparaient. Il passe en tête au sommet mais un petit groupe se forme sur la fin de la descente. Le coureur de la Carrera Jeans repartira dans l’ascension finale et collera 3’30’’ à Miguel Indurain et 4’06’’ au maillot rose. Ce Giro 1994, qu’il finira deuxième, reste l’acte de naissance de l’Italien. Cette montée du Mortirolo demeure la première envolée lyrique du champion transalpin, le géant lombard rend d’ailleurs hommage à Marco Pantani avec une sculpture hommage dans l’un de ses nombreux lacets.

Double vainqueur du Giro en 1997 et 1999, Ivan Gotti a également marqué de son empreinte ce col. Son record datant de 1996 résiste toujours … même si les records provenant de cette époque sont à mettre dans de gros guillemets. Cette année-là, l’italien avait avalé en 42 minutes et 40 secondes le Passo Della Foppa, il est aidé dans cette ascension fulgurante par les relais stratosphériques du futur vainqueur de l’épreuve Pavel Tonkov. Gotti lèvera les bras quelques minutes plus tard à Aprica et finira 5ème de ce Tour d’Italie. Il s’offrira son second maillot rose également sur les pentes du Mortirolo en 1999 en repoussant Paolo Savoldelli à plusieurs minutes, dans une fin de Giro orpheline de Marco Pantani.


Ivan Basso possède également 2 Tour d’Italie à son palmarès, et ses deux victoires ont été consolidées sur les pentes du mythe Lombard. En 2006, il s’impose lors de la 20ème étape en s’envolant dans le Mortirolo et s’adjudant l’étape à Aprica. Le coureur de la Team CSC s’imposera avec près de 10 minutes d’avance, le lendemain, après un véritable cavalier seul sur ce Giro. La bagarre est beaucoup plus intense en 2010 dans un Giro fou. Lors de l’étape 11, le peloton laisse quasiment 13 minutes à une échappée composée de Richie Porte, Carlos Sastre ou David Arroyo. A l’aube de la 19ème étape, ce dernier garde 2’27’’ de marge par rapport à Ivan Basso. Mais l’équipe Liquigas embraye au pied du Mortirolo pour Basso, Arroyo s’écarte rapidement tandis que Nibali, coéquipier de luxe pour Basso, passe de puissant relais. En haut du col, il n’y a plus que Basso, Nibali et Scarponi. A Aprica, Scarponi lève les bras mais Basso et la Liquigas sont parvenus à retourner la table en reléguant Arroyo, Evans ou Vinokourov à plus de 3 minutes. Deux jours plus tard, Ivan Basso s’en ira remporter son second Tour d’Italie.
Alberto Contador s’inscrit comme l’un des meilleurs grimpeurs du 21ème siècle, et le « Pistolero » a marqué de son empreinte l’un des cols les plus durs d’Europe. Il découvre les pentes de ce monstre en 2008, secoué par le controversé Riccardo Ricco. Il parvient à conserver 4 secondes sur son dauphin et consolidera cette avance sur le chrono final à Milan. Mais en 2015, Contador produit un récital sur les routes lombardes. Contador attaque le Mortirolo avec 1 minute de retard sur le groupe des favoris pourtant, piégé dans une descente et sans coéquipiers, l’espagnol semblait proche de la rupture. Mais le champion espagnol accélère dans son style caractéristique et semble en mesure de boucher le trou. Il dépose un à un ces concurrents et après seulement 4 kilomètres revient sur Fabio Aru, Mikel Landa et Steven Kruijswijk. Landa traine Aru comme un boulet, l’Italien est à la peine dans les forts pourcentages et Contador le remarque instantanément. Le madrilène contre aussi tôt revenu, Kruijswijk et Landa l’accompagnent mais Aru semble à l’arrêt. Le trio passe au sommet avec 1’50’’ d’avance sur Fabio Aru et se lance dans la descente vers Aprica. Landa ira chercher l’étape plus tard mais Contador prendra un ascendant sur ses concurrents en éclaboussant cette étape de sa classe.

Quelles attentes pour ce cru 2022 ?
Les coureurs du Giro affronteront le Mortirolo le 24 mai prochain lors de la 16ème étape entre Salo et Aprica. Un tracé de 200 kilomètres avec 4 ascensions au programme, le Goletto Di Cadino avec ses 20,1 kilomètres à 6,1% précéderont le Mortirolo. Ce dernier sera escaladé par Edolo, son versant le plus simple, et le sommet se situe à 70 kilomètres de l’arrivée.

Peut-on espérer une course qui s’affole dans le mythe Lombard ? Bien sûr, on aimerait une bataille lancée très tôt surtout après la lecture des exploits passés dans ce même Mortirolo. Mais le tracé de l’étape et la physionomie de ce Giro poussent à la prudence. Après le Mortirolo, il restera une portion de plaine suivie de deux ascensions dont la Santa Christina et il est probable que les grands favoris ne se découvrent pas avant cette dernière. Les premiers du classement général se tiennent dans un mouchoir de poche, on voit mal l’un d’entre eux risquer de tout perdre dès cette étape alors que la 3ème semaine s’annonce longue.
Mais le Giro offre parfois des scénarios de course moins stéréotypés que le Tour de France, pourquoi ne pas assister à un feu d’artifice à 70 kilomètres de l’arrivée ? Dans cette optique, une équipe comme la Bora Hansgrohe pourrait mettre le feu aux poudres avec un collectif très solide en montagne. Une attaque lointaine de Buchmann pourrait être une option pertinente, Pello Bilbao se retrouve dans une situation similaire. Après l’abandon de Romain Bardet, un trio semble se dégager avec Landa, Carapaz et Almeida. Le Basque de la Bahrain-Victorious pourrait profiter de cette situation pour fausser compagnie à tout ce beau monde.
Si à priori le Mortirolo ne sera qu’un plat de résistance cette année, il reste un mythe qui aura son rôle à jouer. Il reste un col fascinant, le temps semble s’arrêter sur ces pentes escarpées, les champions semblent poussés par les tifosis et la moindre défaillance peut s’avérer terrible dans l’un des cols les plus difficiles d’Europe. Alors Messieurs les coureurs, à vous de jouer !