L’Eintracht Francfort s’établit comme le cinquième club de football allemand en terme de membres. Pourtant, le club d’Hesse n’est que le huitième au tableau éternel de la Bundesliga. Ce succès est notamment lié à sa gestion des supporters par les dirigeants et l’union parfaite entre clubs et supporters. Car dans un club où les supporters font réellement office de douzième homme, il convient de les traiter avec tout le respect qu’ils méritent. Et si les succès sportifs sont responsables de l’attrait du club aux yeux du public, nul doute que l’équipe profite en retour de l’incroyable soutien de ses supporters match après match.
L’un des plus gros clubs omnisport au monde
Au lendemain de la victoire de l’Eintracht Francfort à Barcelone et de sa qualification en demi-finale de Ligue Europa, une autre bonne nouvelle tombait. L’Eintracht Francfort venait de passer la barre symbolique des 100 000 membres. Dans le football allemand, les clubs sont soumis à la règle du 50+1. C’est-à-dire qu’ils doivent être détenu à 50% + 1 par leurs adhérents. Et outre-Rhin, peu de clubs font mieux que le club de Hesse. En effet, seuls le Bayern Munich, les deux clubs de la Ruhr le Borussia Dortmund et Schalke 04, et le FC Köln sont devant eux.

Mais le club du fief de la vie économique allemande diffère un peu des précédents. En effet, contrairement aux autres, il s’agit d’un club multisport. Certes le Bayern Munich a également une équipe de basket-ball, une équipe féminine de football ainsi qu’un club d’échec, une section de football senior, du handball, du tennis de table et un club de quilles. Le Borussia Dortmund détenait en son sein les championnes d’Allemagne en titre de handball, mais possède aussi une équipe de cécifoot et de tennis de table, et vient tout juste de lancer sa section féminine de football. Schalke compte plusieurs disciplines avec les mêmes que son rival, mais également du basket, athlétisme et du ski. Tandis que le FC Köln de son côté a également une équipe féminine, du handball et du tennis de table.
Mais à Francfort, ce sont plus de 50 disciplines sportives qui sont proposées. Ainsi, plus de 10 000 adhérents sont des sportifs arborant le logo du club lors des compétitions. La section football n’est d’ailleurs pas la première de l’association. En effet, il s’agit de la gymnastique avec 3 400 membres. Le foot suit avec 2 400 et le triathlon occupe la troisième position avec 1 500 membres.

Parti de moins de 5 000 membres en 2000, le club a subi une constante évolution. Et cela grâce à deux paramètres : la progression constante des propositions de sport, mais également les succès de l’équipe de football professionnelle. En effet, environ 3/4 des adhérents sont des supporters de l’équipe de football qui veulent s’investir dans leur club. Et à l’Eintracht, si on a su bien développer le club de sport, on a aussi développé à merveille la relation dirigeant-supporters, en faisant l’une des meilleures en Europe, pour le plus grand plaisir de l’équipe à laquelle les supporters parviennent à s’identifier et qui sont en retour leur douzième homme lors de chaque match.
Peter Fischer, à mi-chemin entre président et supporter
L’évolution, l’Eintracht la doit particulièrement à son président Peter Fischer. Lorsqu’il est élu président en 2000, le club est alors bien plus petit. A force de travail, il le fait grandir, sans perdre le lien avec les supporters et la société. Que ce soit au niveau sportif ou social, Peter Fischer est engagé à travers son club. Et vingt ans après sa première élection, il a réalisé les trois rêves de sa première conférence de presse : avoir 10 000 membres, un nouveau Riederwald et jouer contre Liverpool dans une compétition européenne. Il admet qu’il faut remplacer Liverpool par Barcelone mais l’idée y est. Et après la victoire de son club en Ligue Europa, rien ne dit que celui-ci ne va pas croiser le chemin des Reds d’ici quelques mois en Supercoupe s’ils gagnent la Ligue des champions.
Pour l’homme d’affaires, le succès de l’Eintracht vient notamment des succès de son équipe professionnelle, mais également des valeurs que le club défend. Car cela permet aux membres de s’y raccrocher, mais également d’avoir des sponsors s’intéressant à son association car les partageant. Dans une Allemagne où la politique se mêle souvent au football, il n’y fait pas exception. Alors que le club défend des valeurs de diversité, il est impossible pour les membres du parti AfD (Alternativ für Deutschland), le parti d’extrême-droite allemand, d’être membres du club. Pour lui, ces personnes sont contraires aux statuts du club, car soutenant des tendances racistes et inhumaines. Et pour les membres de son club qui voteraient pour ce parti, car le président a conscience qu’il y en a, il a tenu à leur donner son point de vue sur la question et leur rappeler que « le club défend d’autres valeurs et objectifs ».
Il avait d’ailleurs été poursuivi par l’un des leaders du parti en justice suite à ses propos. Mais il récidive quelques années plus tard suite aux attentats d’Hanau. Une attaque terroriste sur deux bars à chichas avait fait 9 morts et 5 blessés en 2020. Suite à cette tragédie, il avait pris spontanément la parole lors de la cérémonie de commémoration des victimes dans cette petite ville à quelques dizaines de kilomètres de Francfort. Il avait alors une nouvelle fois positionné son club clairement politiquement et socialement.
« 90 000 membres de mon association sont contre ces racistes de merde, contre cette AfD de merde, ils montrent un net avantage : nous ne voulons pas de nazis. »
Peter Fischer lors de la cérémonie d’hommage aux victoires de la tuerie d’Hanau
Une citation qui parlait à ses supporters, ceux-ci chantant vivement « Nazis raus » (Nazis dehors) lors du match face au RB Salzburg, où la minute de silence suite à ces attentats avait été interrompue par certains supporters adverses.
Mais outre son positionnement politique, le président se montre proche des supporters. Ainsi, il partage souvent des moments en leur compagnie lors des déplacements, notamment européen, partageant des bières avec eux avant les matchs. Et quelles que soient les villes ou les lieux, Peter Fischer répond quasiment toujours positivement lorsque les fans lui demandent de payer sa tournée, leur donnant de l’argent pour qu’ils puissent aller s’acheter des bières et continuer de festoyer.

Il faut dire qu’avant d’être président, Peter Fischer a été un fervent supporter, ayant sa place dans diverses tribunes au fil des années. Désormais, c’est parmi les VIP qu’il officie. Mais cette idée lui aurait tout d’abord déplu, celui-ci préférant rester parmi les simples fans, avant d’être forcé de se faire à ses nouvelles obligations liées à sa fonction. Mais certainement fort de son passé de fan de l’équipe, il est souvent responsable de sorties absolument pas politiquement correctes, et peu attendues de la part d’un président de club.
En 2018, il est responsable d’une descente de police dans le stade lors du match face au Shakhtar Donetsk en 2019. La raison ? Une citation sous l’euphorie de la victoire précédente qui laissait sous-entendre l’utilisation de fumigènes lors du match suivant : « La stade doit brûler. Vous devriez tomber parce que vous avez tellement de lumière et que le jeu devient un peu brumeux pour vous ». Et lorsqu’on lui parle d’éventuelles bagarres redoutées dans les rues de Londres face aux supporters de West Ham, voici sa réponse, tout en diplomatie… « Nos garçons resteront debout et ne s’enfuiront pas. » Avec ces deux citations, c’est peut-être l’intégralité de la gestion des supporters par le club qui peut être comprise.
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Une gestion apaisée et intelligente du douzième homme
L’Eintracht Francfort mise beaucoup sur son douzième homme. Et en Europe, il s’agit peut-être du club avec la plus grande gestion des fans. Ainsi, alors que la Ligue de football allemande (DFB) impose 3, l’Eintracht possède 6 référents supporters. Ces employés du club sont en charge de la relation entre le club et les supporters, notamment pendant les matchs. Mais ce n’est pas tout, tout est fait pour que les déplacements à l’extérieur, notamment en Europe, soient gérés au mieux en leur venant en aide lorsqu’ils se retrouvent à l’étranger. Et puis, un département entier du club leur est dédié. La communication est également facilitée par le fait que de nombreux employés connaissent parfaitement les supporters pour l’avoir été pendant longtemps.
Lorsque des actions en lien avec les valeurs du club et pro-supporters sont menées, l’Eintracht est toujours parmi les premiers clubs à suivre. C’était notamment le cas lors de la fronde anti-matchs du lundi soir. Ainsi, un We don’t like Monday avait retenti pendant l’échauffement un soir de match devant une tribune des ultras intégralement vidée tout au long de la rencontre. Et comme le football à des horaires inadaptés n’est pas synonyme de festivités, le speaker n’avait même pas essayé de chauffer le Waldstadium pendant l’annonce des joueurs, se contentant de les nommer.

Le club soutient donc officiellement ses supporters et évite leurs dérives, sans oublier de régulièrement les vanter et les remercier. Lors du match face à la Lazio, alors que le stade met longtemps à se vider, Peter Fischer calme ses troupes, leur rappelant qu’ils sont incroyables et que leur présence est importante au match suivant. Et quand on lui demande ce qu’il pense de l’envahissement de terrain et du comportement des supporters suite à la qualification en finale de Ligue Europa, il répond d’un simple « c’est super, ils méritent cette finale ».
Et, lorsque la fanszene francfortoise dérape, les remontrances se font toujours en interne. Mais tout est fait pour éviter que de nouveaux débordements ne se déroulent. Avec la passion, une partie des supporters reste parfois problématique même si elle tend à se dissiper, notamment avec les succès de ces dernières années. Mais avec des groupes très diversifiés, les débordements ne sont pas forcément appréciés. C’est d’autant plus le cas que si les ultras sont une partie importante de l’animation, ils dépendent énormément du reste du stade qui est également particulièrement actif.
Ainsi, après des jets de projectiles face à l’Inter Milan, un travail interne est mené, mais rien n’est dit publiquement. La tolérance de l’équipe face aux actions des supporters a d’ailleurs valu une remontrance à Martin Hinteregger, un des joueurs de l’équipe. L’Autrichien n’avait en effet pas condamné les heurts entre hooligans de l’Eintracht et du Bayer Leverkusen en pleine période d’interdiction de stade pour cause de covid.
« Ouais, ils se sont probablement parlés et se sont un peu cognés. […] Si les deux le voulaient, ça va. […] Oui pourquoi pas ? Cela fait en quelque sorte partie du football, n’est-ce pas ? Vous pouvez à nouveau parler de quelque chose, ils s’amusent à se battre, nous devons répondre à des interviews à ce sujet – tout le monde en profite. Il n’y a rien de mal. »
Martin Hinteregger en réponse au journaliste lui demandant son avis sur les affrontements
Du côté de la direction comme de la ville, on ne comprend pas les interdictions de déplacements, telles que celle à Marseille, ou celle d’être immédiatement éjecté du stade si on est pas dans le bloc des supporters extérieurs, comme cela a été annoncé à West Ham cette saison ou à Chelsea il y a quelques années. Il faut dire que les Francfortais sont particulièrement doués pour s’immiscer un peu partout en tribunes. En interne, on proposerait aux clubs anglais de jouer leurs matchs internationaux entre l’Alaska et la mer du Nord. Quant à l’interdiction de supporters dans la ville française, en réponse le maire de Francfort avait invité celui de Marseille pour lui montrer comment on accueillait les supporters adverses.
Dans cette affaire, le club n’en reste d’ailleurs pas là. Il attaque l’arrêté préfectoral pris à l’encontre de ses fans. Ils gagnent le procès quelques années plus tard. Mais cela ne rendra jamais leur belle soirée de foot européen à ces supporters qui en sont si friands.
L’Europe à la folie
Dans un stade souvent considéré comme l’un des plus bouillants de Bundesliga par les joueurs dans les votes, les matchs européens ont un goût encore plus particulier. Car si les joueurs prennent ces matchs au sérieux, leurs supporters font de même, voire mieux. Quelles que soient les équipes ou les destinations, les fans de l’Eintracht se déplacent en très grand nombre dans toute l’Europe, faisant honneur à l’hymne de leur club Im Herzen von Europa (Au cœur de l’Europe). Mais ils sont également fort actifs à domicile.
« Je m’attends à une véritable invasion d’aigles là-bas. […] Nos fans sont les plus créatifs lorsqu’il s’agit d’obtenir des billets de quelque manière que ce soit. C’était comme ça et ce sera toujours comme ça. »
Axel Hellmann, directeur du club à propos d’une arrivée massive de supporters à Londres pour la ½ finale face à West Ham
En 2013, ils étaient 12 000 à Bordeaux pour un match face aux Girondins, 3 000 à Kharkiv pour affronter le Shakhtar, plus de 10 000 à Rome. Et qu’importe l’adversaire, la passion est là. En tour préliminaire, en plein été 2019, ils étaient 1500 à Tallinn par exemple et un stade rempli pour le match retour face à FC Vaduz, battu 0-5 au match aller. Qu’ils aient ou non des places dans le stade, les supporters se déplacent. Pour affronter Arsenal, ils étaient environ 2 000 malgré une interdiction de stade. Ils étaient 30 000 à Barcelone, faisant du Camp Nou leur nouveau stade.
Il n’était donc pas étonnant qu’ils soient 50 000 à être annoncés dans les rues de Séville malgré un nombre bien plus faible de places pour une finale. Le club avait d’ailleurs reçu plus de 200 000 demandes de places pour celle-ci. En parallèle des supporters présents en Espagne, le stade diffusé également le match et était rempli dans une magnifique ambiance, l’ensemble des billets mis en vente pour une faible somme ayant pris très rapidement preneurs.

À domicile, les supporters des aigles fêtent leurs matchs à l’aide de magnifiques tifos. Preuve que l’ensemble du stade participe fortement à l’activité, ils recouvrent quasiment toujours plusieurs tribunes. Ou alors l’ensemble du stade suit les directives de couleurs demandées par les ultras dans des communiqués en amont des matchs. Le mot d’ordre des matchs cette saison était le blanc. Mais pour la campagne 2019, trois couleurs différentes avaient été demandées pour la phase qualificative. Le tifo du premier match était alors une fusion des trois précédents. Pour la finale, ils avaient préparé un tifo qui a nécessité sept camions pour le transport et a coûté plus de 50 000 €. Il était à l’effigie de la Diva du Main, surnom du club.
A Francfort, le football se vit souvent debout et avec un verre à la main. C’est d’ailleurs l’un des éléments qui a posé problème quand les fans se sont retrouvés disséminés aux quatre coins du Camp Nou, cachant la vue des spectateurs espagnols. Mais ce n’est pas un souci dans le Deutsche Bank Park. Un projet d’agrandissement pour atteindre 60 000 places vient d’être validé. Pour cela, 11 000 places debout seront ajoutées dans le stade de 51 500 places qui affiche quasiment toujours guichet complet.
« Vous pouvez gagner des titres en dépensant beaucoup d’argent, ou en formant une grande unité dans l’équipe, dans le club, avec vous. »
Oliver Glasner aux supporters suite à la victoire finale
Et à Francfort, les supporters font gagner. Tous sont d’accord sur ce point et les supporters s’en convainquant devenant de plus en plus survoltés et impactant. Nombreux sont les joueurs et autres membres du club qui ont acté que la victoire n’avait été possible que grâce à leurs fans. Et c’était de toute façon la raison de leur présence à Séville. Au cours d’un discours de motivation, la veille de la finale, le président a tenu à leur rappeler pourquoi ils étaient là : « Je veux boire dans cette fichue coupe demain. Vous n’êtes pas ici pour boire et manger sans raison – ce que nous faisons ici, c’est du dopage ». C’est d’ailleurs parce qu’ils ont été entièrement partie prenant dans ce titre, que la coupe a pu se promener un peu en tribunes.
L’Eintracht Francfort a réussi l’exploit qu’il attendait depuis des années. Il a remporté de nouveau une coupe d’Europe 42 ans après sa dernière victoire. Pour cela, le club possédé par ses membres peut compter sur le soutien de ses fans actifs qui portent l’équipe que l’adversaire soit beaucoup plus petit ou une équipe que l’on pourrait croire imbattable. Et avec la victoire viennent les festivités au plus proche du public, comme toujours. Comme lorsque les joueurs avaient escaladé les barrières publicitaires pour se jeter dans les bras des ultras après le match face au Benfica alors que l’on avait interdit aux fans d’accéder au terrain. Comme à Marseille quand ils les avaient rejoints dans un bar pour boire en leur compagnie. Mais la fête du haut de l’hôtel de ville est particulière et valait certainement bien les neuf mariages déplacés le jeudi 19 mai, et ce n’est pas Kévin Trapp qui l’avait regardée en 2018 sur son téléphone alors qu’il était à Paris et qui en rêvait depuis qui dira le contraire. Et l’année prochaine, nul doute qu’ils tenteront une nouvelle de créer l’exploit grâce à la parfaite union entre dirigeants, équipe et supporters dans la plus prestigieuse des compétitions, à laquelle ils participeront pour la première fois de leur histoire.