La fin de saison approche à grands pas et les équipes ont quasiment bouclé leur effectif pour la saison prochaine. Toute l’année on a pu suivre les infos transferts, prolongations et rachats de contrat. Comparé à son cousin le football, le rugby n’a pas de période spécifique de transferts. Derrière ces signatures se cachent des hommes, femmes qui travaillent, négocient, accompagnent et conseillent les joueurs : les agents sportifs.
C’est le métier de Sébastien Audinet, qui exerce depuis 2014. Après avoir passé un M2 Management du sport en école de commerce (PSB), il monte sa première structure, AS Sport Consulting, rachetée en 2017 par le groupe international Esportif. Aujourd’hui il gère une quarantaine de joueurs sur 80 de la branche française d’Esportif, plus des entraîneurs professionnels.

Comment se passent les étapes d’un transfert et quel rôle avez-vous ?
Il faut différencier 2 cas bien différents. Au rugby, la norme n’est pas le transfert au sens du rachat de contrat. Dans 95 % des cas, les joueurs vont au bout de leur engagement (CDD). Ils sont donc libre de s’engager dans le club de leur choix. Les 5 % restants sont débauchés et le club rejoint par le joueurs doit verser une indemnité au club quitté. Dans la majorité des cas, cela ce fait dans le cadre de clauses libératoires financières négociées en amont. Pour ceux qui n’ont pas de clause, on a de vraies négociations de gré à gré entre les deux clubs, sur le modèle du football.
Exemple : le joueur a contractuellement le droit de s’engager pour un autre club avant le terme de son contrat pour 50 000 euros. Un club accepte de payer cette somme pour rendre le joueur “libre” de s’engager avec lui.
Qui est à l’origine du premier contact entre l’agent et les clubs ?
Les joueurs nous font confiance et nous avons leurs accords exclusifs pour les représenter, les proposer aux clubs. À nous de cibler les besoins des clubs et leurs proposer des joueurs libres ou qui pourraient l’être avec le paiement d’une clause. On échange avec les clubs sur les profils en question, les qualités des joueurs. Le but est de les convaincre que le joueur a le profil pour être un atout dans l’effectif et répondre au besoin. Si le club est intéressé, alors démarre la négociation contractuelle.
Une fois que l’intermédiation est fini, que le joueur et le club sont d’accord sur les aspects contractuels et sportifs, l’agent a un rôle de contrôle sur les contrats de travail soumis par le club. D’un point de vue légal, la mission de l’agent s’arrête la. Cette prestation justifie au regard du Code du sport le paiement d’une commission.
Comment sont rémunérés les agents ?
Le joueur compte sur l’agent pour l’aider à négocier le meilleur contrat possible (salaire, durée, primes, avantages, etc.). On est donc rémunérés sous forme de commission calculées sur son salaire. Mais on est là aussi pour le conseiller sur les meilleurs choix en cas de concurrence entre plusieurs clubs. Le but est d’aider le joueur à construire la carrière la plus cohérente sportivement.
En dehors du rôle d’agent, jouez-vous un autre rôle auprès des joueurs que vous représentez (conseils, soutien moral, etc.) ?
Notre métier dépasse le rôle d’intermédiaire pour une négociation purement contractuelle. Les missions de conseils pour aiguiller le joueur sur ce qui semble être le plus judicieux pour lui. La gestion de la frustration au cours de carrières jamais linéaires, les interactions dans les périodes de doutes (réciproques). Ce rôle de défenseur des intérêts du sportif face à des clubs rarement placés dans une démarche philanthropique.
“90 % du travail d’agent consiste a appréhender avec les sportifs des situations négatives ou inattendues.“
Les situations positives sont toujours fluides dans leur traitement et sont soldées rapidement. Les carrières étant courtes, chaque négociation est extrêmement importante pour un sportif qui selon le profil n’aura que 5 à 7 occasions de construire le patrimoine que sa carrière générera.
Pour notre part, nous proposons plusieurs autres services complémentaires et supplémentaires que ni les clubs ni les joueurs ne payent afin d’optimiser les chances de réussite du recrutement pour le club, de réussite sportive pour le joueur et de fidélisation des deux parties mises en rapport : le club et le joueur.
Entre autres :
- Accompagnement administratif
- Accompagnement fiscal avec un spécialiste salarié de notre structure
- Mise en relation avec des prestataires divers sur demande des joueurs
Ressentez-vous une évolution dans la mentalité et les conditions de travail depuis vos débuts ?
La volatilité des joueurs qui ne sont pas sous contrat avec les agents a augmenté de maniére exponentielle. Peut-être à cause d’un glissement des mentalités mais aussi par une intensification de la concurrence.
“Le métier n’a pas changé, le fonctionnement des clubs pas beaucoup non plus“
À mes débuts, quelques entités travaillaient de manière ancrée sur le marché et peut être que l’arrivée de nouveaux acteurs, dans lesquels je m’inclus, ont induit un changement des mentalités avec une approche assez agressive qui rend le marché peu stable. Ce qui, in fine, rend l’émergence de nouvelles entités difficiles puisque les gros groupes, pour se protéger de ça, embauchent de plus en plus. On observe une forme de polarisation des forces en présence. Les gros grossissent, les petits rejoignent les gros ou disparaissent. Peut-être à cause d’un glissement des mentalités, mais aussi par une intensification de la concurrence.
Comment avez-vous vécu la crise sanitaire du Covid-19 ?
La crise du Covid a eu un impact assez similaire à celui sur les autres secteurs. Les difficultés de déplacement ont entraîné une hausse considérable du recours a la visioconférence et a la dématérialisation des contacts. Attention néanmoins à ne pas dégrader la qualité des rapports humains en restreignant trop fortement l’échange physique et les feelings qu’il génère.
À mon sens c’est un danger majeur dans une profession de représentation, où les aspects humains sont fondamentaux. Nous ne sommes pas des agents immobiliers vendant des biens purement matériels.
“Nous représentons des êtres humains et la valeur sociale de notre profession est essentielle.“
Les règles des quotas JIFF a-t-elle changé votre façon de travailler ?
La mise en place des JIFF a été salvatrice pour le XV de France. Elle a permis à la génération dorée que les Bleus possèdent aujourd’hui d’éclore. Cette génération double championne du monde U20 aurait certainement été défavorablement impactée sans cette mesure protectionniste.
“Sur le marché, chaque nouvelle réglé renforce la concurrence.”
Chaque règle créée de la contrainte, chaque contrainte créée de la rareté. Chaque rareté entraîne des frictions. Entre clubs d’abord, entre agents ensuite. On a aujourd’hui des sociétés avec des positionnements différents. À quelques exceptions près, certains se spécialisent sur les JIFF, d’autres sur les étrangers avec des réseaux internationaux plus complexes.
Depuis longtemps, l’image de l’agent cupide est fantasmée par les supporters de sports. Au-delà de la négociation, ce métier demande des qualités humaines d’écoute, de conseils et de soutien. Il est là pour accompagner les choix des joueurs qu’il représente. Nous savons tous que les carrières professionnelles sont courtes et la moindre mauvaise décision peut desservir ou et anéantir l’avenir d’un sportif.