Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur le football professionnel en Albanie. Principalement négatives. Les clubs traditionnels de football s’effondrent sous le poids du népotisme, de la corruption, des structures mafiaesques des clubs, de la violence et d’un manque de qualités footballistiques en général. En plus de ces histoires, les scandales de paris sont révélés encore et encore. Plus récemment en 2018, une sanction du Tribunal international du sport (TAS) a fait sensation. Le club albanais du KF Skenderbeu a été banni de toutes les compétitions européennes de clubs pendant dix ans et a également dû payer une amende d’un million d’euros. Pourtant en ce 25 mai 2022, c’est bien à Tirana que se déroulera la première finale de l’histoire de l’Europa Conference League au Air Albania Stadium. Un symbole fort mais représentatif du virage entrepris par le football albanais depuis quelques années.
Epicentre d’une sélection en développement
Une sélection en plein doute, sans grandes références historiques, aux infrastructures délabrées et dont les meilleurs joueurs, expatriés pour la plupart, déclinent le maillot kuq e zi, voilà un résumé rapide mais juste de l’état de l’équipe nationale albanaise au début des années 2010, plus connue pour l’incident au cours duquel un drone avec un drapeau de la Grande Albanie a survolé le terrain lors du désastreux match entre l’Albanie et le frère ennemi de la Serbie à Belgrade en 2014. Un constat amer et non représentatif de la popularité du football dans ce pays des bords de la méditerranée. Nommé en 2011 comme sélectionneur, l’Italien Giovanni De Biasi a su recréer une osmose dans cette équipe en partant de quasiment rien et en s’imposant cette fois-ci sur du long terme. Résultat ? En dépit de la modestie historique des résultats, elle se qualifie pour la première fois de son histoire à un grand tournoi international.
L’été 2016 fut magnifique pour la sélection nationale et pour ses supporters présents aux quatre coins de l’Europe. Pour sa première participation à l’Euro, l’Albanie n’a pas pu passer le premier tour, mais ne s’est pas montrée ridicule. Posant de gros problèmes à la Suisse et à la France, la sélection s’est offert une victoire de prestige 1-0 à Lyon lors du dernier match contre la Roumanie. Une victoire symbolique, qui a permis de faire connaitre le pays et de le placer sur une carte, donnant une certaine exposition. À Tirana, les joueurs ont même été reçus comme des héros populaires.
Malgré sa participation à une compétition continentale, l’Albanie a montré qu’elle n’avait pas encore l’expérience des grands rendez-vous. Les lendemains n’ont pas confirmé l’élan suscité. Les motifs d’espoir sont présentement très peu nombreux pour la sélection. Lorik Cana a disputé ses derniers matchs internationaux en 2019, De Biasi a quitté le navire en 2017 pour aller entraîner le Deportivo Alavès en Espagne et son successeur Christian Panucci n’a guère réussi à reprendre le flambeau, ne restant que deux ans.
Dans le même temps, la reconnaissance du Kosovo par la FIFA a fait beaucoup de mal à l’Albanie. Autorisant les joueurs avec la double nationalité à désormais porter le maillot bleu, la FIFA a engendré un exil de nombreux joueurs qui évoluaient jusque-là en sélection jeune. Le cas le plus marquant est celui de Milot Rashica, désormais international kosovar promis à un grand avenir et qui n’aura disputé que des rencontres jeunes avec l’Albanie. Une perte considérable quand on sait que de nombreux jeunes joueurs partent très tôt à l’étranger et préfèrent historiquement rejoindre la sélection de la terre d’accueil au détriment du pays d’origine.

Dès lors, la construction de nouvelles structures à Tirana avec le nouveau centre d’entraînement et la nouvelle enceinte moderne dans la capitale, qui a été inaugurée en 2018 -le Air Albania Stadium d’une capacité de 22 500 places aux normes internationales fixées par l’UEFA-, marquent le réel début d’un développement d’un football national qui donne l’impression d’être dans un autre monde, plus proche de l’amateurisme que du professionnalisme. Autre évènement majeur, c’est l’interdiction et la fermeture des sites de paris sportifs en 2019. Dépendant de cette économie, avec la quasi-totalité des clubs de l’élite partenaires avec des bookmakers, la volonté est bien de mettre fin à l’image d’un football décrié et l’inscrire durablement sur le long terme avec Tirana comme centre de ce développement.
Les derbys de Tirana ou quand football rime avec politique
Dans le championnat albanais de la Kategoria Superiore, Tirana est représentée par trois clubs : le KF Tirana, le Partiziani Tirana et le Dinamo Tirana. Ces trois clubs sont ceux qui ont remportés le plus de championnant (26 pour le KF, 18 pour le Dinamo, 16 pour le Partiziani). Mais la rivalité entre ses équipes implique une donnéee souvent présente dans les pays de l’est : l’implication politique. Le match le plus attendu chaque année en Albanie oppose le KF et Le Partiziani. Cette confrontation dantesque, met aux prises deux équipes rivales depuis des décennies ; deux clubs que tout sépare, à travers leur vision de l’histoire du communisme albanais et de la politique entre le Parti démocrate et le Parti socialiste.

Né en 1920, le KF Tirana est établi sous le règne d’Ahmed Zogu, président de la République en 1925 devenu roi d’Albanie en 1928 sous le nom de Zog Ier. Et c’est sous Zog Ier que le KF Tirana a commencé à se forger un palmarès : 7 titres entre 1930 et 1939. L’histoire est totalement différente pour les supporters du Partizani. Celle-ci débute le 4 février 1946 avec la création du club de l’armée populaire, qui dépend du ministère de la Défense. Ce sont les partisans vainqueurs de l’occupation fasciste italienne puis de l’occupation nazie à partir de 1943 : le Partizani est le symbole du peuple albanais libre. Pour ses supporters, le royaume de Zog Ier n’a jamais existé, il n’y a pas d’histoire avant eux. À l’époque communiste, le Dynamo Tirana était le club préféré du régime d’Enver Hoxha, mais le ministère de la Défense pouvait envoyer quelques bons joueurs au Partizani après la durée de leur service militaire. Les choses étaient beaucoup plus difficiles pour le KF Tirana, qui avait dû changer de nom : rebaptisé 17 Nëntori Tirana, en référence au 17 novembre 1944, date de la libération de Tirana. Le régime acceptait tout juste ce club, car omnisports et prestigieux. Mais tant que le Dynamo ou le Partizani gagnait, il ne se plaignait pas.
Dans chaque camp, les “Tifosi” font le spectacle : un derby attendu au moins quatre fois par saison par les amoureux de football. Le derby le plus attendu est celui opposant le KF au Partizani. Cette saison, ce sont les bleus et blanc qui ont dominé le championnat et ont remporté 3 des 4 derbys joués. Chacun des derbys possède sa particularité à cause des origines des trois clubs. Encore aujourd’hui, la vie politique de la ville est reliée au derby : le Premier ministre socialiste Edi Rama, fan numéro un du Partizani et le chef de l’opposition, l’ancien maire de Tirana, Luizim Basha, ancien président du KF Tirana ! Le Dinamo fait figure de paria en comparaison avec les deux autres clubs, récemment promu , le club n’arrive pas à se maintenir à un niveau suffisant pour rester durablement en première division. Tous ces paramètres font que les derbys de Tirana font parler, non pas pour leur niveau footballistique, mais l’importance politique et les bagares générales qui peuvent partir à tout moment dans les tribunes.
Désormais, peu de joueurs internationaux albanais jouent dans le championnat local à cause du faible niveau et le manque d’exposition sur le plan continental. Mais il y a deux ans de cela, un ancien international nigérian passé par la Kategoria Superiore s’est inscrit pour toujours dans l’histoire du championnat albanais.
La fabuleuse histoire d’Emmanuel Egbo
Nous sommes en 2001 quand Ndubuisi Emmanuel Egbo arrive en Albanie. À cette période, le futur coach devient gardien au KF Tirana qui dominait de la tête et des épaules le championnat. Après deux années dans le club égyptien d’Al Masry, l’international nigérian de 28 ans décide de rejoindre l’un des clubs de la capitale albanaise. Pendant ses trois saisons au club, il remporte deux titres de champion d’Albanie et une Coupe. De plus, il s’intègre parfaitement à la vie locale et apprécie son quotidien dans ce pays des Balkans. Un gros contrat en Egypte le convainc de revenir sur le continent africain mais ces quelques années passées en Albanie ont commencé à tisser un lien indéfectible entre cet homme et ce pays.
« C’était l’une des époques dorées du club. Le KF Tirana dominait le football albanais. C’était un très bon gardien, toujours très calme et serein ».
Ermal Kuka, Journaliste albanais lors d’une interview pour Lagrinta.fr
En 2007, il revient dans les Balkans pour finir sa carrière dans le petit club du KF Bylis et devenir entraîneur des gardiens. Mais la fin de l’aventure sera abrupte, le club est relégué administrativement en deuxième division à la suite d’actes violents des dirigeants qui passent leur frustration sur les arbitres lors d’un match crucial. Egbo retourne alors au KF Tirana pour occuper le même poste et les supporters le porte toujours très haut dans leur estime pour son respect et son professionnalisme au sein du club. Si bien qu’en 2019, le club lui laisse sa chance après un début de championnat compliqué (5 victoires – 4 nuls – 5 défaites). Pour son premier match, il doit affronter le grand rival du Partiziani qu’il remporte à la surprise générale. Et la suite est encore plus belle : le KF Tirana remporte 14 matchs sur 16 et remporte son premier titre de champion en 11 ans. Non seulement, il rentre dans l’histoire du club, mais il devient le premier entraîneur africain à qualifier une équipe en Ligue des Champions et a remporter un titre de champion dans un championnat européen.

Sa réussite impose le respect, tout comme son éthique de travail qui a gagner le coeur des albanais. Dans une partie du Vieux-Continent où le racisme est souvent présent, Egbo a réussi à faire de l’Albanie sa deuxième maison. Arrivé en tant que parfait inconnu en 2001, le Nigérian aura réussi à se construire un des plus beau palmarès de l’histoire du football albanais. Même si aujourd’hui il n’est plus l’entraîneur du KF Tirana, l’ex-gardien international aura inscrit pour toujours une trace indélébile dans le football albanais.
L’histoire du football albanais est unique en son genre. Et si son championnat va avoir du mal à se développer, sa sélection nationale a de belles années devant elle. L’expansion dans les cinq grands championnats européens des joueurs albanais (avec notamment 10 internationaux en Série A) va permettre à la sélection de prendre en expérience et de disputer plus souvent de grandes compétitions. L’accueil de la finale d’une Coupe d’Europe pour la première fois de son histoire montre que le pays commence à faire sa place dans le paysage du football européen, en espérant que ce soit le début d’une nouvelle ère prospère au développement du football albanais.