Cet été, le XV de France ira défier ses homologues japonais de l’autre côté de la planète. S’il y a encore peu de temps, un dizaine d’années, le monde du rugby se serait gaussé d’une telle décision, aujourd’hui le constat est bien différent. Le Japon n’est plus une équipe marginale du rugby mondiale, il est même devenu une place forte. Les Bleus auront donc fort à faire pendant cette série, face à une équipe qui pratique un jeu en total opposition avec celui pratiqué par la majorité des nations du monde.

Le soleil se lève sur le rugby japonais
Le 16 Septembre 2011, à Hamilton, lors de la coupe du monde de rugby en Nouvelle-Zélande, les locaux passent une rouste mémorable à des nippons complétement hagards. Les chiffres sont affolants, 83 à 7, 13 essais encaissés dont le premier (et le deuxième) de Sonny Bill Williams en sélection. Ce jour-là c’est deux équipes appartenant à deux mondes opposés qui s’affrontaient.
Néanmoins, on ne peut pas dire que le Japon soit une anomalie dans le paysage rugbystique mondial. En effet, le sport est arrivé très tôt au pays du Soleil levant, à la fin du XIXème siècle. La période de mue entre simple sport européen sympathique et véritable sport collectif majeur du pays a simplement été un peu longue. Pourtant, jamais le Japon n’a loupé une coupe du Monde, 9 participations en 9 éditions. Il faut néanmoins mettre cela au crédit d’un ticket assez « simple » à aller chercher dans des qualifications asiatiques sans réels opposants.
A l’aube de l’année 2012, après une Coupe du Monde néo-zélandaise compliquée comme nous l’avons vu, le Japon point à la 15ème place du classement IRB World Rugby. Une place déjà honorable mais derrière la Géorgie, le Canada, l’Italie, les Samoa… Après la Coupe du Monde 2019, dans leur pays, les Japonais se hissaient à la 8ème place de ce classement mondial devant des équipes installées comme l’Ecosse, les Fidji ou encore l’Argentine. Un parcours initiatique de 8 ans.
Stars, argent et rock’n’roll
La première stratégie élaborée par les décisionnaires nippons c’est l’essor d’un championnat encore trop peu connu. Et comment faire connaître votre tournoi local ? En y faisant venir des légendes du rugby à coups de salaires astronomiques. Pré 2011, on retrouvait une multitude de joueur en fin de carrière (Gregan, Larkham…). Après cette année fatidique, l’accélérateur était enclenché. Nonu, Barrett, Carter, Leali’ifano, Hooper pour ne citer qu’eux venaient passer une ou plusieurs années sur les terres des samouraïs. Au contact de ces joueurs de classe mondiale, les d’abords semi-professionnels, puis joueurs professionnels japonais s’aguerrisaient.

L’évolution de son rugby, les Brave Blossoms la doivent en grande partie à un homme : Eddie Jones. Le technicien australien prend les rênes de la sélection après 2011 en succédant à un néo-zélandais : John Kirwan. Kirwan était le premier maillon d’une stratégie japonaise bien construite. La fédération avait compris qu’un support étranger était devenu une nécessité pour passer un cap dans le rugby mondial en se tournant vers des hommes de l’hémisphère sud avec une culture rugby et surtout un palmarès qui crédibilise un discours. Malheureusement, Kirwan aussi bon soit-il en tant que joueur, n’avait pas le bagage nécessaire pour être un bon technicien de 2007 à 2011. Le Japon ne progressait pas.
C’est ici le tournant du rugby moderne japonais, Eddie Jones est engagé dans la foulée de la Coupe du Monde 2011. Le profil de l’entraineur est idéal. Il connait le rugby nippon pour y avoir grandi ainsi que par ses racines japonaises, il a aussi entrainé à la fin des années 90 à l’université au Japon mais aussi le club de Suntory, son message fut aisément entendu par le groupe de joueur japonais qui l’accepta. Mais le plus important n’est pas là non. La force d’Eddie Jones c’est évidemment sa pluralité rugbystique, Japon, Australie, Angleterre. De ces trois pays, Jones en tira la quintessence et l’enseigna à des japonais qui ne demandaient que cela.
Jeu sauce samouraï
Avec Kirwan, le Japon jouait à un jeu qui ne lui correspondait pas, un rugby rationnel orchestré par une multitude de joueurs expatriés, notamment de l’hémisphère Sud. Or, le rugby a beau être un sport « copycat », quand vous ne possédez pas les armes pour mettre en place un système de jeu répandu et connu pour marcher, la construction d’une équipe nationale est alors vouée à l’échec. Preuve à l’appui en 2011.
Eddie Jones a changé la donne. Première mission : s’entourer, de la meilleure des manières, avec Marc Dal Maso le français pour la conquête, Steve Borthwick pour le mouvement général et lui-même pour la sélection des joueurs et notamment le repérage des jeunes talents. Le cocktail est détonnant et surtout renversant ! Les Sud-africains feront les frais de ce jeu décomplexé en 2015 lors de la coupe du Monde en perdant 34-32 face aux Brave Blossoms. Cette rencontre marque seulement la deuxième victoire nippone dans la compétition.
Jamie Joseph, le successeur d’Eddie Jones continuera de s’appuyer sur la même stratégie conquête/vitesse dans le jeu Japonais pour performer à la dernière Coupe du Monde, à domicile. Lors de cet exercice, les Japonais réussiront pour la première fois à se hisser en quart de final après 3 victoires en phase de poule. Ils y retrouveront leurs amis sud-africains, comme un symbole, trop fort cette année-là mais qui auront tout de même douté. Attention tout de même à ne pas retomber dans des travers qui ont fait du tord à la sélection nippone. Le sélectionneur a pour cette tournée d’été 2022 fait appel à de nombreux “naturalisés”, et la première composition nous ramène presque en 2011. Ne gâchez pas tout messieurs.
Les japonais se sont fait un nom dans le monde du rugby sur la dernière décennie. Ils ont aussi arrêté de pratiquer un rugby copier sur les nations majeures pour élaborer leur propre recette de ce jeu, vitesse, précision et déplacement du ballon en fer de lance, un rugby que certains qualifient même « d’authentique » tant il se base sur l’évitement en opposition avec le contact permanent de l’ovalie moderniste. Le Japon a du talent, et commence à l’exploiter, les bleus ne se frotteront pas à une petite nation du rugby cet été, soyez en persuadé.