Capitaine de la Juventus Turin et de l’Italie, Sara Gama apparaît comme la joueuse phare de la formation transalpine. La défenseuse s’illustre notamment par son engagement de tous les instants aussi bien sur qu’en dehors du terrain.
“Quand j’entends une femme parler de tactique, ça me retourne l’estomac. Je n’y arrive pas.” Cette phrase, prononcée en 2019, par Fulvio Collovati, champion du monde 1982, témoigne de la situation dans laquelle se trouvait le football féminin de la “Botte” il y a encore quelques mois. Pourtant, la Nazionale azzurra a connu un premier essor dès les années 1980-1990. La sélection enchaîne par exemple une finale et trois demis lors des différentes éditions des championnats d’Europe entre 1984 et 1993.
Cependant, ces promesses ne durent pas et s’évaporent progressivement. Lucia Pirola, journaliste indépendante, expose les raisons de ce déclin : “Les investissements ont cessé. Les responsables ne s’en souciaient pas du tout, certains d’entre eux ont même été impliqués dans des scandales à cause de certaines déclaration, comme « arrêtez de donner de l’argent à ces quelques lesbiennes ». Nous avons connu des années sombres et tout ce que nous avions construit jusqu’aux années 90 s’est évanoui, alors que le football féminin en Europe s’améliorait et devenait de plus en plus populaire.“
Dès la naissance de sa passion, Sara Gama, née en 1989, doit donc dépasser un premier obstacle : le manque de considération. “Il est difficile d’imaginer quelque chose qui apparemment n’existe pas“, raconte-t-elle en interview. En effet, la jeune fille de l’époque ne peut s’appuyer sur aucun véritable modèle. Cela ne l’empêche pas de se lancer et de rapidement marquer les esprits. Ainsi, en 2008, elle décroche le championnat d’Europe avec les U19. En club, la défenseuse revêt successivement les couleurs de Tavagnacco, de Chiasiellis puis de Brescia.
Un départ à l’étranger pour connaître le monde professionnel
Lors de cette période, le football féminin ne bénéficie pas du statut professionnel de l’autre côté des Alpes. Des conditions qui signifient une absence de salaire ou encore d’assurance pour les joueuses. Ces dernières sont contraintes de travailler en parallèle pour subvenir à leurs besoins. De son côté, Sara Gama est inscrite à l’Université d’Udine où elle étudie la littérature et les langues modernes. La native de Trieste révise parfois ses cours jusque tard dans la nuit à l’issue de ses matchs ou de ses entraînements.
Dans ce contexte, l’arrière axiale tente l’aventure à l’étranger et atterrit au Paris Saint-Germain. Comme elle le confie à The Athletic, pour la première fois de sa carrière, elle peut profiter d’une vie de professionnelle. Malheureusement, son expérience francilienne est gâchée par les blessures. Selon Lucia Pirola, la transalpine profite tout de même de ce séjour dans la capitale française pour apprendre “comment élever son niveau de jeu et ce que les femmes devaient faire pour, lentement, devenir pro“.
Justement, en 2015, la situation évolue. Michele Uva, dirigeant de la fédération italienne, fait passer des règles qui obligent les grands clubs à se mobiliser pour le développement du football féminin. Au même moment, Sara Gama reçoit une proposition de la part de Brescia. Elle choisit donc de rentrer au pays et intensifie son engagement. Pour preuve, dès septembre, lors de la Supercoupe contre Vérone, les joueuses des deux formations brandissent une banderole : “Il y a des points à gagner, qui ont plus de valeur que ceux du classement.” Chacune est sanctionnée, a posteriori, d’un carton jaune. Révoltées par cette décision, les contestataires menacent de faire grève pour la première journée de la saison. D’abord ferme, la FIF finit par accorder quelques concessions.
Le tournant de la Coupe du monde 2019
En 2017, Sara Gama rejoint la Juventus. Depuis, avec les Bianconeri, la défenseuse règne sans partage sur la Serie A Femminile. En cinq exercices, l’athlète de 31 ans a conquis cinq championnats, deux Coupe et trois Supercoupe d’Italie. Sur le pré, la numéro 3 est une véritable guerrière. Gaia Brunelli, commentatrice pour Sky Sports dresse son portrait : “C’est une leader, elle a une grande personnalité. Pour la Juve, comme pour la sélection, elle est d’une grande valeur. Elle est excellente dans le marquage, le un contre un. Elle est rapide, forte de la tête et physiquement douée.” Des observations confirmées par Lucia Pirola : “Elle est l’une des joueuses les plus importantes du championnat et de l’équipe nationale. Elle est très intelligente et son expérience sur le terrain la rend très difficile à affronter.” Des qualités qui justifient, pour le Guardian, sa nomination parmi les 100 meilleures footballeuses de la planète en 2020.
La capitaine de la Vieille Dame a également contribué à guider son pays jusqu’en quart de la Coupe du Monde en France en 2019 (première participation depuis près de vingt ans). Le groupe dirigé par Milena Bertolini a terminé en tête d’une poule relevée, composée de la Jamaïque, du Brésil et de l’Australie. Après avoir éliminé la Chine (2-0), les représentantes Azzurri tombent finalement face aux Pays-Bas (0-2). Ce parcours permet à la sélection de trouver son public. Ainsi, jusqu’à sept millions de tifosi suivent les matchs en direct à la télévision. “Pendant notre séjour en France, quelque chose a changé et nous n’en avons pris conscience qu’à notre retour“, confie Sara Gama dans The Athletic. Symbole de ce tournant, l’équipe nationale est invitée par le président Sergio Mattarella, à l’issue de la compétition. Lors de cette rencontre, Sara Gama prend la parole devant les caméras et lance un appel poignant à l’égalité en s’appuyant sur l’article 3 de la Constitution.
Dans la foulée, ces bons résultats attirent aussi les diffuseurs, comme le détaillait la défenseuse aux 130 sélections sur le site de FIFPRO en octobre 2020 : “Sky Italia vient d’annoncer un contrat de deux ans pour diffuser deux matchs de Serie A chaque semaine. TIM Vision est le sponsor principal de la Serie A et prévoit de diffuser tous les matchs de la ligue. Les matchs de l’équipe nationale sont diffusés sur la chaîne de télévision publique RAI. Les offres de sponsors sont également en hausse.”
En première ligne pour de nombreux combats
En dehors des terrains, Sara Gama est une véritable ambassadrice pour le développement du football féminin. En atteste le combat que la vice-présidente de l’AIC (syndicat des footballeurs transalpins, première femme à occuper ce poste) mène depuis des mois : celui de la conquête du statut professionnel. Ce dernier a, enfin, été entériné en mai : “Elle a eu un grand impact, elle s’est battue avec la fédération. Il était temps que le professionnalisme arrive et c’est ce qui s’est passé“, affirme Gaia Brunelli. D’après la journaliste de Sky, cette avancée laisse présager de nombreuses améliorations : “Cette mesure entraîne une plus grande protection des joueuses qui n’auront plus de contrats amateurs. Elles pourront avoir un salaire minimum équivalent à celui d’un joueur de Serie C et même négocier pour des montants plus élevés. Être professionnel est aussi une question de fierté pour ces filles qui ont tant galéré.”
Sa confrère, Lucia Pirola, complète : “Les féminines se verront garantir la reconnaissance de leur travail, une sécurité sociale et les protections d’assurance prévues pour les travailleurs. Je parle de leur droit à ne pas perdre leur emploi si elles tombent malades, ou enceintes. Il s’agit aussi de leur droit de ne pas être sans emploi une fois qu’elles seront à la retraite. Il faut également mentionner les faits économiques : il n’y aura plus de plafond salarial, le championnat pourrait être plus intéressant pour les joueuses de haut niveau.“
La détermination et l’engagement de Sara Gama justifient parfaitement son entrée au Hall of Fame du ballon rond italien. “Elle représente le nouveau chapitre du ballon rond féminin. Si l’on voulait faire une comparaison, elle est un peu comme Megan Rapinoe aux Etats-Unis.” assure Gaia Brunelli. À l’instar de la milieu de terrain américaine et d’autres sportives renommées, l’athlète italienne a d’ailleurs eu le droit à la création d’une poupée à son effigie.
Cependant, tout n’est pas parfait. Pour Lucia Pirola, il reste du chemin à parcourir : “On est encore loin d’une couverture décente. Et je pense aux médias traditionnels ou même aux gens ordinaires, qui 8 fois sur 10 pensent quelque chose comme « Le football féminin ? qui s’en soucie ? ». Donc oui, mieux que jamais, mais toujours très loin de la moyenne européenne.” Même son de cloche pour Gaia Brunelli : “Il manque des stades et des infrastructures, mais cela prend du temps. et avec un peu de patience, nous obtiendrons de grands résultats.” La commentatrice de Sky Sports estime que le pays est arrivé à un tournant : “Avoir atteint le professionnalisme est une étape importante. Maintenant, les clubs et les joueurs vont devoir s’installer dans les années à venir.“
Comme l’avance la journaliste, l’Italie pourra compter sur Sara Gama et sur les vocations qu’elle inspire pour mener à bien ces défis : “Chaque joueuse suit son exemple. Lorsqu’elle cessera de jouer, elle sera un excellent manager pour la fédération, j’en suis sûre.”
Crédit photo de couverture : Teknomers Nouvelles