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Gaëlle Thalmann, la Suissesse qui traverse le temps

A 36 ans, Gaelle Thalmann la gardienne des buts suisses est l’une des vétéranes de cet Euro. Elle est donc témoin d’un football féminin qui a énormément évolué et d’un passé désormais révolu. Plongeon dans la carrière d’une voyageuse du football.

Une gardienne qui sait se créer des opportunités

A Bulle, où Gaelle Thalmann commence à jouer au football, «  lorsque l’on était enfant, on jouait soit au hockey, soit au football ». Avec ses amis, la question du sexe ne se pose pas, garçons et filles jouant ensemble sans soucis. L’histoire veut que la Suissesse se décide pour le football. En effet, son père reprend une équipe junior. Elle débute donc avec des garçons sous le regard de celui-ci. Au départ, elle est plutôt placée en attaque, mais a le mauvais réflexe pour ce poste de toujours revenir défendre. Elle profite donc du départ du gardien pour se proposer en tant de remplaçante et cela prend très rapidement.

« Lorsque notre gardien a voulu arrêter, je me suis proposée pour le remplacer. Même si mon entraîneur de l’époque, mon père, n’était pas très chaud, on a essayé ainsi et ça a bien marché. »

Après cinq ans à jouer dans le club de sa ville, elle se retrouve dans sa première équipe féminine à 14 ans. Il n’est en effet plus possible de jouer avec les garçons à partir de cet âge là. A l’époque, elle juge sévèrement le niveau du championnat, après plusieurs années dans les catégories masculines. Elle est alors en dernière division suisse, élément dont elle n’a pas connaissance et ignore qu’il existe des catégories d’un niveau supérieur. En effet, les informations sur l’organisation féminine étaient moins connues que celles sur les championnats masculins.

Gaëlle Thalmann a joué une saison à Hambourg, lors de ses premières saisons en Bundesliga

Lorsqu’elle rejoint un autre club d’un niveau supérieur deux plus tard, elle continue d’ailleurs de s’entrainer régulièrement avec les juniors de son club de Bulle. En effet, le FC Vétroz est à plus de deux heures de Bulle où elle continue d’habiter.

Son talent est vite remarqué et elle rejoint à 17 ans son premier club de première division suisse : le FC Rot-Schwarz Thoune. Elle n’y joue que pendant une demi-saison suite à une rupture des ligaments croisés. A la fin de la saison, le club est relégué. Malgré sa petite taille pour une gardienne (1m70), elle s’est montrée dans son championnat. Dès l’année suivante, elle rejoint donc le FFC Zuchwil 05, vice-champion en titre. Elle y découvre l’Europe et ses premiers succès avec une victoire en coupe et une deuxième place au championnat en 2006. Cette équipe qui joue le haut de tableau entre 2004 et 2008 est désormais dissoute. Cela a fait suite à sa relégation en 2011. Après deux saisons au sein de celle-ci, elle décide de mettre les voiles pour un troisième club, le FC Lucerne. C’est le troisième d’une longue série.

Une vadrouille à travers le temps et l’Europe

Au cours de sa carrière, Gaelle Thalmann a beaucoup voyagé. En effet, elle est passée par 15 clubs différents. Elle a également visité quatre pays. Depuis ses débuts dans sa première équipe féminine à 14 ans, elle n’a jamais passé plus de deux saisons dans un même club. Elle est même spécialiste d’y passer une unique saison. Sur les quinze, seuls quatre clubs ont réussi à la conserver plus d’une saison. Des choix souvent guidés par une envie de découvrir des clubs plus forts, de s’améliorer et d’avoir du temps de jeu. Certaines décisions ont été prises pour aller dans des clubs de niveau supérieur. D’autres lui permettent de s’assurer d’avoir un poste de gardienne numéro un. C’est notamment le cas suite à ses graves blessures.

«  J’ai pas mal bougé, ça dépendait des blessures et de l’envie de jouer en Ligue A, mais c’est surtout le désir de progresser qui m’a guidée. Chaque fois que j’ai changé de club, c’était vraiment pour franchir un palier. »

Après ses trois expériences en Suisse, elle se dirige vers l’un des clubs phares d’Europe : le Turbine Potsdam en Allemagne. Ce club a alors la particularité de profiter de son passé pré-réunification allemande. Alors que le sport était un vecteur de puissance en Allemagne de l’Est, le football féminin y était bien développé. La RDA compte des championnats régionaux dès 1968 et un championnat national depuis 1979. Mais surtout, le pays a mis des moyens dans les clubs pour qu’ils s’améliorent et brillent par la suite à l’international, comme c’était le cas dans les autres sports. Le Turbine Potsdam est d’ailleurs l’unique équipe d’ex-RDA ayant réussi à remporter un titre en Allemagne réunifiée, tous sports confondus.

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Pour rejoindre ce club, elle tente le tout pour le tout et envoie un e-mail au club. Il lui propose alors un essai, comme elle le raconte : « J’avais vu que la gardienne Nadine Angerer partait, j’ai tenté ma chance. On m’a invitée à faire un essai, et ça a passé… » Une méthode qui ne fonctionnerait certainement plus de nos jours, où les transferts des femmes sont de plus en plus cadrés. Elle découvre alors la joie d’un contrat professionnel et un rythme d’entrainement bien différent de ceux auxquels elle avait pu être habituée. Cela lui permet de progresser rapidement et de découvrir un club où tout est fait pour performer. Au sein de cette équipe, elle remporte le championnat d’Allemagne.

En parallèle, elle y termine ses études en histoire et germanistique, effectuant un semestre à l’université de Potsdam. A l’époque, les contrats professionnels sont encore plus rares qu’ils le sont désormais, et il est indispensable de préparer son futur. Elle doit alors se battre pour réussir à allier les deux. « Aujourd’hui, il existe des formations adaptées mais moi, je n’ai pas eu cette chance. Ce n’est pas grave, ça m’a appris à m’organiser. Et puis certains de mes profs étaient assez compréhensifs », raconte-t-elle. Elle ne s’est pour l’instant pas servie de son master finalisé deux ans plus tard à l’université d’Hambourg.

Gaëlle Thalmann sous les couleurs du FC Bâle lors d’un match de coupe face au FC Givisiez en 2015 (Alain Wicht/La Liberté)

Alors uniquement gardienne numéro deux, elle décide de rejoindre le Hambourg SV dès la saison suivante. Mais avec des contrats moins sécurisés que chez les hommes, elle voit son contrat être dénoncé après une blessure en deuxième partie de saison. Elle retourne alors en Suisse à Grasshopper, puis retrouve la Bundesliga au Lokomotiv Leipzig. Torres Calcio, Duisbourg, Bâle, Fiorentina, Vérone, Mozzanico, Sassuolo, Servette et Real Betis sont les autres clubs où elle pose ses bagages. Avec le club suisse de Servette, elle remporte d’ailleurs leur premier championnat de Suisse.

Le parcours de Gaëlle Thalmann est intéressant. En effet, il montre l’évolution des clubs leaders des différents championnats sur les deux dernières décennies. Parmi les quinze équipes de premières divisions dont elle a protégé la cage, 5 ont été dissoutes suite à des problèmes économiques ou des choix de clubs. Une seconde partie était à l’époque des clubs exclusivement féminins qui ont été récupérés et intégrés à des clubs de 1ère ou 2ème division masculine par la suite. Cela montre la précarité de bien des équipes qui ont eu à faire face à l’arrivée des équipes féminines rattachées à des clubs masculins. Avec beaucoup plus de moyens, ceux-ci sont petit à petit en train de remplacer les clubs jadis leaders du football féminin.

Une carrière pleine malgré les blessures

La carrière de Gaelle Thalmann est longue et couronnée de succès. Néanmoins, elle aurait pu prendre une toute autre direction. En effet, celle-ci s’est à deux reprises rompu le ligament croisé. La première fois, elle a alors dix-sept ans et vient de signer à Thoune. Elle se le rompt une seconde fois en 2014. Elle évolue alors au MSV Duisbourg en Bundesliga. Cette blessure bien que connue et redoutée par les pratiquants du football l’est d’autant plus chez les féminines. En effet, les femmes sont dans une situation plus à risque vis-à-vis de celle­-ci et en tant que gardienne, avec deux ruptures, elle représente particulièrement bien ce qu’il se produit régulièrement sur les terrains.

Cette propension à être plus à risque est d’ailleurs assez contradictoire avec le choix de la Nati de jouer quasi exclusivement sur terrain synthétique. En effet, cela accroit le risque de blessure, à cause d’un terrain plus dur.

Ces longues blessures ont eu des gros impacts sur sa carrière. En effet, la non professionnalisation des équipes féminines a des conséquences sur sa carrière au moindre pépin physique, mais également sur son salaire. « J’ai déjà vécu des moments difficiles. Par exemple, lorsque mon club italien de l’époque ne payait plus les salaires, qu’il n’a d’ailleurs toujours pas réglés. Ou lorsque je me suis déchiré les ligaments croisés la saison dernière. Étant donné que l’assurance ne me versait qu’une partie de mon salaire, j’ai dû me serrer la ceinture. » C’est d’ailleurs uniquement lorsqu’il est question de qualité de vie qu’elle regrette de ne pas avoir tenté de faire carrière dans le tennis (à 16 ans, Gaëlle Thalmann était la 63ème suisse).

En fonction des clubs et des pays, elle enchaine contrats pro ou non. Ainsi à Servette entre 2019 et 2021, elle travaille en parallèle : « J’ai des défraiements. Par contre, je travaille pour Servette au département communication. Je gère le site et les réseaux sociaux en allemand. J’entraîne aussi les jeunes gardiennes. Je suis à la fois joueuse et employée. C’est cela qui me permet de vivre. »

Gaëlle Thalmann a joué deux saisons au Servette FC (Pascal Muller/Freshfocus)

Malgré ces accros, Gaëlle Thalmann reste un élément phare de la Nati. Avec 98 matchs joués, elle est l’une des joueuses les plus capées de celle-ci et l’une des plus vieilles joueuses aux côtés de Ramona Bachmann. L’actuelle attaquante du Paris Saint-Germain a d’ailleurs fait ses débuts la même année que la portière.

Très communicative et replaçant beaucoup sa défense et le reste de l’équipe, son impact est loin d’être uniquement celui d’éviter que le ballon entre dans son but. De l’avis de son entraineur Nils Nielsen à quelques mois des matchs de qualification à l’Euro, elle rend toute l’équipe meilleure : « Sur une échelle de 1 à 10 ? Alors c’est un 10. Gaëlle amène une grosse expérience, qui peut être décisive dans les matchs importants. Elle communique aussi beaucoup et rend grâce à ça ses coéquipières et toute l’équipe meilleure. » Et il ne s’y trompe pas. En effet, la Suisse doit sa participation à l’Euro 2022 en partie à sa gardienne, auteure de deux arrêts décisifs lors de la séance de tirs au but.

Ce soir, face aux Pays-Bas, elle essayera de prouver une nouvelle fois qu’elle est l’une des joueuses indispensables à l’équilibre de l’équipe suisse. Même si la qualification semble compliquée, tout reste à jouer dans le groupe C où les Pays-Bas et la Suède, actuels qualifiés virtuels, peuvent être sortis en cas de victoires du Portugal et de la Suisse par plus d’un but d’écart. Après un nul face au Portugal (2-2) et une défaite face à la Suède sur une petite marge (2-1), l’équipe a encore ses cartes en main face aux championnes d’Europe en titre. Une qualification lui permettrait de profiter un peu plus longtemps encore de l’ambiance qu’elle n’avait pas à ses débuts, il y a quasiment 20 ans, comme elle le dit : « Nous avons attendu longtemps avant de pouvoir jouer dans des stades pleins avec une super ambiance. Je me réjouis de pouvoir vivre cela. »

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