“Bibi est un modèle sur le terrain pour ses qualités d’arbitre, mais aussi par son engagement. Quand on est une pionnière, surtout dans un rôle traditionnellement réservé aux hommes, il faut une force incroyable pour croire en soi malgré tous les obstacles et les préjugés”. Les mots de Kari Seitz, responsable de l’arbitrage féminin à la FIFA, témoignent de toute la considération accordée à Bibiana Steinhaus par la planète football. Et plus encore : en ouvrant une brèche dans un milieu traditionnellement masculin, l’arbitre allemande est devenue une figure de l’évolution féministe du ballon rond.
D’un uniforme à l’autre
Pourtant, “Bibi” ne s’est pas toujours imaginée sifflet à la main. Enfin, pas forcément ce sifflet-là. D’abord joueuse, la native de Bad Lauterberg im Harz rêve de Coupe du Monde et de Nationalmannschaft. Elle comprend rapidement que, pour réussir, l’envie ne suffit pas toujours. Alors, dès ses seize printemps, elle se tourne vers l’arbitrage et officie en D3 féminine allemande pendant quatre saisons avant que son talent et sa naturelle autorité ne lui offrent une promotion. En 2007, à 28 ans, Steinhaus devient arbitre de Bundesliga 2 masculine et commence doucement à s’imposer comme une incontournable du football germanique.
Une nouvelle étape qu’elle ne traverse pas sans heurt. Malgré tous leurs efforts pour valoriser la place féminine dans ce sport, l’ombre du machisme plane toujours au-dessus de la DFB et de la FIFA. Et Steinhaus, pionnière de l’arbitrage dans un environnement (largement) dominé par les hommes, en a subi plus d’une fois les conséquences. La plus marquante d’entre elles se déroule un soir de novembre 2015, au cours d’une rencontre de Bundesliga 2 opposant le Fortuna Düsseldorf au FSV Francfort. Kerem Demirbay, joueur de Düsseldorf, après avoir reçu son deuxième carton jaune, assène à l’arbitre du jour : “Les femmes n’ont pas leur place dans le football masculin”. En réponse, le club impose à son joueur d’arbitrer un match d’une équipe féminine de la région, en plus des cinq matchs de suspension requis par la fédération.

En parallèle de sa passion pour l’arbitrage, “Bibi” arbore un tout autre uniforme. Fonctionnaire de police à Hanovre, elle est chargée de maintenir l’ordre aussi bien sur les terrains qu’en-dehors. Une profession qui a sans aucun doute grandement contribué à renforcer son autorité et son sens du dialogue sur le rectangle vert.
Pionnière en Europe
Steinhaus aurait pu poursuivre sa petite vie tranquille en Basse-Saxe. Fonctionnaire de police la semaine, arbitre en Frauen-Bundesliga le week-end. Mais l’épouse d’Howard Webb (arbitre de la finale de la Ligue des Champions et de la Coupe du Monde 2010) sent rapidement que sa passion pour le sifflet surpasse largement ses réticences à mener une vie d’arbitre professionnelle.
“Je n’ai jamais eu comme but de faire progresser l’émancipation des femmes, a-t-elle récemment confié à l’AFP, je fais juste ce que j’aime faire“
Bibiana Steinhaus
Sept ans après avoir découvert la deuxième division masculine, elle devient quatrième arbitre en Bundesliga. Une progression linéaire qui s’est faite en douceur. La Pokal a notamment été un bon tremplin pour la jeune femme. Cette compétition lui a permis de côtoyer pour la première fois le grand Bayern Munich, et de faire la connaissance d’un certain Franck Ribéry. Le Français s’est d’ailleurs amusé à défaire les lacets de la femme en noir avant de tirer un coup franc, suscitant une réaction mitigée chez les observateurs.
Jusqu’au grand jour. Le 10 septembre 2017, Bibiana Steinhaus devient la première femme à arbitrer une rencontre d’un des cinq grands championnats. Et pour cette rencontre entre le Hertha BSC et le Werder Bremen, la policière fait l’unanimité. Une rencontre maîtrisée de bout en bout, saluée d’ailleurs par l’ensemble des vingt-deux acteurs ainsi que par les entraîneurs. Mais là encore, sa prestation est loin d’être la seule à faire parler d’elle. Pensant bien faire, le Hertha a proposé au public des billets “Steinhaus” à moitié prix pour les femmes. Une initiative particulièrement sujette à polémique, qui n’a fait que renforcer la perception “exceptionnelle” de la présence d’une femme au centre du terrain.
Encore du chemin à parcourir
Pour certains, cette première affaire met surtout en lumière le machisme ambiant qui gangrène, encore aujourd’hui, le milieu du football. Et la suite ne fera que confirmer cette thèse. Par exemple, le 15 février 2019, les supporters iraniens n’ont pu suivre le match Augsbourg-Bayern depuis leur pays. La raison ? Bibiana Steinhaus, malgré elle. L’arbitre fut reconnue coupable d’être une femme ; un crime suffisamment grave pour priver les observateurs iraniens d’une affiche de Bundesliga. Malgré ces différents, la policière d’Hanovre a mené une carrière que beaucoup lui envient. Une carrière qui s’est terminée (en grande partie) en septembre 2020, avec une ultime rencontre entre le Borussia Dortmund et le Bayern Munich en Supercoupe d’Allemagne. “Bibi” n’est plus sur les terrains aujourd’hui, mais continue d’officier en tant qu’arbitre vidéo.

Si Steinhaus a dû affronter d’innombrables remarques sexistes et faire face à une multitude de comportements déplacés, elle a néanmoins permis à toute une génération d’arbitres d’émerger. En témoignent les six femmes présentes parmi les cent cinq arbitres sélectionné(e)s pour la Coupe du Monde au Qatar. Trois d’entre elles, dont la Française Stéphanie Frappart, feront d’ailleurs partie des trente-six arbitres de champ. Mais là encore, bien que ces statistiques révèlent des progrès encourageants, elles ne suffisent pas à endiguer totalement l’ultra domination masculine présente dans les stades, les instances ou les médias. Ainsi, les critiques subies par les arbitres féminines sont bien souvent beaucoup plus virulentes que pour leurs homologues masculins, et comportent régulièrement une certaine connotation sexiste ; preuve que le chemin reste long.

Retraitée il y a maintenant deux ans, “Bibi” a permis à toute la gente féminine d’accroître un peu plus sa légitimité dans un monde du football encore bien trop phallocrate. Par son talent, sa pédagogie et sa naturelle autorité, elle a également permis à l’Allemagne de devenir une nation pionnière en matière d’arbitrage féminin. Deutsche Qualität.