Sujet à une médiatisation précoce, Hannibal Mejbri est tout sauf un espoir déchu. Si le grand public a perdu sa trace, le milieu de terrain franco-tunisien se développe à Birmingham City (D2 anglaise), où Manchester United l’a prêté pour la saison en cours. Intelligent et déterminé, Mejbri sait où il veut aller. Disputant sa première Coupe du monde à seulement 19 ans, il a l’occasion de se révéler aux yeux du monde entier.
Hannibal Mejbri n’est pas un cadre de la Tunisie. Il n’est même pas un titulaire à part entière. Et pourtant, c’est vers lui que tous les yeux se posent. Sur le rectangle vert, sa silhouette longiligne et sa crinière ne passent jamais inaperçues. Très jeune, il attirait déjà le regard des recruteurs. Trop jeune, même, selon son père Lotfi Mejbri : « C’est un milieu très compliqué. Ce qui m’a choqué, c’est ce phénomène de gens malveillants qui gravitent autour du monde du football. Beaucoup de parents s’accrochent à leurs promesses. Heureusement, on a été très prudents », confiait-il à l’AFP. Les sollicitations ont commencé dès ses neuf ans, c’est finalement à 15 ans qu’Hannibal prend son envol. Il quitte son Île-de-France natale pour rejoindre l’AS Monaco.
Un talent à protéger
Le séjour du milieu de terrain en Principauté ne dure pas plus d’un an. Si, sur le terrain, les performances d’Hannibal sont convaincantes, de « profonds désaccords extrasportifs » le conduisent à réclamer son départ. Le dimanche 11 août 2019, Manchester United annonce avoir enrôlé le jeune espoir. Pour la coquette somme de 10 millions d’euros. Sur le Rocher, Hannibal aura laissé la trace d’un « 8 ou 10 très beau à voir jouer, une grosse activité avec une belle qualité technique, une bonne qualité de passe aussi. Bon tireur de coups de pied arrêtés. Il a les défauts d’un gamin de 16 ans, la régularité notamment, mais c’est un gros talent », décrit Samy, ancien rédacteur sur Planete-ASM.
Dans un club du calibre de Manchester United, les attentes sont élevées. Elles le sont d’autant plus qu’Hannibal débarque avec le statut d’espoir que son prix d’achat suggère. Un statut qui n’empêche pas le Franco-Tunisien d’être placé en couveuse, au sein des équipes de jeunes de MU. Il y confirme ses grandes qualités physiques et techniques et affiche un leadership qu’on ne lui connaissait pas encore. C’est simple : il fait l’unanimité.
En parallèle, l’international U16 et U17 français fait un choix important : il défendra les couleurs de la Tunisie. En juin 2021, le milieu de terrain fait ses premiers pas avec les Aigles de Carthage. Quelques mois plus tard, il participe à la Coupe arabe, qui a lieu un an quasiment jour pour jour avant la Coupe du monde au Qatar. La Tunisie se hisse en finale (battue par l’Algérie), menée par un Hannibal Mejbri devenu le leader technique de la sélection. Le droitier brille par son culot, sa présence aux quatre coins du terrain et se montre habile sur coups de pied arrêtés.
Revenu à Manchester, Hannibal trouve un club en pleine tempête. La crise sportive a eu raison d’Ole Gunnar Solskjær, remplacé par Ralf Rangnick sur le banc des Red Devils. Le nouveau technicien intègre Mejbri et d’autres jeunes joueurs aux séances d’entraînement du groupe professionnel. C’est au mois d’avril que le natif d’Ivry-sur-Seine fait ses débuts en pro. Et ce n’est pas dans n’importe quel contexte. Les Mancuniens sont menés 4-0 à Anfield. Le match a beau être plié, il se démène comme un beau diable, se bat sur chaque ballon.
À l’issue d’une saison que les pensionnaires d’Old Trafford terminent en roue libre, le jeune Hannibal se retrouve déjà à un carrefour de sa carrière. Sans doute trop tendre pour intégrer la rotation du nouvel homme fort Erik ten Hag, il doit pourtant s’épanouir à un niveau plus élevé que les compétitions de jeunes. Le FC Andorra, propriété d’un certain Gerard Piqué et promu en D2 espagnole, souhaite obtenir le prêt du joueur. United préfère le voir évoluer en Angleterre.
« But can he do it on a cold rainy night in Stoke ? » (pourrait-il le faire lors d’une nuit froide et pluvieuse à Stoke ?) Une phrase que l’on entend souvent outre-Manche quand un joueur réalise une action d’éclat sur un belle pelouse, face à une défense permissive. Les Anglais le savent : le Championship est laborieux, exigeant, difficile. Une bataille physique de tous les instants. Nombreux sont les joueurs à s’y être cassé les dents. Alors envoyer un gamin en prêt dans ce championnat, c’est un bon test pour savoir s’il est prêt pour le plus haut niveau. Du haut de ses 19 ans, Hannibal y fait bonne figure.
Intégré en douceur par le manager John Eustace, celui qui porte le n°6 compte 15 apparitions cette saison et ses huit titularisations ont eu lieu lors des neuf derniers matchs des Blues. Auteur de deux passes décisives, Hannibal Mejbri espère s’imposer comme un joueur clé de son équipe, qui pointe à la 13e place du classement et peut espérer mieux que le maintien pénible qu’elle a décroché ces dernières saisons. Pour l’anecdote, l’international tunisien regarde la série Peaky Blinders « pour mieux maîtriser l’accent local », comme il l’a confié à la BBC.
Un an après la Coupe arabe, Hannibal Mejbri est de retour au Qatar. Si la Tunisie aura du mal, cette fois, à se hisser en finale, elle ne se présente pas au Mondial en victime expiatoire. Pour rappel, elle fut la première nation africaine vainqueure en Coupe du monde, en battant le Mexique (3-1) dès son premier match en 1978. Éliminée au premier tour, elle quittait la compétition avec la meilleure défense (2 buts encaissés, comme l’Espagne). « Le tirage au sort du mondial du Qatar 2022 a placé la Tunisie dans un groupe difficile mais elle jouera avec l’objectif d’atteindre le second tour pour la première fois de son histoire », assure le sélectionneur Jalel Kadri.
L’homme providentiel ?
Pour remplir cet objectif, les Aigles de Carthage s’appuient sur leur défense hermétique (22 clean sheets sur les 47 derniers matchs) et leur fort contingent de joueurs binationaux. Le onze de Jalel Kadri s’articule autour d’une défense à trois axiaux, protégée par le tandem Laïdouni – Skhiri. Cette équipe, dont la cohérence tactique n’est plus à prouver, fait montre d’une vaillance et d’une intensité infaillibles. Néanmoins, la solidité du bloc tunisien n’empêche pas qu’il soit mis en fâcheuse posture. Il n’est pas à l’abri d’exploser face à une équipe qui joue vite vers l’avant avec des joueurs percutants. Le Brésil en a fait la démonstration en venant gifler la sélection maghrébine (5-1), fin septembre, au Parc des Princes.
Les inquiétudes résident davantage sur la capacité de la Tunisie à se montrer dangereuse balle au pied. Récemment, on l’a vue empruntée sur les phases de transition, manquant d’imagination à la récupération du ballon. Hormis Aïssa Laïdouni – élu meilleur joueur du championnat hongrois en 2021 avec Ferencváros – rare sont les joueurs capables d’accélérer le jeu. De toute évidence, les icônes Youssef Msakni et Wahbi Khazri n’ont plus leurs jambes de vingt ans et peinent à créer l’étincelle. Hannibal Mejbri et sa qualité technique pourraient apporter de la fluidité aux attaques tunisiennes. Surtout dans la mesure où Saîf-Eddine Khaoui, pourtant en verve au Clermont Foot, n’a pas été sélectionné.
« J’ai la confiance du sélectionneur et de toute l’équipe. J’espère pouvoir obtenir plus de minutes et montrer ce que je peux faire ici », déclarait Hannibal pour The Athletic. Dans ce souci d’apporter de la créativité et du liant, Jalel Kadri pourrait être tenté d’accorder un temps de jeu croissant à son jeune milieu. D’autant que dans ses causeries, le technicien ne manque pas de convoquer le champ lexical de la guerre. « Vous êtes des militaires […] des guerriers plein de fierté […] avec une mission à remplir pour le peuple tunisien ». Courageux, dur au mal, Mejbri porte les attributs que son prénom évoque. Hannibal (IIIe siècle av. J.-C.), héros de la civilisation carthaginoise, était un illustre général.
Combatif, agressif, le Franco-Tunisien doit encore apprendre à se canaliser. Son manque de discipline lui coûte de nombreux cartons jaunes évitables. Un défaut qu’il lui faudra corriger. Cela n’efface pas sa capacité à dynamiser une rencontre par sa seule présence. En position de n°10 comme en relayeur, il couvre une surface ahurissante, se démultiplie et n’hésite pas à aller au duel. Mejbri dégage un alliage de fougue et d’élégance peu répandu. Brillant dans la conservation du ballon, il sait se muer en chef d’orchestre et dicter le jeu depuis des zones plus reculées, où sa justesse technique fait des merveilles. Ce qui conduit Mohamed Slim Ben Othman, directeur sportif de la Fédération tunisienne, à le comparer à Luka Modrić. Rien que ça.

L’impression visuelle qu’Hannibal laisse vient cependant se heurter à la réalité statistique. Les données du site fbref.com viennent appuyer là ou ça fait mal. Mejbri n’a encore jamais trouvé le chemin des filets en professionnel et ça n’a rien d’un hasard. Avec 0,03 xG (expected goals) par 90 minutes, il est dans le 28e centile à son poste, c’est-à-dire que 72 % des milieux de terrain d’Europe font mieux que lui. Pire, son nombre de tirs (0,47) le situe dans le 14e centile. Par ailleurs, avec 0,35 duels aériens gagnés, il se place dans le 8e centile. Vu son gabarit (1,77 m et 69 kg), il doit pouvoir faire mieux. Il convient toutefois de tempérer. À 19 ans, Hannibal Mejbri n’est pas un produit fini et ses performances en club, sans être excellentes, restent honorables. Il n’est pas interdit de penser que le Championship, en dehors du “Big 5” est la ligue la plus relevée d’Europe. C’est un niveau qu’il découvre.
Talentueux et travailleur, Hannibal Mejbri a toutes les cartes en main pour concrétiser sa marge de progression et confirmer les belles promesses déjà entrevues. Avant de passer un palier en club, le jeune milieu a déjà l’occasion de briller en sélection. La saisira-t-il ?