Marc-Angelo Soumah est un homme occupé. En plus de ses activités de consultant (BeIn Sports) et de coordinateur offensif (Équipe de France de football américain), l’ancien joueur s’est aussi reconverti en General Manager. Il est ainsi à la tête des Paris Saints, première équipe française professionnelle de Football US, nouvelle venue dans l’European League of Football. Soumah nous a accordé un entretien pour revenir sur la création d’une franchise, les contours de son travail et les enjeux qu’il perçoit autour de ce projet.

Comment s’est passé la création + devenir GM ?
Au moment de la création de la ligue par Patrick Esume, que je connais très bien, m’appelle pour me demander de créer une équipe à Paris. Donc on a commencé à travailler pour mettre en place la structure de ce projet d’équipe. Ça se passait très bien, mais on avait besoin d’investisseurs pour aller plus loin. On n’en a pas trouvé en France, finalement ce sont des américains qui se sont manifestés.
Est-ce que tout ça fait partie de votre rôle, en tant que GM ?
Disons que je ne suis pas juste GM, je suis aussi propriétaire et gestionnaire, aux côtés de Frantzy Dorlean. Par rapport au rôle de GM en NFL, j’ai plus de casquettes à endosser. Ce qui est intéressant, c’est de monter des partenariats avec d’autres structures. Cet aspect gestion de contrats, rapport avec les investisseurs, gestion administrative et juridique, ce sont des choses que je faisais déjà tout au long de mon expérience. Maintenant, j’y ajoute juste le côté football puisque c’est quelque chose que je connais.
Ça fait beaucoup de travail…
En effet, mais c’est tellement excitant. Parce qu’on crée quelque chose de nouveau, quelque chose de jamais vu en France. Des ligues privées, en Europe, il n’y en a pas beaucoup. Il y a le basket et l’Euroleague, mais qui est liée au championnat de France à côté. Nous, on est vraiment à côté. C’est un peu comparable au Super Eight que le football voulait monter. Nous on peut le faire, notamment parce que c’est du foot US, pour deux raisons :
Premièrement : Etant donné que la plus grosse ligue c’est la NFL, qui est privée, il y a cette connotation qui va avec le sport.
Deuxièmement : On n’est pas un sport majeur… Et on a vu que le système montrait ses limites vis-à-vis d’autres sports mineurs. Nous, on teste une nouvelle façon de faire les choses. Au final, on est un laboratoire. On tente quelque chose : on fait la synthèse entre les modèles américain et européen, et on verra ce qu’il en sort. On va voir ce qui va marcher, pas marcher, et les autres pourront s’en inspirer. C’est ça qui est excitant : créer quelque chose de nouveau. Surtout qu’on l’a vu en France, en ce moment, avec l’ANS, les JO… on essaie de trouver un nouveau modèle sportif. Et qui sait, peut-être que c’est notre manière de faire qui peut apporter une solution…
La NFL suit un peu ce qui se passe en EFL ?
Oui, pas directement, mais ça les intéresse, ils sont curieux de voir comment se passe le lancement d’une nouvelle ligue. Surtout qu’ils sont de plus en plus présent en Europe, donc ils y suivent le développement du sport.
Peux-tu me parler de la construction du staff ?
Notre head Coach c’est Marc Mattioli. Il a travaillé en Allemagne et en Italie, et auparavant à l’université de Vanderbilt. Donc il a une visibilité sur le football européen, ce qu’on voulait absolument. Il a recruté des coaches américains, mais à terme on aimerait intégrer des coaches français dans le staff, pour valoriser notre identité. On souhaite faire ce mariage Américain/Français pour se donner les meilleures chances de réussite et fonctionner de manière professionnelle avec des coaches français qui vont pouvoir monter en compétence. L’idéal étant qu’on finisse à un moment avec des coordinateurs offensifs/défensifs français.

Justement, vous avez recruté des joueurs européens et américains notamment. Comment cela se passe-t-il vis-à-vis de la barrière de la langue ?
Pour l’instant ça va. On n’a pas encore commencé les activités. Les Français vont arriver d’ici février/mars et on aura tout le monde en début mars. Bien entendu, avec un HC américain et des joueurs américains, ce sera un peu la tour de Babel. La majorité des joueurs sont français, il y a 10 européens, dont certains parlent déjà bien français. On est obligés de fonctionner un minimum en anglais. Mais à un moment, tu es en France, tu dois t’ajuster… Alors si tu es un QB qui vient pour une seule année, ce sera parfois difficile, mais au final la franchise fonctionnera en français.
Vous l’avez dit précédemment, tu travailles sur beaucoup de choses à la fois. Concernant la partie sportive, est-ce qu’il y a quelqu’un qui vous assiste sur la construction de l’effectif ?
Le head coach et moi. On est tous les deux dessus. Il a une bonne visibilité du football, forcément, moi aussi, donc on fonctionne à deux.
En NFL, il y a la draft, la free agency, et les équipes connaissent très bien tous les joueurs, le cercle est « fermé ». Très grand, certes, mais fermé. Pour une ligue émergente comme l’ELF, on imagine qu’il est déjà plus ouvert. Comment se passe le recrutement dans ces conditions ?
Déjà, on profite de la présence de John McKeon, qui gère le site American Football International. Lui, il voit tous les joueurs. Marc Mattioli a une très bonne connaissance des joueurs en Europe, et moi, j’ai une bonne connaissance des joueurs en France ! Je les vois soit sur l’EdF, soit sur le championnat français. Et cela constitue la grosse majorité de l’équipe. Donc finalement, le roster a été assez simple à connaître.
Le roster est fini ?
Quasiment. Mais il n’a pas été si compliqué que ça à construire en fait. On connaît les gens. On sait qui est qui, qui fait quoi, et on les a déjà évalués. On les a déjà coachés même !
Mais il y a déjà 12 équipes existantes qui sont déjà formées. En tant que nouvelle équipe arrivante, n’avez-vous pas eu de soucis vu que tous les joueurs avaient déjà trouvé leur place ?
Là où c’est particulier, c’est que la franchise se base beaucoup sur les nationaux. Chaque équipe a le droit à 4 Américains et 6 Européens sur un effectif de 60. Donc il y a encore un gros bassin dans lequel on peut piocher. Et puis surtout, les quelques Français qui jouaient déjà à l’étranger sont très excités à l’idée de rentrer jouer à Paris. C’est une vraie opportunité pour eux de représenter leur équipe.
C’est une vraie différence avec la NFL du coup : cette attache régionale.
Exactement ! En NFL, tu ne choisis pas où tu es drafté. Les Joe Burrow sont rares en NFL. Nous, les mecs ont cette attache. Il y a des exceptions, on a un salary cap, certains joueurs sont très bien à l’étranger. Mais la majorité, on savait déjà qui allait nous rejoindre. Après, on a aussi organisé des workouts, parce qu’il faut toujours laisser la chance aux gens, tu peux toujours te faire surprendre. Même moi, qui ai coaché et évalué la plupart des joueurs, fait des cliniques et des camps à travers la France, j’ai découvert des joueurs. Mais dans l’ensemble, on savait qui allait composer notre équipe, en majorité.
Est-ce que ça, vous le saviez avant de choisir le coach, ou est-ce que c’est avec le coach que vous avez choisi ?
Non, c’est avec le coach qu’on a décidé, même si encore une fois on savait d’entrée où on allait. Et malheureusement… Ou heureusement, la France est un gros pays de formation mais elle n’a pas 150 000 joueurs qu’on peut scouter, on a un bassin limité. On découvre toujours un ou deux joueurs qui ont disparu et reviennent après des parcours à l’étranger, mais ce sont des exceptions.
Les deux premiers joueurs qu’on a annoncé étaient Mamadou Sy et Mamadou Doumbouya. Ces noms-là, on savait dès le début qu’on les voulait. Au début de la liste, tu commences par construire ton équipe avec les lignes, et leurs noms étaient en haut. Le challenge c’est plus de découvrir et mettre dans de bonnes conditions le fond du roster, sinon le haut du roster c’est très facile.

D’ailleurs, quelles sont les règles de construction du roster en ELF ?
On a un groupe de 60, avec des limitations sur le nombre de joueurs que tu peux mettre sur la feuille de match. Ce qui équivaut en NFL à un Practice Squad.
Et du coup, les autres équipes peuvent venir piocher dans ton Practice Squad ?
Non, non ! Ils sont chez nous, ils sont protégés. Il y a pas cette mobilité aussi facile qu’en NFL. Il faut pas oublier qu’il y a cette règle du nombre d’Européens. Donc si tu signes un Européen, c’est pour qu’il joue. Tu ne vas pas aller chercher un joueur d’un PS pour le mettre sur ton PS et perdre une place de non national. Ou alors c’est que tu détectes un potentiel fantastique à développer… Il y a différentes stratégies.
Justement, tout à l’heure vous disiez que chaque équipe a le droit à 4 Américains. Votre QB est américain. En admettant que les joueurs américains sont mieux formés, est-ce que tu cibles certains postes jugés plus importants pour y choisir un Américain ?
Oui, totalement. Tu les cibles non seulement par rapport à l’importance qu’ils ont dans le football actuel, mais aussi par rapport à la population nationale. En France, on manque de « gros ». En Allemagne, ils en trouvent plus facilement par exemple, parce que la population contient plus de costauds. Pareil pour la Norvège. Par contre, si tu vas en Espagne, ce sera plus difficile de trouver des joueurs de ligne. Et donc rien qu’à ça, tu sais comment tu vas construire ton équipe, et donc où tu vas cibler des Européens et des Américains. Typiquement, il y a pas beaucoup de QB européens capables de jouer au niveau des Américains. Donc c’était un peu évident qu’on allait en chercher un.
Au-delà de ça, quand tu amènes un mec de l’étranger, tu veux que ce soit un moteur de ton effectif. On a besoin qu’il apporte quelque chose sur le terrain ET dans sa manière d’être. Après, je considère que dans une équipe européenne, le cœur de l’équipe ce sont les nationaux. C’est comme ça. Si une équipe compte sur des Américains pour être les leaders, pour moi cela revient à donner les clés de sa maison à quelqu’un d’autre. Ça peut très bien se passer, ou non. Tandis que quand tu as un bon groupe de Français à la manœuvre, pendant 5-10 ans tu vas rouler.
Donc pour les Américains, on a priorisé par rapport aux postes les plus importants (CB, WR, pass rushers et CB) ET par rapport aux spécificités de la France.
Le travail du head coach, ce sera d’adapter ses schémas, ou est-ce que vous avez recruté pour correspondre au fit avec ce qu’il voulait ?
On a recruté par rapport au talent qu’on a. Et ça, c’est une vision qu’on avait avant même le recrutement du head coach. On pouvait pas recruter quelqu’un qui a un système qui correspond pas à ce que tu as à la maison.
Donc vous saviez ce que vous voulez chez votre head coach ?
Voilà, parce qu’on sait quelles ressources on a en France. Si tu as beaucoup de DB et peu de « gros », on doit avoir un jeu qui aille avec. Notre point fort en France, c’est la vitesse. C’était ça le cœur des discussions, c’était de se dire : « Voilà ce sont on dispose ». C’est pour ça que c’était important d’avoir un coach familier avec l’Europe. Marc savait déjà ce qu’on avait en France, donc ça s’est fait tout naturellement. Pour nous, l’identité culturelle c’est très important. Aux États-Unis, ils peuvent recruter tellement de joueurs qu’ils peuvent adapter leur effectif en fonction de leurs schémas. Si on avait pas les restrictions de nationalités, là on pourrait aller chercher dans le pool et faire ce qu’on veut.
Là ce n’est pas le cas, tu dois t’appuyer sur les forces de tes nationaux, et en France c’est la vitesse. Donc il a fallu qu’on choisisse un entraîneur qui joue comme ça. Et ensuite, il a pu faire ses choix entre certains joueurs, affiner les profils. Donc tout cela n’a pas été simple, mais plutôt « évident » parce que ça s’est imposé à nous. On veut être sincère et culturellement on veut montrer ce que nous sommes. Je prends exemple sur les Japonais, qui eux aussi sont très axés sur la vitesse et sont excellents. On veut être comme ça et mettre en avant notre identité.
Est-ce qu’il y a des inspirations tactiques en NCAA/NFL ?
Non, pas nécessairement. Déjà, on en saura plus quand le coordinateur offensif arrivera. Ce qu’on voulait, c’est qu’on ait des gens qui correspondent aux principes et laisser le head coach et le coordinateur offensif faire ce qu’ils jugent le mieux pour les détails. Mais pour l’instant, on a pas de « tampon » par rapport à une philosophie américaine de jeu.
Tu sais comment la Russie a tout dominé en hockey pendant les années 70-80 ? Ils ont pris un mec qui connaissait le hockey mais qui n’était pas vraiment dedans. Les politiques de l’époque lui ont demandé de créer une sélection qui serait la meilleure. Il leur a demandé des cassettes pour voir comment jouent les autres. La réponse qu’on lui a donné c’est : « Tu ne regarderas aucune cassette des autres, tu vas créer notre style ». Et en effet c’est ce qu’il a fait, il a créé un style qui a dominé pendant deux décennies. Un style qui correspondait à leurs athlètes et à leur identité.
Et c’est ce que vous voulez faire ?
Non, on pourra pas le faire directement, ça prendra du temps, mais dans quelques années, oui. On n’est pas américains, on n’est pas la NFL. On veut faire du Paris, de la France. C’est hyper important pour nous, d’aller au bout de nos idées. On le fait par rapport à la franchise, la structure, mais on veut pousser ça jusqu’au terrain. On veut créer notre identité. Ou plutôt on veut créer notre style qui correspond à notre identité.
Pour terminer, quels sont les objectifs pour cette saison ?
Au niveau de la structure déjà, on veut respecter nos engagements d’excellence. Ca veut dire qu’il doit y avoir un fonctionnement optimum. On sait qu’il y aura des loupés en première année, c’est notre capacité d’adaptation qui sera primordiale. Il faut que les joueurs aient cette expérience professionnel et qu’ils soient à l’aise, qu’ils n’aient pas à penser à quoi que ce soit d’autre. Au niveau sportif, on a le groupe qu’il faut, on a le coaching staff qu’il faut. Maintenant, on veut pas être trop gourmand. On a un groupe difficile, mais une petite participation en playoffs, on aimerait bien !
Déjà, on veut bien jouer. Il faut qu’on ait cette efficacité, qu’on montre qu’on est une bonne équipe, solide.