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Frédéric Vasseur : « Le titre est la seule alternative ! »

Personnage emblématique de la F1 et de la course automobile, Fred Vasseur s’est imposé dans le paddock grâce à une personnalité et un profil atypique. Après des aventures dans les catégories inférieures, un court passage chez Renault F1 et cinq années passées à développer la petite écurie Sauber, voilà le Français aux manettes de la mythique Scuderia Ferrari. La meilleure opportunité pour ce grand compétiteur d’aller chercher ce dont tout le monde rêve, le titre en F1 ! Retour avec lui sur son parcours, ses différentes vies, et ses attentes vis-à-vis de ce nouveau défi…

On parle beaucoup de votre état d’esprit compétiteur, fondamental dans le monde du sport automobile, est-ce quelque chose qui vous anime depuis toujours ?

Je suis compétiteur dans tout ce que je fais ! Que je joue au baby-foot ou quand on parle de sport auto, je pense que c’est simplement un état d’esprit. Je n’ai pas eu cette vocation de la course quand j’avais 3 ans, ce n’est pas mon père qui était tombé dedans, il n’y connaissait rien ! Mais je me suis assez vite tourné vers ce milieu, j’ai commencé le kart à 9 ans et c’est venu comme ça. Ensuite pendant mes études je suis revenu à la course et c’était parti.

Chez ASM puis ART, vous avez fondé de véritables machines à gagner, qu’est-ce que ce temps passé dans les formules de promotion vous apporte aujourd’hui ?

Une des qualités que j’ai par rapport à certains de mes acolytes, c’est que j’ai fait tous les métiers de la course, de mécanicien à ingénieur en passant par conducteur du camion ! Je pense que c’est une force dans tes relations humaines avec les gens, parce que tu te rends compte des galères, de ce que sont les contraintes, et c’est un avantage. Gagner en F3, en F2 ou en F1, c’est la même chose. Gagner dans ces disciplines juniors m’a permis de comprendre pourquoi on gagnait, quelle était la valeur ajoutée du pilote dans ces circonstances-là, quel était le comportement du pilote quand tu avais un grand champion. Ca a forcément été formateur sur le côté « comment on apprend à gagner ? ». Les efforts qu’il faut faire pour gagner, quelle que soit la discipline, sont les mêmes.

Frédéric Vasseur avec Lewis Hamilton, qui deviendra champion de GP2 Series en 2006 avec l’écurie du Français.

La F1 était-elle déjà dans un coin de votre tête ?

Non la F1 n’était pas du tout un objectif à cette époque. Je suis toujours resté concentré sur ce que je faisais à l’instant T, et je ne me projetais pas dans la discipline du dessus à court terme. Quand je faisais de la Formule Renault je ne pensais pas à la F3, je pensais à gagner en Renault ! Et je pense que cela m’a permis de vivre ma vie et mes projets, sinon je serais resté frustré pendant 15 ans si je ne voyais que par la F1.

Outre ces catégories jeunes, vous vous êtes implanté comme un personnage central du sport automobile du fait de votre implication dans différentes compétitions, comme la Formule E, à travers votre entreprise Spark…

Le fait d’avoir différentes vies, surtout dans notre milieu très concurrentiel, pousse tes adversaires à trouver des raisons de te mettre des coups de couteaux dans le dos. On m’a souvent reproché de faire trop de choses par le passé, mais ce n’est pas vrai ! J’ai eu beaucoup d’expériences, toutes différentes, mais je n’ai jamais fait trop de choses en même temps. Et le fait d’avoir pu connaitre toutes ces expériences est très formateur. Chaque challenge a ses particularités, ses problèmes, sa construction, et je trouve que c’est hyper enrichissant humainement de voir des mondes complètement différents comme la Formula E, la Formule Renault, la F1… Ca fait partie de mon bagage !

Avec le recul, comment analysez-vous ce court passage comme directeur de la compétition chez Renault (devenu Alpine) en 2016, qui faisait son retour dans la catégorie reine ?

Je pense que cela fait encore partie de ma formation. Forcément d’un côté c’est un échec, je n’y allais pas pour rester un an ! J’avais de l’ambition, je venais pour réussir quelque chose, mais au bout d’un temps assez court je me suis rendu compte qu’on n’y arriverait jamais. J’ai préféré partir, j’ai assumé mes positions et mes décisions, mais je pense que cela a tout de même été une bonne formation. J’ai à nouveau pris en expérience, et aujourd’hui, quand j’arrive chez Ferrari, je sais ce que je veux, ce que je ne veux pas, et je me sers de ce passé.

Frédéric Vasseur et Cyril Abiteboul chez Renaut F1 en 2016. Crédit : Renault Sport F1

S’en est suivi un bail de 5 ans chez Sauber, durant lequel vous avez activement participé au développement et à l’amélioration de la performance de l’écurie, quel bilan tirez-vous de cette période ?

Sauber a été une magnifique expérience ! Quand je suis arrivé on était 270, dixième au championnat, et on perdait 120 millions d’euros par an… Cinq saisons plus tard, on n’était pas loin d’être « break-even » (équilibre du budget), on termine sixième au championnat et avec 500 personnes à l’usine ! Sur tous les points, je suis très fier du bilan que je tire de Sauber, et je pense que cela vient aussi de l’expérience que j’ai accumulé au fil des années, notamment chez Renault !

On partait de tellement loin, même si à des moments tu as des petites périodes de flottement, comme en 2021 ou on ne fait pas mieux qu’en 2020 (9e contre 8e la saison précédente), il y avait des bonnes raisons derrière. Il n’empêche que la société et l’équipe étaient dans une phase de progression et de renforcement. On est toujours allé dans le bon sens, après forcément les résultats sportifs dépendent du moteur, des pilotes, etc., donc il ne faut pas uniquement se focaliser sur ces aspects.

En arrivant chez Ferrari, vous pouvez légitimement prétendre d’aller décrocher un titre mondial, est-ce que cela rajoute une certaine pression ?

Mon but en F1 c’est de gagner ! Et gagner avec Ferrari, avec tout ce qu’il y a autour, c’est le plus beau des challenges, le plus beau des projets. Il n’y a pas de pression particulière, mais on se doit de toujours avoir des objectifs ambitieux. Quand tu es chez Sauber et que tu dois finir 6e , c’est très ambitieux. Il faut toujours faire le parallèle, des fois je suis beaucoup plus content de moi quand on fait P8 en qualif’, que Toto (Wolff, directeur de Mercedes) quand il fait la pole (rires).

Frédéric Vasseur avec son ami et homologue chez Mercedes, Toto Wolff.

Ce qui conduit la pression que tu te mets, ou que tu as, c’est ce que tu fais en fonction des objectifs que tu t’es fixé. Le plus gros cas de pression en F1 a pour moi été quand Manor jouait sa survie, et que, parce qu’ils n’arrivent pas à scorer de points au Brésil, ils déposent le bilan. Je pense que c’est beaucoup plus de pression que de savoir si tu vas finir 1er ou 2e du championnat ! Il faut relativiser les choses, on fait de la course c’est un métier fabuleux, bien sûr que j’ai de la pression, mais c’est aussi parce que je me la mets, et que je suis exigeant avec moi-même.

Même si les images qui restent de la saison 2022 de la Scuderia sont les multiples erreurs qui ont pesé lourd dans la balance en fin d’année, vous récupérez un outil qui a terminé dauphin de Red Bull au constructeur, et qui a permis à Charles Leclerc de finir vice-champion du monde…

La saison dernière, Ferrari avait un avantage énorme, qui était d’avoir commencé à travailler beaucoup plus tôt que les autres ! C’était donc assez normal qu’ils aient une petite avance sur les premières courses. Mais ce qui s’est surtout vu ce sont des erreurs ou des problèmes de fiabilité, qui ont fait beaucoup parlé. Quand tu fais P3 en qualif’ et que tu termines P3 en course, personne ne parle de toi, alors que si tu pars en tête et qu’à cause d’une mauvaise décision stratégique tu finis 3e, tout le monde te tombe dessus. Je pense que la saison a été minée par des problèmes de fiabilité, des erreurs stratégiques, à des problèmes de communication, entre les pilotes et l’équipe à certains moments, cependant comme tu le dis le résultat global est loin d’être une honte, 2e au championnat c’est devant Mercedes et avec de très bonnes choses pour la suite.

Est-ce que cela influe sur le mental des troupes à l’usine et en piste ?

L’objectif est très, très clair, et tout le monde est en train de tirer les enseignements de l’année dernière, je suis aussi là pour les aider. Mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue c’est que dans la course, tout le monde progresse, personne ne reste au même niveau d’une année sur l’autre, donc il faut progresser plus que les autres.

Le titre est la seule issue possible pour cette saison 2023 ?

Oui, il n’y a pas d’alternative !

Vasseur et Leclerc prêts à attaquer cette saison 2023. Crédit : Scuderia Ferrari

Red Bull semblait disposer d’une certaine marge la saison dernière, comment faire pour combler cet écart ?

Red Bull l’a peut-être cette marge importante, comme Mercedes en avait une encore plus importante il y a deux ans, qu’ils ont perdu. Avant, Red Bull avait tout gagné, puis avait fini par perdre également. Il y a des cycles et des fins de cycle, il ne faut pas perdre d’énergie à regarder tout cela. À nous de faire le meilleur travail de notre côté, de se concentrer sur ce que l’on fait, c’est la seule chose que l’on peut maitriser. La synergie est bonne entre nous, entre les pilotes également, ce qui est une composante importante !

Quel peut être votre impact à court terme dans l’écurie ?

La voiture est déjà finie, là où je peux avoir de l’impact c’est sur l’état d’esprit, la communication entre les personnes, l’approche et le côté racing que j’ai. Il y a du travail, mais je le ferai en toute humilité par rapport à ce que représente la marque. Ce n’est pas à moi de révolutionner ce qu’il se fait, la différence entre P1 et P2 se joue sur des petits détails.

Comment se passe le début de relation avec les présidents de Ferrari, que l’on sait très proches de la course ?

Oui les deux sont très proches de l’équipe, que ce soit Benedetto Vigna ou John Elkann ! Ils aiment ça, et chez Ferrari c’est beaucoup plus important que chez n’importe quel autre constructeur. Ils sont dans l’usine, nous avons des contacts plus que quotidien, et je trouve que c’est bien pour l’équipe de se sentir soutenu. Il faut bien le gérer afin que cela ne prenne pas la forme d’un affrontement, mais pour l’instant tout va bien ! On a un petit problème de langue je dois me mettre à l’italien, donc je prends des cours tous les jours (rires).

Premiers pas à Maranello pour Fred Vasseur. Crédit : Scuderia Ferrari

D’un point de vue plus général, comment jugez-vous cette première saison depuis l’instauration du nouveau règlement et du « budget cap », dont vous étiez un fer de lance ?

Je pense que c’est assez positif. La hiérarchie s’est quand même bien resserrée, on a eu de belles batailles, cela porte ses fruits et c’est ce qu’on attendait ! C’est un bon changement de « mindset », cela oblige tout le monde à faire avec moins d’argent. Si un jour Ferrari pouvait gagner de l’argent j’en serai le plus heureux.

Comment se traduit votre rôle de directeur général chez Ferrari ?

Je passe deux tiers de mon temps à l’usine avec 1 500 personnes à gérer, et là ce n’est ni plus ni moins qu’une entreprise traditionnelle avec des contraintes classiques de RH, de finance, etc. Et en top, j’ai l’activité piste dans un cadre ultra concurrentiel, avec des adversaires directs, qui voyagent avec nous, que l’on connait. Il y a de la confrontation, dans le bon sens ou non, et on vit un peu en vase clos avec la FIA, la FOM, ce qui suppose pas mal de gesticulations à effectuer, tout ça dans une enveloppe où t’as des résultats et des sanctions tous les quinze jours, ce qui remet une couche de pression supplémentaire.

Comment analysez-vous l’évolution de votre métier entre les catégories inférieures et ce que vous faites désormais en Formule 1 ?

À des échelles différentes, c’est la même chose ! En F1, tu pers un peu le fil de la course parce que tu en es un peu éloigné et que tu dois gérer beaucoup d’autres sujets, mais c’est exactement la même approche. L’objectif étant de trouver les meilleurs budgets, les meilleurs pilotes, les meilleurs ingénieurs, de faire la meilleure mayonnaise possible pour que tout le monde travaille bien ensemble. La démarche est la même, que ce soit en Formule Renault ou en Formule 1.

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