Israel Adesanya va, ce week-end lors du main event de l’UFC 287, tenter de récupérer sa ceinture des 185 lbs, ravie il y a cinq mois par son ennemi intime Alex Pereira. Combat au sommet qui sera, on l’espère, précédée par une de ces entrées mythiques dont l’ex-champ s’est fait le spécialiste.
Puisque, pour le fan, l’intérêt d’un affrontement tient presque autant pour ce qui se déroule dans la cage que pour tout ce qui arrive avant (chicaneries par entretiens interposés, trash-talking lors des conférences de presse, intenses face-à-face lors des pesées) et après (réconciliations, paix des braves et interviews post-fight souvent empruntes d’humilité).
Les walkouts des combattants, ces deux minutes sous tension durant lesquelles ils effectuent le chemin qui les mène du vestiaire à la cage, s’avérant ainsi moment spécial : à mi-chemin de la montée pour l’échafaud et des préliminaires précédant l’extase. On les attend avec gourmandise. Et s’ils déçoivent parfois, certains parviennent à en faire d’inoubliables instants qui s’inscrivent en lettres de feu parmi la légende du sport. Témoins, ces dix exemples qui nous ont tout particulièrement marqués.
Royce Gracie (UFC 3, 9/09/1994)
Parce qu’il faut bien démarrer quelque part, il est permis d’avancer que l’ère moderne du MMA a débuté avec l’UFC. Et donc avec Royce Gracie : son premier vainqueur, sa figure de proue, pour toujours son héros.
Et si ses premières entrées laissaient déjà percevoir charisme et dangerosité, c’est celle qu’il offrit lors de la troisième édition qui reste le plus en mémoire. Soit l’arrivée du fighter suivie d’une partie de sa tribu : cette mythique famille qui inventa rien de moins qu’une discipline et révolutionna en ce sens les sports de combat.
En une procession se lisent ainsi l’Histoire, la transmission et la force d’une lignée martiale à nulle autre pareille. On en frisonne toujours autant, presque trente ans après…
James Te Huna (UFC on Fuel, 16/02/2013)
On en a perdu l’habitude en ces temps au sein desquels tout devient mortellement sérieux et le moindre écart hors des clous s’apparente à la pire déviance. Mais fut une époque où nul n’avait de souci à voir la plus féroce bataille accolée au show le plus extravagant. Et si les gens du Pride ont toujours été, de fort loin, maîtres en la matière, quelques noms à l’UFC sont, fort heureusement parvenus à se distinguer de la masse.
De ces marginaux, on retient souvent le nom de James Te Huna, combattant néo-zélandais aujourd’hui un peu oublié mais dont l’une des entrées reste à jamais gravée parmi les highlights de l’organisation. En l’occurrence une impeccable chorégraphie au son du Men In Black de Will Smith – panoplie (à base de costard et lunettes noires) comprise. On savoure et on profite.
Conor McGregor (UFC 189, 11/07/2015)
Qu’on apprécie ou non Conor McGregor, force est de lui reconnaître charisme hors du commun et phénoménale faculté à électriser la foule. L’un de ses sommets en la matière demeure, sans conteste, son entrée lors de l’UFC 189 – avant son combat contre Chad Mendes pour la ceinture Interim des 145 lbs.
Bénéficiant de l’hypnotique présence de sa compatriote Sinead O’Connor, interprétant en direct la ballade patriotique irlandaise The Foggy Dew, le combattant fit alors comprendre qu’il était en mission. Et, plus que pour lui seul, se battait pour représenter l’honneur d’une entière nation. L’incroyable storyline des hostilités qui ont suivi ne faisant qu’ajouter à la dramatisation excessive du moment et écrire une page de plus dans la légende du fighter.
Jon Jones (UFC 197, 23/04/2016)
Chute et rédemption. Pinacles et abysses. Ombre et lumière. Comme si le fait d’être le meilleur combattant de son époque refusait toute tiédeur, l’entière existence (quotidien et carrière mêlés) de Jon Jones se sera ainsi toujours déroulée, tel un épuisant roller-coaster émotionnel, en un rise and fall permanent autant qu’infini. La détresse succédant inlassablement à la gloire avant d’à nouveau lui céder la place…
C’est dire combien son combat de reconquête de ceinture (après en avoir été déchu à la suite de navrant faits divers extra-sportifs), face à Ovince Saint-Preux en main event de l’UFC 197, sonnait comme l’inespérée seconde chance d’un athlète qu’on avait cru à jamais perdu.
Ce qui explique, mieux que tout autre, l’émotion ressentie lors de ce walkout rythmé par un Coming Home aux allures de gospel saluant le retour à la maison d’un enfant miraculé. Puisque, au cas où on ne l’aurait pas saisi : il est à l’UFC chez lui et ne laissera personne l’en déloger. La preuve ? Il est toujours là, presque sept ans plus tard.
Darren Till (UFC Liverpool, 26/05/2018)
Il n’est, certes, nullement ici question d’effectuer le moindre classement. Mais s’il venait néanmoins l’idée d’établir quelconque hiérarchie, on peut, sans trop s’avancer, affirmer que cette entrée de Darren Till devant foule entièrement acquise à sa cause (l’enfant de Liverpool combattant ce soir-là à domicile) squatterait le haut de la liste.
Car parvenir à déclencher telle ferveur (surtout avec le Sweet Caroline de Neil Diamond : morceau si connu qu’il en est devenu un cliché ambulant) est de la marque des plus grands. Même le petit frenchie, qui n’a jamais goûté un fish and chips de sa vie, en ayant des frissons jusqu’au bas du dos.
Le paradoxe est que le combat qui a suivi (un bon cinq rounds bien technique et chiant comme il faut contre Wonderboy Thompson) en avait été l’opposé au niveau du spectacle et de l’émotion. Ce qu’on nomme sans doute le paradoxe britannique…
Tai Tuivasa (UFC 225, 9/06/2018)
Être l’un des hommes les plus dangereux de la planète, largement dépasser le quintal, adorer la brutalité, assommer ses adversaires d’une seule droite, célébrer ses victoires en buvant de la bière tiède dans une chaussure dégueulasse tendue par un fan.
Et malgré tout obstinément refuser de se prendre au sérieux. Pénétrer dans l’arène, combat après combat, sur les sons les plus pétés qui soient – qu’il s’agisse de Céline Dion, Bryan Adams, les Spice Girls ou le Barbie Girl de Aqua. Et toujours se marrer, que la victoire soit ou non au rendez-vous.
On a besoin de gens comme Bam-Bam. Pas seulement dans le MMA mais dans le monde dans son ensemble. L’humanité ne s’en porterait que mieux.
Kron Gracie (UFC on ESPN 1, 17/02/2019)
Une sortie de vestiaire au son de la glaçante sirène extraite des films de la saga The Purge (aka American Nightmare chez nous) : idée aussi simple que géniale, si évidente qu’on se demande pourquoi personne ne l’avait eu avant.
Un son minimaliste qui évoque la peur, la menace, le danger, la souffrance et la mort au bout de la nuit. Et si le walkout de Till recueille, logiquement, tous les suffrages en matière d’entrée la plus mémorable, qu’on nous permette d’estimer que celui du dernier rejeton en date du clan Gracie est, peut-être, le plus pertinent dans le message qu’il envoie. Pouvant même imaginer qu’un Mike Tyson, s’il combattait aujourd’hui, s’en serait fort naturellement emparé.
Colby Covington (UFC Newark, 3/08/2019)
On ne sait au juste à quel degré prendre les constants dérapages d’un Covington en roue libre permanente. Lui qui ne sait plus faire la différence entre provoc et propos nauséabonds, brouille encore un peu plus les pistes depuis qu’il a repris à son compte l’hymne du catcheur Kurt Angle.
Symphonie si ouvertement triomphale et patriotique qu’elle en confine à la parodie, mais sans qu’on sache vraiment à quel point Colby en goûte l’ironie. En allant de même avec les “You suck !” scandés par la foule à son entrée : gimmick rigolo lorsqu’ils accompagnent le “méchant” Angle, plus douteux quand déboule Chaos. Mais qui ra s’en plaindre ?
Israel Adesanya (UFC 243, 9/10/2019)
Inutile de tourner autour du pot : le boss de fin de game, c’est bien The Last Stylebender. Lui qui envisage son quotidien comme un héros de manga, multiplie les incessantes références à la pop culture (dans comme hors de la cage) et – charisme supérieur oblige – demeure sans doute le seul pouvant approcher les outrances des shows du Pride sans sombrer dans le ridicule.
En la matière, son mini-show avant son premier affrontement contre Whittaker demeure un modèle du genre. Chorégraphie exécutée au millimètre, en compagnie de ses potes d’enfance. Plus bluffant encore quand on sait qu’il allait, juste ensuite, disputer son premier combat pour le titre – et que strictement aucune pression ne semble alors le déranger. Ce qu’il allait d’ailleurs confirmer en piétinant littéralement un champion rapidement réduit à l’état de pantin désarticulé. Certains sont définitivement faits d’un autre métal.
Brian Ortega (UFC 266, 25/09/2021)
The Purge a ainsi tant infusé la pop culture que c’est la deuxième mention du film en ces lignes. Après Kron Gracie, c’est donc Brian Ortega qui en reprit la sirène ainsi que l’un des attributs lors de son walkout le menant à son combat pour le titre des 145 lbs, face à Alex Volkanovski.
En l’occurrence celui des masques, arborés dans les films par les milices et les assassins psychopathes bien décidés à faire couler le sang. Aveu d’intention on ne peut plus clair qui annonçait une mise à mort des plus spectaculaires. Spoiler alert : comme dans les films inspirateurs, ce ne sont pas toujours les méchants qui triomphent à la fin…