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Conseil lecture #9 : “Monsieur Amérique” de Nicolas Chemla (2019)

Neuvième et avant-dernier conseil lecture de notre série estivale Sport & littérature : une biographie aussi acide que pointue sur celui qui fut, peut-être (sans doute), le plus grand bodybuilder de son temps.

Vie et mort de Mike Mentzer, bodybuilder et philosophe, homme le mieux bâti de tous les temps, ennemi juré d’Arnold Schwarzenegger, réduit à néant par les rouages du système et ses propres démons. L’épopée tragique et visionnaire de l’anti-Schwarzenegger… et du rêve américain. (résumé éditeur)

Les livres sur la musculation et la pratique physique, hors méthodes ou manuels didactiques, sont suffisamment rares pour qu’on s’avoue intrigué lorsqu’un d’eux sort du lot.

En l’occurrence, la biographie d’un des plus grands noms de la discipline. Nul autre que l’ange déchu Mike Mentzer, l’enfant prodigue qui, dans un monde idéal, aurait du devenir la plus grande légende du culturisme. Le misfit surdoué qu’un destin contrarié, en plus de ses démons intérieurs, rejeta parmi les oubliés de l’histoire – lui qui se voit aujourd’hui connu des seuls fanatiques.

Nicolas Chemla, qui apprécie les personnalités en marge (en témoigne notamment son ouvrage sur le cinéaste Friedrich Murnau), relate ainsi, dans le style détaillé et vivant qui est le sien, le parcours tortueux d’un esprit aussi brillant que torturé. Un innovateur, un esprit libre qui, comme dans les plus mauvais films, a payé cash son désir d’émancipation des conventions de son époque et de son milieu.

Puisque Mentzer, outre un physique hallucinant (en terme de volume, d’épaisseur et de densité) qui ébahit encore en 2023, s’est en effet toujours distingué par un regard provocateur, ouvertement à contre-courant des idées reçues. Inventeur de méthodes d’entrainement à l’image de sa psyché : iconoclastes, explosives, efficaces mais d’une brutalité sans pitié.

Mais pour n’avoir pas voulu jouer le jeu du système (incarné par les frères Weider qui régnaient alors en despotes sur le milieu de la fonte) et s’être opposé à la tyrannie mise en place par un certain Arnold Schwarzenegger (lequel, dans sa sociopathie affichée et son ambition démesurée, aurait pu en remontrer à Lance Armstrong en personne), Mighty Mike fut moqué, trahi (cf. ce concours Olympia 1980 qui lui revenait de droit et dont les aficionados pleurent encore l’injustice du résultat), poussé sur le bas-côté.

Ne se rejouant, en fait, rien d’autre que l’éternel récit du cœur pur brisé par le corrompu, de l’obsessionnel battu en brèche par le cynique, du spartiate (pour qui l’excellence dans son sport confinait à la transcendance) submergé par le nombre des médiocres.

Une histoire en forme de fable amère (et en même temps, paradoxalement, par endroits fort stimulante dans la minutieuse description de cette course vers l’absolu entreprise par le protagoniste) que l’auteur parvient à rendre si haletante, intime et universelle qu’elle saura parler même à ceux qui n’ont jamais soulevé un poids de leur existence.

Même que, vu les thèmes abordés, Martin Scorsese pourrait en faire un fort chouette film, tiens !

(Séguier éditions)

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