C’est à un grand fragment d’histoire du rugby mondial que les amateurs ont eu le droit d’assister vendredi soir en ouverture de la Coupe du monde de rugby 2023. En bête blessée, cette Nouvelle-Zélande ne se présentait pas non plus comme une victime expiatoire, et passée les protocoles singuliers à ce genre de match (cérémonie d’ouverture, hymnes, haka) la tension se faisait ressentir. Pourtant malgré ce piège se refermant sur nos Bleus, la motivation et l’orgueil devenaient les acteurs principaux d’une rencontre, encore une fois, historique.
Il était une fois dans l’ouest
31-0, c’est le bilan des All Blacks en phase de poules de toutes les éditions de la Coupe du monde. Une domination sans partage malgré la présence en 2019 du futur vainqueur de la compétition, l’Afrique du Sud. Un bilan qui traduit à la fois la longévité du niveau rugbystique en Nouvelle-Zélande mais aussi, et peut-être, une force mentale supplémentaire dans ce genre de rendez-vous devenus immanquables.
Après hier soir, l’invincibilité des hommes en noir est tombée. Tombée sur des soldats bleus animés d’une mission : réussir leur Coupe du monde à la maison, défendre leurs couleurs, et leur terrain. Les habituels habités néo-zélandais se voyaient retirer un de leurs atouts maître : la domination mentale. Résultat, un 27-13 final qui marquait aussi la plus large défaite toutes Coupes du monde confondues pour les Kiwis.
Il fallait pourtant un peu s’y attendre. En effet, on était loin de la dernière fois où XV de la Fougère et XV du Coq s’étaient rencontrés à ce niveau-là de la compétition. C’était en 2011, sur les terres maories, avec un passage à tabac en règle (37-17). À cette époque, la Nouvelle-Zélande entre dans sa phase de toute puissance avec son effectif pléthorique. On ne retire aucune fausse note d’une partition impériale. En haut du classement IRB, elle trône sur cette compétition avant même son commencement. Aujourd’hui, l’équipe paraît plus timorée. Elle est en 4ème place du classement World Rugby, dirigée par un homme sans cesse remis en question, et surtout avec un réservoir moins profond qu’à l l’accoutumée.
Le bon, la brute et le truand
C’est sur ces constats que nos Français ont pu travailler avant le match. Les absences de marque, comme celles de Lomax à droite de la mêlée, Jordie Barrett en 12 et celle de dernière minute du capitaine Sam Cane en 7 se sont faites plus que ressentir.
Le bon :
La France est devenue la Nouvelle-Zélande. Il n’y a pas si longtemps, vous vous en souvenez – ou vous l’aurez compris – les All Blacks étaient tout puissants. Tout ça grâce à leur efficacité sans faille. Ils avaient peu de ballon, défendaient forts et attendaient patiemment, comme des prédateurs, l’erreur de leurs proies, pour les contrer de manière létale. Les Français font désormais la même chose, à leur manière.
France : 51,4 % de jeu au pied d’occupation – 9,5 % de jeu au pied de pression
source : @Rugbycology
N-Zélande : 38,1 % de jeu au pied d’occupation – 23,8 % de jeu au pied de pression
L’occupation du terrain est indéniable. C’est le cheval de bataille de Fabien Galthié depuis 4 ans, il l’a encore été hier soir. Les 62 % d’occupation territoriale au coup de sifflet final mettent en exergue la fameuse stratégie de dépossession qui encore une fois a fait ses preuves. Les Néo-Zélandais, quant à eux, ont davantage joué depuis leur camp. Mais ils ont perdu. La stratégie dans le jeu au pied est aussi un point intéressant. Les Français ont choisi d’occuper, comme on vient de le voir, avec 51,4 % des coups de pieds réalisés pour gagner du terrain, tandis que les All Blacks ont cherché du jeu au pied de pression (23,8 %) avec potentiellement plus de bénéfices mais aussi plus de risques… Et l’efficacité globale revient aux Français ! Ils ont appliqué plus de pression, de manière plus intelligente et été moins pénalisés (4 contre 13).
Une différence stratégique flagrante dans le jeu au pied et cela dès les premières minutes du match. Thomas Ramos n’a jamais été mis en difficulté sous cette pluie de ballons glissants.
La brute :
Le paquet d’avants français a aussi totalement dominé son sujet, sur la conquête en touche et en mêlée, mais aussi dans les tâches obscures. Les basses besognes défensives (15/16 au plaquage) et offensives avec ses soutiens permanents et ses courses sans ballon donnent un match cinq étoiles de Charles Ollivon, qui a aussi parfaitement piloté la touche française. Impossible de ne pas parler de son compère Grégory Alldritt, impérial sur la globalité du match dans un autre registre. Le numéro 8 des Bleus a tout simplement été titanesque en fer de lance numéro 1 de l’attaque (cf stats). Le concassage en règle c’est lui, les 3èmes rideaux c’est lui, les yeux bouffis dès la 5ème minute, c’est lui et ça sera toujours lui.
Le truand :
Aparté tactique important. La France a parfaitement manœuvré défensivement grâce à son système en pointe. Ne tremblez plus devant les montées de monsieur Penaud mais admirez seulement sa démarche chaloupée coupant les extérieurs. Habituez-vous car c’est ainsi et seulement ainsi que vous verrez briller la France !
Damian a la vitesse nécessaire pour venir fermer la porte sur le second centre ou l’arrière puis contrôler un couloir de 15m en débordement. Ainsi, il élimine à lui tout seul une option de passe, fait perdre du terrain et surtout : il oblige les attaquants à réaliser des passes très compliquées, dangereuses et risquées ! Oui, parfois cela transperce comme sur le deuxième essai de Mark Telea. Mais la majorité du temps, le coujou de naissance est en total contrôle de sa défense agressive qui se referme sur un centre pris dans la nasse ou bien sur un ailier pris au piège esseulé. N’ayez plus peur, je vous en supplie.
25 % des attaques néo-zélandaises se sont soldées par une pénalité ou un turnover.
source : @Rugbycology
Enfin, impossible de ne pas finir sur l’animation offensive qui a pris tout son sens en seconde période. Les plus avertis auront su déchiffrer une proportion intéressante de jeu avec Ramos en premier manipulateur du ballon, en décisionnaire du jeu court ou long. Et ainsi Jalibert glissant vers un rôle de 5/8ème deuxième porteur de balle avec plus d’espace et donc de temps dans le dos de la première ligne d’attaque. À la manière d’un Damian McKenzie, le demi d’ouverture de l’UBB peut faire parler ses qualités naturelles de un contre un pour un duel ou simplement fixer, ou encore décaler le jeu sur les extérieurs plus rapidement. La France a été très dangereuse dans cette configuration et doit continuer à creuser ce filon (le même que les Boks avec Manie Libbok et Willie Le Roux).
Deux exemples des qualités évidentes de Jalibert dans les espaces.
Et pour quelques dollars de plus…
Tout n’est évidemment pas tout rose (ou tout bleu). La France a passé une première période très compliquée. Perdant quelques peu ses moyens à cause d’errements défensifs inhabituels qui feront bondir Shaun Edwards à défaut de lui faire des cheveux blancs. Évidemment on pourrait citer des individualités très friables sur ce secteur mais c’est vraiment une copie globale décevante tant sur l’assiduité dans le système que par les prises de risques personnelles.
73 plaquages réussis pour 22 manqués par les Français en première mi-temps (72 %)
source : ultimaterugby
Le premier écueil est passé, finalement haut la main mais non pas sans encombres. La France, il ne faut pas se cacher, à maintenant une voie royale pour finir première de sa poule et préparer au mieux la phase finale de cette Coupe du monde de Rugby 2023. Allez les Bleus !