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Michel Arkhangelsky : « Je veux nager pour la France et représenter mon pays »

Né en Russie, puis arrivé en France à l’âge de 4 ans, le nageur Michel Arkhangelsky (18 ans) se bat depuis plusieurs années avec sa famille et ses proches pour obtenir la nationalité française afin de nager en équipe de France. Le 9 avril dernier, sa demande de naturalisation a été ajournée d’un an par le ministre de l’Intérieur. Le début d’une course contre la montre.

C’est comme un bateau égaré dans les eaux internationales. Sans pavillon à faire voler au vent. Michel – ou Mikhail, son prénom russe – Arkhangelsky, 18 ans, est un athlète sans nation ni hymne. Mais il a déjà choisi son camp : nager pour son pays d’adoption, la France et ramener des médailles, lui, l’enfant russe, débarqué sur la Côte d’Azur, à Nice, en 2009, à l’âge de 4 ans, avec ses parents sous le statut de réfugié politique.

Un scénario de vie qui se heurte ces derniers temps aux arcanes de la bureaucratie française, devenue un cimetière d’illusions perdues, malgré les appels incessants du jeune nageur et de sa famille, depuis 2020, avant même qu’il ne soit majeur, pour obtenir la nationalité française (1).

Le 9 avril dernier, Michel Arkhangelsky apprend par courrier que sa demande de naturalisation a été ajournée d’un an par le ministère de l’Intérieur en « raison du caractère incomplet de son insertion professionnelle » : « Je constate que vous poursuivez actuellement des études et ne pouvez, de ce fait, être considéré comme ayant acquis votre autonomie matérielle par l’exercice d’une activité professionnelle ».

La lettre reçue par Michel Arkhangelsky il y a quelques semaines lui précisant que sa demande de naturalisation avait été ajournée d’un an en raison du caractère complet de son insertion professionnelle (crédit photo : DR).

Un motif qu’il juge absurde et qui ne lui permet pas de recevoir le précieux sésame, indispensable pour sa quête sportive. « Je ne m’y attendais vraiment pas. Pour moi, ce dossier de naturalisation était quelque chose d’acquis, raconte-t-il, avec amertume et colère. On m’a dit que tout serait réglé assez rapidement une fois que j’aurais 18 ans (il a atteint sa majorité en mai 2023, ndlr). Selon eux, je ne travaille pas, alors que je m’entraîne dix fois par semaine, j’ai trois entraînements de musculation, je nage environ 10 à 15 kilomètres par séance. Mon métier, c’est la natation. La personne qui a regardé ce dossier n’a pas vu l’aspect sportif. » Et chaque jour qui passe repousse un peu plus ses ambitieux objectifs.

Un changement de décor pour atteindre ses rêves 

Après avoir obtenu son baccalauréat l’année passée, le nageur niçois, qui évolue désormais au Cercle des nageurs d’Antibes, a décidé d’arrêter son cursus scolaire pendant un an pour se consacrer pleinement à la natation et à ses entraînements. Avec, dans un coin de sa tête, un désir bien précis, celui de participer aux Jeux de Paris 2024 en tentant de se qualifier via les sélections olympiques qui se dérouleront lors des championnats de France à Chartres, mi-juin. « Mon mode de vie a complètement changé ces derniers mois. Je vois beaucoup moins ma famille et mes amis. Je suis focalisé sur la natation et rien d’autre. Depuis septembre, je pense natation, je mange natation et je dors natation en vue des Jeux. »

« Si ce recours n’aboutit pas, je ne ferai pas grand-chose à court terme »

Michel Arkhangelsky

Or, pour éventuellement représenter la France cet été et lors des prochains événements européens et mondiaux, Michel Arkhangelsky doit obtenir coûte que coûte la nationalité française. C’est pourquoi, avec son avocate, ses différents soutiens politiques et sportifs –Christian Estrosi, maire de Nice, Jean Leonetti, maire d’Antibes, le président de son club, Laurent Ciubini, et le président de la Fédération française de natation, Gilles Sezionale – ; ils ont tenté un recours gracieux (il s’agit d’un recours administratif qui s’effectue auprès de l’autorité administrative qui a pris l’acte contesté, ndlr) contre la décision d’ajournement de la demande de la nationalité française. « Une lettre est parvenue au ministre, Gérald Darmanin, avec tous les éléments du dossier et une lettre de mon avocate décrivant la situation actuelle. Nous sommes désormais dans l’attente d’une réponse. Nous espérons sincèrement que tout va être pris en compte et qu’il y aura une issue favorable pour moi », explique-t-il.

Le 12 avril, le président de la Fédération française de natation, Gilles Sezionale, a fait parvenir une missive au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour l’informer de la situation du nageur du club d’Antibes (crédit photo : DR)

En cas de refus définitif, le nageur niçois verra son rêve olympique s’envoler définitivement avant même d’espérer faire les minima (2). « Si ce recours n’aboutit pas, je ne ferai pas grand-chose à court terme. Il sera trop tard pour se renseigner auprès d’autres pays. Mais de toute manière, je n’ai jamais pensé à le faire car dans mon esprit, il était inconcevable que je ne sois pas naturalisé français. Je veux nager pour la France et représenter mon pays. »

La fuite de la Russie 

Arrivé à l’âge de 4 ans, Michel Arkhangelsky a fui la Russie avec ses parents en 2009. Son père avait créé sur le sol russe sa propre société de courtier en assurances, mais il était considéré par le pouvoir comme un opposant. « Mon père avait refusé de céder son affaire à des proches du régime de Vladimir Poutine, rembobine le nageur. Il était menacé d’un procès inéquitable et susceptible d’être emprisonné. Mes parents ont dû partir assez vite. Dès leur arrivée sur le territoire français, ils ont bénéficié de la protection subsidiaire, une sorte d’équivalent de l’asile politique. »

De ses années en Russie, Michel Arkhangelsky n’en garde qu’un très lointain souvenir. Ses premières vagues de réminiscence sont sur le territoire français, à Nice, là où il a grandi, s’est fait des amis et débuté sa scolarité en toute quiétude. « La France m’a permis de faire des études, des activités sportives, de rencontrer mes amis, d’apprendre une autre langue et d’avoir une protection politique. Je suis désormais protégé ici, comme mes parents. Je me sens Français à 100 %. Ma culture et ma langue, c’est la France, alors que mes parents ont laissé leur vie en Russie. »

Il a beau avoir seulement 18 ans, le discours d’amour de Michel Arkhangelsky envers la France est aussi convaincant que ses performances dans le bassin. Si le nageur s’accroche à son rêve de représenter la France dans un futur proche, c’est qu’il a de réels arguments à faire valoir. Considéré comme un grand espoir de la natation française, l’enfant de Nice a ramené, année après année, une avalanche de médailles à la maison familiale depuis son premier titre en 2017.

Son palmarès est évocateur rien que lors des derniers championnats de France juniors 2023 en petit et grand bassin où il a fait parler la poudre avec brio : vainqueur du 50, 100 et 200 m dos en petit bassin, vainqueur du 50, 100 m en dos en grand bassin, ainsi que du 50 et 100 m papillon. « Au total, je dois en avoir une quarantaine de médailles avec de nombreux titres partagés et plusieurs records juniors non homologués… »

« C’est toujours un sentiment étrange de voir quelqu’un monter à côté de toi sur la première marche quand tu as gagné la course »

Michel Arkhangelsky

Et c’est là où le bât blesse. Étant apatride sportivement – c’est-à-dire qu’il ne peut ni représenter son pays de cœur, la France, ni son pays de nationalité contre lequel il est protégé, la Russie – ce spécialiste du dos, du papillon et de la nage libre partage automatiquement la plus haute marche avec son dauphin français, sans profiter pleinement de ses exploits sportifs. Un crève-cœur pour ce forçat des bassins. « C’est toujours un sentiment étrange de voir quelqu’un monter à côté de toi sur la première marche quand tu as gagné la course. J’ai l’impression de ne pas avoir terminé premier et de ne pas être pris en compte. Je ne peux pas non plus participer aux compétitions européennes et mondiales car je n’ai pas la nationalité française. C’est frustrant quand tu es le meilleur de ta discipline et que les autres reçoivent les lauriers à ta place. »

À bientôt 19 ans, Michel Arkhangelsky collectionne les titres et médailles, mais ne peut représenter son pays dans les compétitions européennes et mondiales de sa catégorie d’âge (crédit photo : Fédération française de natation)

Ces dernières années, il n’a pas pu se confronter à ce qui se faisait de mieux sur la scène européenne et mondiale dans sa catégorie d’âge, faute de nationalité française. Un vrai frein pour sa progression. « Rien que d’y penser, ça m’énerve. Je suis tellement dégoûté de ne pas avoir pu participer à certaines compétitions. J’ai loupé beaucoup de choses : la gestion du stress, la concentration… Pendant ce temps, les autres emmagasinent de l’expérience, améliorent leurs chronos et moi, je remue ciel et terre », soupire-t-il.

Dans sa course contre le temps, le nageur prend son mal en patience, nage avec le secret espoir de voir sa demande administrative être enfin acceptée après des mois de bataille et de persévérance. « Il suffit qu’une personne, à un poste haut placé, s’empare de mon dossier pour qu’on puisse changer ma situation actuelle. » En attendant le dénouement, il a déjà fait savoir à ses proches qu’il quitterait la France à la fin de l’été. Direction l’autre côté de l’Atlantique : « Je partirai quoi qu’il arrive aux États-Unis, c’est déjà acté. Là-bas, je vais étudier et nager en même temps. J’ai signé en première division au sein de l’Université d’État de Floride qui est située à Tallahassee. » Mais avant de vivre le rêve américain, Michel Arkhangelsky souhaite vivre d’autres rêves avec sa terre d’adoption.

  1. Les parents de Michel Arkhangelsky ont déposé une demande de naturalisation en 2020, onze ans après leur arrivée sur le territoire français, pour en faire aussi bénéficier à leur enfant mineur. Ce dossier ne s’est jamais concrétisé malgré les sollicitations de la famille auprès des différents organes administratifs concernés.
  1. Pour obtenir une qualification olympique lors des championnats de France de Chartres, Michel Arkhangelsky devra réaliser les chronos demandés par Paris 2024. Pour le 100 m dos (53.74), le 200 m dos (1:57.50) et pour le 100 m papillon (51.67). Ses temps sont actuellement de 55.40 (100 m dos), 2:01.00 (200 m dos) et 53.65 (papillon).

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