Foot Féminin

118 ans après sa fondation, le Real Madrid se conjugue au féminin

Estadio Luis del Sol, 21 novembre 2020, 13h50. Les trois coups de sifflet retentissent dans ce complexe sportif du sud de Séville. Le Real Madrid Féminin n’a pas tremblé face au Bétis. Trois buts, tous en première mi-temps, suffisent au bonheur de David Aznar, coach de l’équipe première. À Barcelone, la défaite de la Real Sociedad face aux champions en titre permet aux Merengues de prendre la 4e place. L’équipe se retrouve au pied du podium après huit matchs cette saison. Le Real Madrid répond, pour le moment, aux attentes, et même s’il « n’y a pas la pression de remporter un titre immédiatement, comme le souligne AS, il y a une claire aspiration à être l’une des trois équipes à obtenir un ticket pour jouer la prochaine Champions League ». Pour une première saison dans l’élite du football espagnol, les objectifs sont clairs, annoncés et assumés. Car si le Real Madrid est un incontournable de la Liga BBVA, ce n’est pas (encore) le cas en Primera Iberdrola. 

La naissance d’un club 100% féminin

L’histoire de ce club commence le 12 septembre 2014. Le ‘Club Deportivo Tacón’ est créé avec l’intention d’être un club entièrement féminin. Si la première saison (2015/2016) ne voit qu’une seule équipe inscrite en compétition officielle – une équipe de jeunes -, la prétention des dirigeants est d’obtenir le statut professionnel et d’aspirer au plus haut niveau, quelle que soit la catégorie. Les mots de la présidente, Ana Rossell, résonnent en ce sens. Elle qui a porté les couleurs du CD Canillas, de l’Atlético Madrid et de l’AD Torrejón, avoue être passée par des moments difficiles, le football féminin espagnol n’étant pas encore suffisamment développé.

« Suite à mon expérience […] est apparue l’idée de créer un club exclusivement féminin, pour s’efforcer de réduire au minimum tous les obstacles qui font que la croissance du football féminin espagnol est plus lente que dans d’autres pays. […] Notre credo est qu’aucune jeune fille ne reste sans pouvoir jouer au football ».

Ana Rossell, présidente du CD Tacón

Sur les terrains, les débuts se font donc d’abord dans les catégories jeunes. À la fin de la saison 2015/2016, le club fusionne avec le ‘Club Deportivo Canillas’. Quatre équipes (une senior, trois jeunes) sont alors inscrites en compétition officielle. L’équipe première, en seconde division, enchaîne les bonnes performances, côtoie le haut de tableau et accroche la deuxième place. Mais le ‘Madrid Club de Fútbol’ (à ne pas confondre avec le Real Madrid), est au-dessus de tout le monde. Seul le champion est qualifié en play-offs, les filles de Tacón sont donc en vacances dès la fin avril. Mais qu’importe, Ana Rossell se dit fière de ses joueuses. La présidente est même élue « femme la plus influente dans le sport en 2016 » par Metadeporte. 

La saison suivante (2017/2018), l’objectif est toujours le même : « Devenir la troisième équipe de la communauté de Madrid à atteindre la première division ». Dans le groupe V aux côtés de l’équipe B de l’Atlético de Madrid – meilleure équipe du pays avec le FC Barcelone et l’Athletic Bilbao – les filles de Tacón réalisent une saison parfaite et se qualifient en play-offs. Elles ne sont plus qu’à deux matchs de l’objectif initial. Le 13 mai, elles se déplacent sur la Costa Brava, à Badalona, au nord de Barcelone pour y affronter les Seagull. La victoire 4-0 leur donne un avantage certain avant le retour, une semaine plus tard. Malgré la défaite 2-1, le CD Tacón a déjà le regard tourné vers la finale, face à Logroño. Malgré le match nul 1-1 à l’extérieur, elles tombent au match retour (2-1) et voient leurs espoirs de promotion s’envoler. Un nouvel échec plein de promesses.

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La troisième saison sera la bonne. Ana Rossell fait venir David Aznar, passé par les équipes jeunes de l’Atlético Madrid, Léganes et Getafe, entre autres. Un choix fort. Il s’agit de sa première expérience dans le football féminin et en tant qu’entraîneur d’une équipe première. L’équipe termine invaincue, avec 14 points d’avance sur son dauphin, Parquesol. A l’aube des play-offs, le CD Tacón se présente comme grand favori. L’ascension sinon rien. C’est chose faite après leur double confrontation face à Zaragoza (1-1 / 1-0) puis face à Santa Teresa en finale (0-1 / 2-0). « C’est un moment incroyable. Je me suis mise à pleurer. L’année passée, nous avions tout pour réussir et nous avions échoué. Notre rêve s’est finalement réalisé ». L’émotion se fait ressentir dans la voix d’Ana Rossell. Une réussite qui va faire des envieux. 

Tacon célèbre son titre de deuxième division.
Tacón célèbre son titre de deuxième division (Crédit : CD Tacón)

Les premiers pas vers la Maison Blanche

C’est par un communiqué publié sur le site du Real Madrid que le monde du football prend connaissance des envies de Florentino Pérez. « Le conseil d’administration du Real Madrid C. F., réuni aujourd’hui, mardi 25 juin 2019, a décidé de soumettre à la prochaine Assemblée Générale la fusion par absorption du Club Deportivo Tacón, club de football féminin, à partir du 1er juillet 2020 »

Le 15 septembre 2019, lors de l’Assemblée Générale Extraordinaire, les socios sont consultés. « Nous croyons que le moment est arrivé où le Real Madrid doit avoir sa propre équipe féminine, qui servira à renforcer la promotion de ce football dans notre pays et de concourir avec notre écusson au plus haut-niveau dans toutes les compétition nationales et internationales » explique Florentino Pérez. Il explique son choix d’avoir ciblé le CD Tacón pour sa formation. « Ce club compte une structure de formation qui nous permettra de rester fidèles à notre philosophie dès le début » termine-t-il. Les explications convainquent. Avec 810 votes pour (44 contre et 40 abstentions), le projet est adopté. Le CD Tacón deviendra Real Madrid dès juillet 2020. Coût de l’opération selon les médias locaux : 500 000 euros.

Pour Ana Rossell, ni cette absorption, ni la montée ne changent les choses. Elle qui œuvre pour le football féminin en Espagne n’a qu’une idée en tête : maintenir son club en première division. Les joueuses bénéficient déjà de contrats professionnels, une rareté pour un club alors seconde division. La pression n’en est pas moins grande : « C’est un saut important pour nous, nous ne pouvons pas nous permettre de descendre dès la première année » avoue Ana Rossell. 

L'équipe du CD Tacon lors de la saison 2019/2020.
L’équipe du CD Tacón lors de la saison 2019/2020 (Crédit : David Ramírez)

Le changement de dimension se fait ressentir dans le quotidien des joueuses. Dès septembre, l’équipe commence à s’entraîner et à jouer ses matchs sur le terrain 11 de Valdebebas, à quelques encablures du stade d’entraînement de l’équipe masculine et de ses stars, Karim Benzema, Sergio Ramos et Eden Hazard. Le président Perez évoque même la possibilité de faire jouer les grandes affiches dans le stade Alfredo Di Stéfano, alors occupé par l’équipe A masculine, le Santiago-Bernabéu étant en rénovation. 

Mais le début de saison est compliqué. 15e et avant dernier au soir de la 8e journée, David Aznar et ses joueuses se doivent de relever la tête. La suite sourit aux Madrilènes. Les victoires contre le Betis, l’Espanyol et Séville leur permettent de respirer. Elles ne le savent pas encore, mais le match nul 0-0 face à Valence, le 16 février, leur permettent de valider leur maintien en première division. Car coronavirus oblige, la saison est stoppée deux semaines après, au soir de la 22e journée. Le CD Tacón, pour sa première et dernière saison sous ce nom en Liga Iberdrola, termine 10e. Objectif atteint.

Changement de nom et de dimension 

Le 1er juillet 2020, le CD Tacón devient officiellement le Real Madrid. 118 ans après la création de la section masculine, le club aux 13 Champions League a enfin son équipe féminine. Pour Florentino Pérez, le but est de combler, et le plus rapidement possible, le retard pris sur le FC Barcelone et l’Atlético Madrid. Il ne met pas longtemps pour injecter de l’argent dans cette équipe. Dès l’été 2019 et l’approbation du projet par les socios, il fait venir Kosovare Asllani et Sofia Jakobsson, toutes deux nommées pour le Ballon d’Or féminin 2019. La Française Aurélie Kaci arrive également cet été-là, et le sait : « Ils (les dirigeants) ne veulent pas s’appeler le Real Madrid et terminer deuxièmes ou troisièmes ».

Cette saison, le club continue sa progression. Au mercato estival 2020, le club voit arriver l’une des meilleures latérales du championnat, Kenti Robles, en provenance de l’Atlético. L’expérimentée Marta Corredera, 29 ans, arrive de Levante. À l’instar de l’expérience, et comme le disait Florentino Pérez un an plus tôt, la jeunesse est un pilier du club. Trop tôt pour s’appuyer sur le centre de formation, il fait venir quatre joueuses championnes d’Europe U19 avec l’Espagne en 2017 ou 2018. Parmi elles, Teresa Abelleira, Maite Oroz et Olga Carmona, réputée pour ses débordements sur son côté gauche. 

Photo de la première équipe du Real Madrid féminin.
L’équipe du Real Madrid (Crédit : Real Madrid)

Dans les vestiaires Del Estadio Luis Del Sol, les chants résonnent. Mais l’objectif est encore loi d’être atteint. Passées les congratulations, les regards se tournent déjà vers la prochaine échéance : la réception de l’autre club de Séville, adversaire direct pour le podium. Invaincues à l’extérieur, les filles de Manolo Pineda auront à cœur de faire tomber la Maison Blanche pour la troisième fois cette saison. David Aznar le sait, une qualification en Champions League passe d’abord par une victoire samedi 5 décembre prochain.

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