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Football : Le Covid-19 est-il en train de créer une crise générationnelle?

Parmi les recruteurs, formateurs et même chez les simples spectateurs, il n’est pas rare d’entendre parler de génération creuse, de vide générationnel. Pour être clair, il s’agit d’une génération moins fournie en talents que les autres. Ce qui peut se voir au niveau d’un club, d’une ligue voire même du pays. Et ces vides pourraient être grandement aggravés par la pandémie mondiale que nous traversons. Autopsie de plusieurs générations qui souffrent et souffriront possiblement longtemps de la crise actuelle.

Si l’on veut parler des générations les plus « vieilles », parlons, pour commencer, des joueurs quittant les centres de formation sans contrat pro. Parce que derrière les « cracks », il y a aussi toute une génération de joueurs. Certains sortent du circuit pro et continuent leurs études, mais d’autres choisissent de tout miser sur le foot. Pour ceux-là, le quotidien se résume à : entraînements individuels, stages-tests dans des clubs professionnels, etc. Problème : les stages-tests se raréfient de plus en plus, en raison des difficultés de déplacements pour tous les joueurs.

Azir, (@Carterchnine) ancien éducateur au Football Club Loisirs Malpassé et désormais très grand observateur du foot des jeunes, estime que ces deux années à la formation tronquée auront une incidence sur le niveau des joueurs: « Je pense qu’il y aura des conséquences négatives plus ou moins graves selon les joueurs. À la reprise 2021 (si elle est normale), les éducateurs devront revoir un certain nombre de choses. Si les clubs pros ont pu organiser des matchs amicaux entre centre de formation, pour les clubs amateurs, c’est plus compliqué. D’après Les Échos, beaucoup de joueurs lâchent et c’est compréhensible. »

Et pire encore, la suspension des compétitions de jeunes et la suppression de la Coupe Gambardella. Véritable niche des recruteurs, qui arpentent les terrains de U19 nationaux chaque week-end, les jeunes joueurs ne peuvent vraiment se mettre en avant. Dans l’excellente série d’articles consacrés aux effets de la pandémie sur Ouest France, un cadre technique fédéral témoignait de ce problème : « Cette année, la très grande majorité des effectifs a été gardée dans les pôles et le recrutement s’est fait à la louche »​. Une version des choses aussi confirmée par Romain Molina, journaliste indépendant, dans sa vidéo « L’arrêt de trop pour le foot semi-pro et amateur français. » Pour celui qui a dénoncé les abus sexuels au sein de la fédération Haitienne, le risque est aussi à long terme : « Pour les joueurs ayant fait un centre de formation, qui vont se réfugier dans ces divisions là (N2/N3), les clubs vont manquer de moyens, la profession risque de se paupériser. » Et donc, les « success story » de joueurs ayant fait leurs armes plus bas avant de connaître le monde professionnel (Kader Bamba, Adil Rami, etc) , risquent de se raréfier.

Maillage territorial et pré-formation

En Écosse, on s’inquiète plus pour les adolescents/pré-adolescents : « A ce stade de leur développement -12, 13, 14 ans-, que vous jouiez des matchs. Ne pas avoir cela pourrait ralentir leur développement. » souligne Andy Goldie, directeur de l’académie United dans un article pour FR24 news. Il ajoute : « C’est une préoccupation pour nous à long terme. » Azir pense quant à lui l’absence de compétition risque de faire mal. Et que les éducateurs vont avoir fort à faire : « Sans les matchs officiels, c’est difficile de les tenir sous pression. Beaucoup lâchent et forcément sans entraînement, sans l’intensité des matchs, la progression ralentit, voire s’arrête. Un gros travail est à revoir à la rentrée. »

« Comme les futsal sont fermés, les clubs ne peuvent pas forcément mettre en place des séances optimales, les jeunes peuvent se replier sur le football de rue, là où ils pourront se défouler sans contrainte.« 

Azir, alias @Carterchnine

Et l’on ne parle là que de grosses académies. Mais les gros clubs soulignent souvent l’importance des clubs amateurs, du maillage territorial. Ce sont eux qui sont à la base de la formation, qui vont pré-former et développer les premières qualités de certains joueurs : le contrôle, la passe, la compréhension du jeu, la mobilité, etc. Ce sont eux qui forment les joueurs de demain : mais comment cela se passe dans un monde ou ces joueurs-là ne peuvent bénéficier du nombre d’heures d’entraînements requises?

Combien de ces joueurs auraient pu bénéficier d’un entraînement optimal dans leur jeunesse en période de pandémie ? Combien auraient atteint le niveau qui est le leur aujourd’hui ? (Crédits : Le Parisien)

Si l’on s’éloigne seulement du côté technique, l’amour du football pourrait lui aussi être mis à mal. En effet, le manque de matchs avec public, avec ferveur populaire, pourrait nuire à long terme à l’intérêt de ce sport. Et si Andrea Agnelli n’as pas raison sur tout, il a raison sur un point : il faut trouver le moyen de parler aux jeunes générations. Azir encore : « Cela joue forcément dans la perception des jeunes. L’intérêt est moins grand. C’est déjà frappant chez les adultes, ça l’est sûrement encore plus chez les jeunes. » D’autant que les matchs locaux, celui du papa, de l’oncle ou du grand frère, ne sont plus. Comment donc se passionner pour un jeu sans le jouer, sans voir d’autres le jouer, et aux matchs sans publics dépourvus de passion?

Football de rue et lien social

Si le football en club est interdit, l’universalité du jeu reste son point fort. N’importe où, n’importe quand, avec n’importe qui, un match peut être lancé. Mais avec les confinements, couvre-feu, et autres interdictions de rassemblement, le football de rue est-il menacé ? Par pour Azir : « Je ne pense qu’il y aura une incidence car beaucoup de jeunes continuent de jouer dans la rue. Je serai même tenté de dire qu’il peut avoir un effet contraire : comme les futsal sont fermés, les clubs ne peuvent pas forcément mettre en place des séances optimales, les jeunes peuvent se replier sur le football de rue, là où ils pourront se défouler sans contrainte. » D’autant que le football de rue reste encore parmi les moments les plus marquants, les fous rires les plus intenses, les crises de colères les plus fortes, prouvant une fois de plus le lien social créé par le ballon rond.

Si même Nike décide de placer le football de rue dans ses pubs, c’est bien qu’il y a une raison. (Crédits : Nike)

En raison des difficultés économiques des clubs, le football de rue pourrait même devenir encore plus important. Certains clubs pourraient même fermer par manque de ressources, n’ayant plus de rentrées d’argent : événements, matchs, manifestations, etc. D’autres clubs pourraient décider, afin de survivre, d’augmenter le prix des licences. Une possible augmentation pouvant logiquement amener une baisse du nombre de licenciés. Ce qui se voit déjà sur la saison en cours (-2,40% environ de licenciés par rapport à la saison dernière), et qui constitue un gros enjeu. Non seulement pour le football, mais dans un enjeu de santé publique : plus de pratique sportive pour certains jeunes, ce qui est essentiel. L’ancien attaquant écossais Tam McManus, entraîneur dans une école de performance de Motherwell, témoignait de cela : «Cela a été difficile pour les enfants coincés à la maison, de ne pas jouer au football, de ne pas avoir les heures dont ils ont besoin».

Si l’on ajoute toutes ces conditions, la possibilité d’une crise générationnelle est quasi certaine. Son impact ne se verra peut-être que dans 10, 15 ou 20 ans, peut-être même que l’on ne s’en rendra jamais compte, ce vide étant comblé par les générations précédentes et/ou suivantes. D’ailleurs, cet article laisse beaucoup de questions en suspens : nous ne pouvons répondre à certaines questions sans un certain recul chronologique. Mais, nul doute que d’ici quelques années, les études universitaires sur le sujet floriront. A l’instar, on l’espère, de ces générations.

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