Rugby

Les codes de l’attaque la plus explosive de Nouvelle-Zélande

En 200 ans de rugby, des milliers de manières de jouer ont vu le jour. Si l’évolution dans le temps est évidente avec une maturation de ce sport qui nous amène aujourd’hui à de multiples manières d’appréhender l’exercice, il existe aussi de réelles différences dans la manière d’aborder le rugby, géographiquement.

Entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud, les mentalités sont différentes. Les voisins du Tropique du Capricorne vouent un joyeux culte au rugby offensif, envolé et aérien. Les regards se tournent intensément vers la meilleure compétition de cette zone terrestre, le Super Rugby, avec une équipe qui sort son épingle du jeu : les Chiefs. Plongée dans les dessous d’une recette détonante.

Attaque dynamite

La différence est flagrante, le Super Rugby marque en moyenne 8,19 essais par match sur sa saison 2023 quand le Top 14 lui ne se contente « que » d’une maigre ardoise avec ses 4,87. Oui, l’hémisphère Sud est plus spectaculaire, plus offensif. Sait-il mieux attaquer ou moins bien défendre ? Là n’est pas la question. Il vaut mieux s’attarder sur les mentalités. Les Sudistes aiment se servir de grandes sessions de skills pour créer des automatismes dans les placements offensifs, mais aussi dans les réseaux de passes nécessaires pour trouver les intervalles dans les défenses. Le nord préférera un rugby plus statique et pragmatique basé sur les fondamentaux.

8,19 essais par match en moyenne en Super Rugby lors de la saison 2023

contre 4,87 en moyenne en Top 14 (source : itsrugby.fr)

Il est alors de bon ton de se pencher sur ce qu’il se fait de mieux en Super Rugby pour mieux connaître ses adversaires à l’aube d’une Coupe du monde, mais aussi pour s’en inspirer et développer le rugby le plus total possible.

Et l’attaque la plus intéressante semble être celle des Chiefs. L’équipe de Waikato possède un style caractéristique, quelque peu antinomique par rapport aux autres équipes néo-zélandaises. Les Chiefs jouent… comme l’équipe de France, en partie, sans le ballon, dans l’occupation, dans la capacité à gagner des turnovers et à les exploiter rapidement et surtout très efficacement. Les résultats parlent d’eux-mêmes : beaucoup de points marqués, une efficacité extrême ballon en main, une énorme rythme de jeu sur un volume réduit et des risques pris, avec parcimonie mais toujours aux meilleurs moments. Une recette du succès plutôt intéressante à répliquer et qui s’explique par une plateforme de lancements maitrisée sur le bout des doigts.

Cartographie de l’attaque des Chiefs en Super Rugby 2023, place relative pour chaque variable par rapport aux restes des équipes.

Système & plateforme

Le jeu des Chiefs s’organisent autour d’un système préférablement en 1-3-2-2 au niveau de la disposition des avants sur la largeur du terrain. Un système rodé par les Japonais en 2015 lors de la Coupe du monde d’Eddie Jones, pour faire parler les qualités de vitesse et de lecture de ses joueurs devenus des experts de la largeur. Le petit twist réside dans le couloir des 15m, terrain de chasse exclusivement réservé aux ailiers. Et sur une certaine liberté laissée à quelques éléments liants (6, 7, 8) mais pour évoluer toujours la majorité du temps avec 5 avants dans la partie centrale du terrain.

Les Chiefs aiment attaquer sur une largeur ou un ¾ de largeur de terrain pour toucher à leur maximum d’efficience. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à lancer des offensives très rapidement vers les extérieurs pour déplacer la défense le plus possible. Puis les avants et arrières, dans des positions plus ou moins interchangeables, s’organisent. On retrouve alors une attaque en 2D qui occupe à la fois la largeur (vue) et surtout la profondeur avec 3 lignes d’attaque indépendantes qui offrent chacune une force pour obtenir le Saint Graal : le franchissement.

Mais des images valent mieux que mille mots :

Disposition classique des lignes d’attaque des Chiefs. jaune : première ligne, vert : deuxième ligne, bleu : troisième ligne

Les grandes lignes du concept :

© TRC & SUPER RUGBY PACIFIC

Libre alors aux Chiefs, en fonction du rythme et des aléas du match, de s’adapter en conséquence. 3 pseudo lignes sans avants ? C’est possible. Un centre qui vient sur une course rentrante ? C’est possible. Un premier manipulateur qui est un avant ? C’est possible. On notera aussi que les avants sont, la majorité du temps, bien organisés sous cette forme de ligne classique occupant l’espace latéral et non pas sur une cellule plus compacte avec un porteur de balle identifié (même si cela peut arriver dans un souci de jeu proche des lignes). De ce fait, l’incertitude pèse plus sur la défense avec une première distribution possible sur l’ensemble des joueurs de la ligne.

Sans avants :

© TRC & SUPER RUGBY PACIFIC

Variations

À partir de cette plateforme principale, il ne reste plus qu’à s’adapter. C’est ici que les individualités rentrent en compte et notamment au niveau des premiers porteurs du ballon de chaque ligne. C’est à eux que reviennent la tache de lire et d’orienter le jeu dans l’espace le plus adéquat pour réaliser le break. Des joueurs comme Damian McKenzie et Shaun Stevenson sont passés maîtres dans cet art. Tout en faisant aussi peser sur les défenses la double menace constante de leurs jambes insaisissables qui peuvent s’engouffrer dans les intervalles.

Des porteurs de ballon double menace :

Chaque ligne a un match-up positif face à chaque type de défense. Le but encore une fois n’étant pas d’épuiser l’équipe adverse et de la forcer à l’erreur (même si les erreurs individuelles sont aussi exploitées, bien sûr) mais plutôt de s’appuyer sur les faiblesses intrinsèques du système défensif en place.

Ainsi, une défense étendue sur la largeur pourra être attaquée frontalement avec la première ligne, dans une zone proche à moyennement intermédiaire. Une défense agressive, coupant les extérieurs se fera manger toute crue par la deuxième ligne qui aura des faciliter pour trouver la déconnexion dans le front défensif. Et une défense en contrôle, disciplinée aura du mal à répondre à l’action combinée des courses rentrante de la 2nde ligne et à la vitesse et au travail de fixation de la 3ème.

Attaque sur la première ligne :

© TRC & SUPER RUGBY PACIFIC

Attaque sur la deuxième ligne :

© TRC & SUPER RUGBY PACIFIC

Attaque sur la troisième ligne :

Retrouvez vous même chaque lignes et les lectures des joueurs ! © TRC & SUPER RUGBY PACIFIC

En résumé, courses de soutien intérieures pour tous les hommes des lignes sur 3 niveaux, adaptabilité et lectures, vitesse d’exécution dans les passes et les courses. Sans oublier sur chaque ligne la menace constante de l’extra-pass disponible grâce au positionnement initial des joueurs.

Les Chiefs n’ont évidemment pas réinventé le rugby, ils ont « simplement » trouvé le moyen de développer un style de jeu qui leur appartient et qu’ils ont « masterisé ». Les axes de développement se sont fait sur l’envie de proposer avant tout une grosse défense et de rentabiliser chaque prise de balle. Une plateforme largeur X profondeur a donc vu le jour pour atteindre le paroxysme de cette dernière année. Foster s’en inspirera-t-il ? Le monde regarde.

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