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Remco Evenepoel, le retour de l’enfant prodige

Surgi dans le peloton professionnel en 2019, Remco Evenepoel n’avait pas mis longtemps à faire parler de lui. De petite rumeur lancinante qui nous parvenait depuis les rangs juniors, il explosait très vite comme LE tube de l’année, chez les professionnels. Gamin pressé, il grille les étapes. Refuse le statut d’espoir, pas le temps d’espérer. Il anticipe les attentes. Et gagne. Impressionne aussi, dans la manière qu’il a de gagner. En 2020, après un départ canon, il ne passe pourtant pas loin du drame absolu dans une chute terrible qui le frappe au détour d’un pont sur le Tour de Lombardie. Presque un an après, il est remonté sur le vélo – déjà un miracle en soi – et planifie la reconquête. L’occasion de faire un point sur le phénomène Evenepoel.

Remco Evenepoel prend la pose en Août 2020 à Katowice, Pologne. (Photo : Luc Claessen/Getty Images)

LE NOUVEAU CANNIBALE, UN REFOULÉ DU BALLON ROND

Remco Evenepoel, ça a d’abord été un challenge d’élocution pour tous les commentateurs de vélo. Il a fallu soudain mémoriser, et apprendre à prononcer, ce nom assez abrupt de prime abord. On y est arrivé assez vite. Bien aidé en ceci par les performances exceptionnelles de ce jeune Belge de 19 ans, fraîchement débarqué chez les pros, et écrasant tout sur son passage. Des performances qu’il répétait, course après course. Gagnant déjà le droit d’être comparé aux plus illustres. Ressortissant belge, on entendait forcément résonner les fantasmes d’un Cannibale ressuscité dans le sillage des coups de pédale puissants et désinhibés qui lui permirent de décrocher par exemple un titre de champion d’Europe contre-la-montre, un Tour de Belgique ou encore la Clasica San Sebastian… Quelle sensation.

Le plus fascinant était que la nouvelle étoile réalisait tout ça alors qu’il n’était encore en quelque sorte qu’un débutant sur le vélo. Evenepoel avait commencé le cyclisme … deux ans auparavant. Sa troisième année seulement. En trois petites licences, il s’était hissé au sommet du cyclisme mondial. De quoi donner le vertige. Un destin incroyable qui aurait pu pourtant ne jamais voir le jour puisque Remco ne s’était pas tout de suite dirigé vers le vélo. Ses premières amours l’avaient porté vers les rectangles verts et le cuir des ballons ronds. À Anderlecht pour commencer. Puis au PSV, à Eindhoven. Quelques sélections nationales chez les jeunes. Un retour à Anderlecht. Avant d’aller enterrer ses rêves de carrière du côté du KV Maline. Nous sommes en 2017. Il a 17 ans. Et commencera sa vie de cycliste 3 mois plus tard. Chez les Juniors.

LA FULGURANTE ASCENSION

Constat immédiat : bonne pioche pour l’ancien footeux. Celui dont le père fut coureur professionnel entre 1992 et 1994 semble bien résolu à porter beaucoup plus haut le patrimoine génétique des Evenepoel. Impatient, il rattrape le retard pris en courant après des ballons et s’impose à 7 reprises dès sa première année. Notamment deux courses internationales : la Philippe Gilbert Juniors – comme pour annoncer son plan de vol pour la suite de sa carrière, le cap est fixé – et la Route des Géants. Une route qui lui va bien, peut-on se dire rétrospectivement. Lui, le Géant en devenir. Culminant à 1,71 mètre d’altitude.

Après ce petit tour de chauffe, Remco enclenche le mode « Attila chef des Huns ». Le nouvel Empereur de Belgique marche sur la catégorie. Piétine la concurrence. Massacre ses opposants. Et annihile vertement, par son absolue supériorité, toute velléité de contestation à l’émergence de son règne. Il gagne les versions juniors de Kuurne-Bruxelles-Kuurne, du chrono des Herbiers ou encore de la Course de La Paix – l’une des plus prestigieuses du calendrier. Mais surtout, si jamais ce n’était pas assez, Remco rafle tous les titres en championnat. Sur route ET contre-la-montre, il est champion de Belgique, champion d’Europe et champion du Monde. Amenez lui la Galaxie, la planète se fait trop petite !

Remco Evenepoel (Team Deceuninck – Quick-Step) – échappé lors de l’étape 4 du 77ème Tour de Pologne, 2020 (Photo : Luc Claessen/Getty Images)

Les superlatifs manquent pour décrire et relater cette mue inédite vers un sport nouveau. Cette croissance express. Cette maturation accélérée. Évidemment il ne passe pas inaperçu. Et Patrick Lefevere – manager de la grande Deceuninck-Quick Step – ne s’y trompe pas. Le talent n’attendant pas le nombre des années, il jette son dévolu sur le jeune premier et recrute Remco en 2019. Rendez-vous chez les pros, ne passez pas par la case espoirs. Pourquoi finalement s’encombrer de ces formalités intermédiaires. Il a 19 ans, son futur l’attend. Et avec lui les espoirs grandissants d’une nation tout entière. Réveil tardif pour éclosion précoce : la folle destinée du footballeur qui veut devenir Merckx. On s’emballe bien-sûr, mais reconnaissons qu’il y a de quoi.

VISER LE CIEL, TOUCHER LA LUNE

Il va donc falloir s’y faire, il y a un nouvel invité au banquet des Seigneurs. Il vient réclamer sa part. Son nom est Remco, Remco Evenepoel. Certes, la formule ne résonne pas avec le même glamour que le fait depuis des décennies celle du Commander Bond dans la saga 007, en revanche, le jeune coureur Belge entend bien marcher dans les pas de l’espion britannique pour ce qui est du rythme des conquêtes. Sportives, lui. Séducteur de palmarès, le voilà lancé à l’assaut des plus belles courses. Bien décidé à ne pas traîner en chemin – sa marque de fabrique, il empoche déjà le Tour de Belgique. En y mettant les formes et en remportant la seconde étape en solitaire. Cela cadre bien avec l’esprit conquérant du bonhomme.

Mieux, Remco se paie le luxe de gagner dès sa première année professionnelle la Clasica San Sebastian. Parmi les plus belles classiques du calendrier. En solitaire, forcément. Reléguant ses concurrents à 38 secondes. Battant des Van Avermaet, Marc Hirschi (tiens, tiens, déjà lui), Valverde, Konrad, Mollema ou Michael Woods. Autres faits notables, ses performances en championnats. Déjà aperçues chez les juniors, ses prédispositions en la matière se confirment à l’échelon suprême. Il est ainsi champion d’Europe du contre-la-montre à Alkmaar, où il bat par exemple Kasper Asgreen. Et enfin – surtout ? – il finit médaillé d’argent dans ce même exercice au Mondial de Harrogate. Battu par le seul Rohan Dennis. Devançant Filippo Ganna (tiens, tiens, déjà lui-aussi) de près de 50 secondes. Wow ! Ou un coureur comme Tony Martin de presque 1 minute 20 secondes. Re-Wow ! Verdict du conseil de classe à la fin de l’année ? Première saison validée haut la main pour Evenepoel. Félicitations du jury. Ne peut pas mieux faire.

Remco Evenepoel en plein effort solitaire, exercice dans lequel il excelle (Photo : Getty Images)

On attend alors avec impatience de voir ce que va donner 2020. Imaginez un peu si la saison précédente n’était qu’une prise de marques, une prise de repères… ça promet. On a hâte de voir ça. Et comme toujours, Remco ne nous déçoit pas. Ni ne nous fait attendre. Force est de constater, il part fort. Très fort. Il remporte le Tour de San Juan en Argentine, y battant à nouveau Ganna. Rempile ensuite sur le Tour de l’Algarve, où il se paye Schachmann et Miguel Angel Lopez. Post-confinement Covid, il re-démarre sur le même rythme en remportant le Tour de Burgos – devant Landa, Almeida, Chaves, George Bennett et Carapaz. Avant de l’emporter, encore, quelques jours plus tard sur le Tour de Pologne devant Fuglsang, Simon Yates et Majka. Sa quatrième année de vélo, rappelons-le à toute fin utile. Fou.

Et une polyvalence fantastique qui ouvre la porte à tous ses rêves de victoire. Remco s’impose définitivement comme un coureur qui fait tout. Qui excelle partout. Qui gagne les courses d’un jour. Les championnats. Les courses à étapes. Les contre-la-montre. De plus en plus semble reprendre vie, sous nos yeux ébahis, ce petit refrain du passé chantant les exploits du Cannibale d’outre-Quévrain. Devant nous se profilent alors le Tour de Lombardie et le Giro. On pense Remco en mesure d’ajouter ces deux lignes légendaires à son palmarès. On trouverait presque ça normal. C’est le sens de l’Histoire. Elle est en marche. Laissez passer. Dégagez le chemin. Et pourtant soudain … l’obscurité.

TOMBER ET SE RELEVER

Sur le Tour de Lombardie. Remco est devant. Nous sommes dans le final. Les coureurs vont bon train dans la descente du Mur de Sormano. Le jeune Belge, une fois n’est pas coutume, est un peu malmené. Il descend sensiblement au-dessus de ses capacités peut-être. Toujours est-il qu’il évalue mal une trajectoire. Heurte le décrochage d’un muret à l’entrée d’un pont. Et bascule dans le vide, tête en avant. Horreur ! Les images font froid dans le dos. Et les minutes qui suivent paraissent des heures tant on craint, au-delà de sa santé, pour la vie du coureur. Après ces quelques longues minutes, il sera finalement extrait du fossé, remonté à la surface de ce maudit ravin, puis évacué. Plus tard, le verdict tombera : fracture du bassin et contusion au poumon droit. Des blessures lourdes qui paraîtraient pourtant presque anodines quand on met en balance le drame qui aurait pu advenir d’une telle chute… Pour autant, sa saison est terminée. Le retour passera par un long chemin, pavé de souffrances et d’efforts, qui s’ouvre désormais devant lui. Coup d’arrêt et dimension tragique, la chute du héros : nouveaux chapitres dans l’écriture du récit Evenepoel.

CÔME, ITALIE – 15 Août 2020 – Remco Evenepoel victime d’une terrible chute lors du Tour de Lombardie qui le tiendra à l’écart des vélos pendant plusieurs mois (Photo : Tim de Waele/Getty Images)

Ces événements se déroulaient il y a un peu moins d’un an. Pas vraiment dans sa nature, il lui a pourtant fallu se montrer patient. Aller jusqu’au bout de la rééducation. Laisser tomber les béquilles, en septembre, sans pour autant se croire arriver. Pas à pas. Sans sauter les étapes comme il aime pourtant le faire. Au risque de rechuter et compromettre dramatiquement ses chances. Bon gré mal gré, il s’est astreint à ce repos essentiel dans sa quête pour retrouver le niveau qui était le sien. Encore huit semaines à vide depuis le début de l’année 2021 avant, enfin, de renouer avec les cycles d’entraînement. Remonter sur le vélo mi-février. Sentir enfin le mental basculer, comme au sommet d’un col, du bon côté de la pente. Le plus dur semble enfin derrière lui. Evenepoel peut se concentrer à nouveau sur ce qu’il sait faire de mieux : briller sur le vélo.

Pour cela il se trouve en ce moment-même du côté des Canaries, à Tenerife, lieu devenu un incontournable des blocs d’entraînement du peloton professionnel. Là-bas, au milieu des reliefs et dans la douceur du climat canarien, il organise son retour. L’exil temporaire auquel l’a contraint son accident n’a que trop duré. Il a fixé une date. Comme pour reprendre le cours de son ascension là où il l’a laissée l’an dernier, ce sera sur le Giro. Le 08 mai prochain. Pour une fois, et on le croit, les objectifs seront modérés. Renouer avec le fil des choses, simplement.

D’ici-là, il lui reste encore beaucoup de travail. Mais à en croire son entraîneur, Koen Pelgrim, tous les signaux sont désormais au vert et il est dans les temps de passage qu’ils se sont fixés : « Depuis son arrivée ici le 5 mars, tout s’est déroulé comme prévu. Remco (Evenepoel) est à nouveau indolore sur le vélo et n’est plus gêné par ses blessures, ce qui est le plus important. Son entraînement se déroule comme nous l’espérions, il est dans les délais ».

Avant d’ajouter, prudemment : « Remco est encore loin de son meilleur niveau. Certes, c’est un talent et il peut progresser un peu plus vite qu’un autre coureur. Mais on ne peut pas non plus s’attendre à des miracles lorsqu’on sait qu’il n’a pas fait de vélo pendant huit semaines. C’est deux fois plus long que la période de repos normale qu’observe un cycliste l’hiver, sans parler de sa lourde rééducation avant cela. Il reste encore beaucoup de travail à faire ». Comme pour réclamer du temps. De la patience. Et tempérer les ardeurs de tous ces fans habitués au meilleur avec lui. Tempérer les ardeurs de Remco lui-même, peut-être aussi. Une chose est sûre, il est attendu avec une immense impatience et ses premiers coups de pédale en compétition seront scrutés avec curiosité et envie.

Véritable étoile filante du cyclisme moderne, Remco Evenepoel a donc vu sa folle ascension entravée par l’un de ces pieds de nez du destin qui vient éprouver la force d’âme de son héros. Nœud fondamental des plus grandes œuvres tragiques. Essence même du récit légendaire. Ces péripéties sont partie intégrante de la vie des cyclistes. De la vie tout court. Pas encore tout à fait revenu de cette épreuve, le Belge entrevoit enfin la sortie du tunnel. Là-bas, dehors, dans le peloton, une nouvelle hiérarchie s’est installée pendant son absence. On a vu le trio Alaphilippe-Van der Poel- Van Aert prendre le pouvoir et attirer bien des regards. Un Hirschi éclater au plus haut niveau sur les classiques pour puncheur. Des Bernal, Pogacar ou Roglic prendre le lead sur ce qui est des courses à étapes. Une concurrence rehaussée avec laquelle devra composer Remco. Lui qui peut gagner sur tous les terrains et devra donc composer, alternativement, avec l’un ou l’autre de ces adversaires. Un plateau particulièrement alléchant. Une nouvelle génération qui bouscule tout. Et une époque particulièrement excitante pour le cyclisme mondial. Il ne manque plus qu’une chose : rendez-nous Remco !

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