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Mexique : Memo Ochoa, crépuscule d’un rempart atypique

Rares sont ceux qui ont participé pour leur pays à cinq Coupes du monde. Ils sont quatre. Guillermo « Memo » Ochoa est, à l’occasion de ce Mondial au Qatar, entré dans ce cercle fermé (réserviste en 2006 et 2010). Gardien court sur pattes mais dont la détente et les réflexes lui ont permis de durer et de rester dans les mémoires, Ochoa s’apprête à clore son histoire nationale en coupe du monde. L’adieu entraîne les pleurs, mais son héritage demeure immense.

Antonio Carbajal a de quoi sourire. Le gardien de but mexicain, qui a participé aux éditions 1950, 54, 58, 62 et 66 a désormais un successeur. Guillermo Ochoa garde une nouvelle fois les cages mexicaines au Qatar, rejoint Lothar Matthäus, Gianluigi Buffon, Antonio Carbajal et enfin Rafael Marquez dans la légende. Les deux derniers étant deux compatriotes, la longévité semble être une spécialité mexicaine. Cristiano Ronaldo et Lionel Messi vont, par ailleurs, rentrer eux aussi dans les livres d’histoire avec une cinquième participation en Coupe du monde, n’ayant eux nul besoin de prouver leur longévité au plus haut niveau.

Que reste t-il de son passage en Europe ?

Memo Ochoa et l’Europe, c’est une relation particulière, semée d’embuches et assez difficile alors qu’ils ont tout pour s’entendre. Après huit années passées au pays et comme tout gardien de sa trempe qui se respecte, Ochoa a des ambitions européennes. Il tape dans l’œil de plusieurs clubs comme Fulham ou le Paris Saint-Germain. Le PSG est en train de se structurer pour rentrer une nouvelle fois dans le cercle des grands clubs européens. Memo Ochoa a tout pour plaire. Une offre ferme est même dans les mains du gardien.

Le hic, c’est cette fameuse affaire de viande avariée. Lors d’un rassemblement de la Tri en 2011, Memo Ochoa et quatre de ses coéquipiers sont testés positifs au clenbutérol, une substance interdite utilisée pour stimuler la fonction pulmonaire et qui a aussi des effets anabolisants. Quelques temps plus tard, le gardien est blanchi de tous soupçons. Sauf que le PSG, Fulham et tous les prétendants se sont ravisés, ont activé d’autres dossiers et Ochoa accepte l’offre du seul club qui a insisté : l’AC Ajaccio. L’intéressé raconte pour France Football : « C’est tombé en mai 2011, alors que j’étais sans contrat et juste avant l’ouverture officielle du mercato. Finalement, deux mois après, nous avons été blanchis tous les cinq. Il n’y a pas eu de poursuites, mais toutes mes négociations ont été bloquées. Mes contacts se sont évanouis. Je comprenais aussi les clubs. La seule équipe qui a toujours maintenu le contact a été l’AC Ajaccio. »

Memo Ochoa face à Marco Verratti, le gardien mexicain aura réalisé 11 arrêts dans ce match. AFP / Kenzo Tribouillard

D’une transition flamboyante à une transition en douceur. Memo Ochoa pose ses valises en Corse, avec là encore, son lot de hauts et de bas. Une statistique l’exprime. En 2013, il a réussi 146 arrêts en Ligue 1, soit le meilleur total pour un gardien dans les grands championnats européens. Le point d’orgue a lieu contre… le PSG en août 2013, avec 11 parades. Zlatan Ibrahimovic s’en souvient encore. Ajaccio peut se targuer d’avoir un grand gardien, à défaut d’une grande défense. Puisqu’en dehors de ces chiffres reluisants, l’ACA a encaissé 72 buts et a été relégué en deuxième division. L’oxymore.

A l’été 2014, Memo Ochoa signe à Malaga, club racheté depuis quatre ans et qui prétend tutoyer les étoiles du football européen. L’Espagne semble lui convenir, il n’y a pas de barrière de la langue, beaucoup de clubs sont de bonne facture, et Malaga marche plutôt bien (11e en 2013/14), en tous cas mieux qu’Ajaccio. Le hic, cette fois-ci, s’appelle Carlos Kameni. Le gardien camerounais est arrivé depuis deux ans, et est excellent. Ochoa arrive donc avec un statut de numéro 1 bis au mieux, numéro 2 au pire. En deux ans, Memo n’a joué que 19 petits matchs avec le club espagnol. Il a même été prêté à Grenade pour la saison 2016/17, avec plus de matchs joués (39 matchs disputés TCC) mais, là encore, une réussite individuelle ne rimant pas avec réussite collective : Grenade est 20e et relégué. FuriaLiga revient sur ce passage mitigé en Espagne dans cet article.

Alors, se pose la question du pourquoi. Le principal intéressé pose, en 2019 (il joue alors au Standard de Liège depuis deux ans) pour SportMagazine, un argument : « Comme gardien mexicain, tu n’as pas d’office les meilleures armes pour trouver un bon club dans un grand championnat en Europe. Je viens de passer trois ans en Espagne, à Malaga et à Grenade, mais ce n’était pas gagné au départ. Parce que les clubs ne peuvent prendre que trois joueurs (4, en Ligue 1) extracommunautaires. J’ai un problème : je n’ai pas de passeport européen. J’ai beau chercher un grand-père, un oncle ou un cousin en Europe, je n’en ai pas, donc je reste purement extracommunautaire. » Toujours est-il qu’au crépuscule de sa carrière, l’ère Ochoa en Europe laisse un goût d’inachevé, tant le joueur semble avoir plus subi les événements extérieurs qu’autre chose.

Une gueule, un style, une idole

Les grands de ce monde savent se sublimer lorsque l’Histoire l’impose. L’image de son arrêt face à Robert Lewandowski lors du premier match de poules opposant le Mexique à la Pologne ne fait que prolonger la relation passionnée entre Memo Ochoa et la Coupe du monde. Sur le papier, tout oppose le gardien mexicain et son adversaire de l’instant, émérite attaquant du FC Barcelone. Tout. Le poste, la carrière en Europe, le style et puis, et c’est ce qui compte le plus dans ce moment, la réussite en Coupe du monde. Si Memo Ochoa brille autant que le plus prestigieux des trophées, Lewandowski, lui, a traîné comme un boulet cette terrible statistique jusqu’à son but lors du match suivant contre l’Arabie saoudite. La dualité qu’impose ce face-à-face rend compte, une fois le tir repoussé par Ochoa, d’une affligeante logique. Comme si, pour un instant, le rapport de force s’est inversé. Lewandowski devenant ainsi l’attaquant qui n’a jamais vraiment réussi à faire respecter son nom en Europe et Ochoa, lui, prenant la cape du gardien implacable, dont l’armoire à trophée fait pâlir tant d’autres gardiens.

Cet instantané révèle ce qu’est Guillermo Ochoa dans son pays. Fort de huit années passées dans les cages du Club America (2003-2011, il y joue à nouveau aujourd’hui), Memo est déjà très populaire. Son style, sa gueule et son talent y sont pour beaucoup. Sa supposée petite taille est en fait un faux ami puisqu’il mesure 1,83m mais sa manière spectaculaire de s’élancer trompent le regard qu’on peut porter sur lui. Bien connu et adulé, il n’est pour autant pas titulaire, au début, en équipe nationale.

2014 : au rendez-vous des légendes

En 2014, Guillermo Ochoa embrasse pour la première fois la cape du gardien titulaire. Il joue en Ligue 1, à Ajaccio, et ce depuis trois ans. L’Europe s’enivre alors de ses envolées même si le portier reste à Ajaccio et n’a pas passé le cap, en rejoignant un club plus prestigieux. En 2014 donc, au Brésil, Ochoa arrive tout de même, vu du pays, avec le statut de joueur qui s’installe en Europe. Malgré cette réputation, le sélectionneur de l’époque Miguel Herrera a des doutes. Le Mexique dispose de deux gardiens solides, Ochoa et Jésus Corona. Il déclare, lors d’une conférence tenue en cette année. « J’ai eu du mal à choisir les gardiens, surtout avec Corona et Memo qui ont eu une querelle entre eux. La semaine avant le début de la compétition déjà, d’abord pour le numéro, les deux en voulaient le numéro un. Je les ai assis pour parler, là ils ont sorti les deux trois moments difficiles qu’ils avaient eu entre eux. Au total, nous ne sommes pas parvenus à l’accord, ils ont parlé fort, ils ont commencé à crier et jusqu’à ce que je gifle et dise: « ici le seul qui crie, c’est moi », comme c’était bon qu’ils sortent leurs affaires, c’était peut-être un malentendu, ils se sont arrêtés, se sont embrassés et ont quitté la pièce. » Au final, Memo Ochoa a opté pour le numéro 13 et Herrera l’a choisi pour garder les cages. Bien l’en a pris.

Lors de cette Coupe du monde si particulière au Brésil, le Mexique se trouve dans la poule suivante : Brésil, Croatie, et Cameroun. La poule la plus difficile sur le papier, même si les groupes B et D ne sont pas en reste. La Tri remporte son premier match face aux Lions indomptables, sur le score étriqué d’un but à zéro. Les choses vont donc dans le bon sens pour le Mexique avant de rencontrer l’ogre brésilien. Inutile alors de se rappeler aux souvenirs de ce qu’a été la Seleçao lors de cet événement. C’est le pays tout entier qui s’est arrêté de respirer à chaque jour de match. À cela faut-il rajouter un soupçon de duel face à un autre pays du continent, voici tous les arguments réunis pour un duel au couteau, attendu par tout un pan du monde. Le Mexique se dresse donc face au Brésil, et c’est le moment qu’a choisi Guillermo Ochoa pour passer de titulaire menacé à légende de toute une génération.

Crédit : FIFA

Le portier est auteur de six arrêts, dont cette horizontale d’exception sur une tête de Neymar, qui s’est pas sans rappeler celle de l’illustre Gordon Banks en 1970… au Mexique. Une légende a besoin de cela pour se nourrir : d’un exploit, d’un fait d’armes qui reste dans les esprits pour des années, et puis d’un contexte. Réaliser pareille performance face au Brésil, au Brésil, en Coupe du monde, tous les ingrédients sont réunis. C’est l’avant/après. En 2014, le réseau social Twitter est déjà bien affirmé et tout le monde se prend à commenter ce à quoi il est en train d’assister. Preuve en est avec ce tweet du regretté Kobe Bryant, légende parmi les légendes des Lakers de Los Angeles :

Le parcours de la Tri s’arrête en 1/8e, battue par les Pays-Bas au bout du suspense, Ochoa et les siens menant encore à la 88e minute. Sneijder et Huntelaar (s.p) envoyant les espoirs de quart de finale aux oubliettes. Memo pleure, à l’image de tout un pays qui voit ses rêves s’effondrer. Mais plus encore que le parcours, c’est ce qu’a réalisé le portier lors de cette édition qui reste. Les esprits se remettent des revers mais les exploits perdurent. Et ceux d’Ochoa en sont l’exemple.

2018 : énerver les attaquants jusqu’à l’écœurement

En 2018, bis repetita. Le Mexique et la « génération Ochoa » (Hector Herrera, Chicharito, Guardado, Moreno, et même encore Rafa Marquez, etc) voient dans leur groupe l’Allemagne, la Suède et la Corée du Sud. Le Mexique peut légitimement prétendre à une qualification en quarts. Les premières hostilités s’avèrent être les plus difficiles sur le papier, avec le duel face à l’Allemagne. Memo Ochoa voit donc en ce rendez-vous de stars la possibilité d’écœurer les champions du monde 2014. Et il ne s’est pas manqué.

D’un match de légende face au Brésil avec six arrêts, Ochoa ouvre avec cette prestation face à l’Allemagne une page dans un nouveau livre, celui des records. Neuf arrêts, on n’avait pas vu ça depuis 1966. Le résumé du match par la FIFA est disponible ici. Reste dans les mémoires cette parade sur un coup franc parfait de Toni Kroos, coup-franc puissant qui prend le chemin de la lucarne. Les pas chassés sont bons, la détente est parfaite, Memo dévie le ballon sur sa barre transversale et préserve le résultat positif de son équipe. Le Mexique bat le champion du monde 1-0 et démarre sa Coupe du monde de la meilleure des manières. Encore une fois, au moment opportun, le dernier rempart mexicain éclate le match de son talent.

Guillermo Ochoa est très bon lors des deux matchs suivants, bien qu’impuissant face à la Suède (défaite 0-3) dans un match où le Mexique est déjà qualifié. Au total, le portier de la Tri est à créditer de dix-sept parades lors de la phase de groupes. La stat est éloquente, même si celle-ci ne rentre pas dans la légende. Tim Howard ayant, avec les USA, arrêté… 16 tirs dans un seul et même match. Le parcours n’a pas été beaucoup plus loin pour la Tri, éliminée une nouvelle fois en 1/8e de finale par le Brésil, vainqueur 2-0. Ochoa et les siens ne connaitront pas, une fois de plus, les joies d’un 1/4 de finale de Coupe du monde.

À l’heure du crépuscule, probablement des adieux, l’heure est au bilan et l’histoire parle pour lui. L’esthète, parfois si brillant, a marqué toute une génération. Et le meilleur moyen de comprendre ce qu’est Guillermo Ochoa dans le continent américain reste de voir ce que les pays voisins disent de lui. Diego Morini, journaliste argentin, dit du portier après Pologne-Mexique : « Memo, tout le monde sait de quel genre de gardien on parle. Il l’a montré hier, avec le penalty qui sauve Lewandowski, il me semble qu’il est l’un des piliers de Mexique. Toute personne connaissant bien le football, mentionnant Guillermo Ochoa fait référence au Mexique » Humble, Ochoa dit en conférence de presse d’après match que « c’est le fruit du travail à l’entraînement ». Mais il y a aussi de la magie qui opère dans un moment comme celui-ci. Magie est un joli mot pour conclure. Un mot qui lui colle à la peau. Et qui lui va si bien.

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